Regards croisés sur le comité RSE – Gouvernance – Économie verte – Management & Ressources humaines
En partenariat avec les clubs Économie verte et Management & Ressources humaines, le club Gouvernance accueillait 60 participants en ligne, le 27 janvier dernier, pour une table ronde sur le comité RSE. En 2019, la loi Pacte a complété l’article 1833 du code civil par un alinéa ainsi rédigé : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » Alors que de plus en plus d’entreprises se dotent d’un comité responsabilité sociale des entre-prises (RSE), il nous a semblé utile d’échanger avec deux praticiens sur la création et l’animation d’un comité RSE au sein du conseil d’administration. Cette table ronde animée par Louis Boisgibault (MBA.90) réunissait Corinne Fernandez Handelsman (H.84), associée chez Progress, en charge des practices industrie et technologie, administratrice indépendante d’Ubisoft (coté au NYSE), membre des comités RSE et nominations et rémunérations, et Éric Molinié (H.82), secrétaire général de Dalkia (groupe EDF). Il s’agissait de la deuxième table ronde organisée autour de la sortie de notre livre 100+ témoignages sur la gouvernance d’entreprise. Nous tenons à remercier à nouveau Éric Viallatoux pour son aide précieuse à maintenir ces événements importants pour notre communauté.
Comment vos entreprises sont-elles venues à s’intéresser à la RSE ?
Il existait en fait déjà chez Ubisoft une équipe en charge de la Corporate & Social Responsibility. Cependant, Yves Guillemot, président d’Ubisoft, ainsi que plusieurs administrateurs, souhaitaient depuis 2017 qu’un comité RSE-CSR du conseil d’administration soit créé afin de porter ce sujet au niveau de sa gouvernance, de lui donner plus de poids et d’en piloter les objectifs. Cette conviction partagée les a amenés à créer une équipe projet en 2018. À l’époque, c’était un « nice to have ». Aujourd’hui, c’est important, ne serait-ce que pour attirer les talents… Le groupe projet s’est attaché à analyser les besoins de quatre sous-ensembles : les clients, les joueurs et les salariés, les communautés et la planète. Ubisoft a lancé une enquête auprès des parties prenantes, (enseignants, éducateurs, parents des clients, médecins…).
« À l’époque, c’était un “nice to have”. Aujour-d’hui, c’est important, ne serait-ce que pour attirer les talents… »
Pour EDF, Éric Molinié indique que l’entreprise est notamment présente en Chine, aux États-Unis, en Italie et au Royaume-Uni depuis longtemps. Elle est toujours challengée sur sa politique environnementale, notamment à travers sa production d’énergie thermique nucléaire. EDF avait d’ailleurs dès 2005 créé un Sustainable Development Panel (SD Panel) constitués d’experts internationaux indépendants. Quand il était en 2013 à la direction du développement durable, Éric a copiloté un rapport public au gouvernement contenant 20 propositions pour renforcer la démarche de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Il animait également le SD Panel, qui rendait compte au président d’EDF. Parallèlement, la DRH avait développé la dimension sociale et sociétale de la RSE.
Comment est gérée la RSE aujourd’hui ? Avez-vous des indicateurs ? Ont-ils évolué ?
Il existe aujourd’hui un comité RSE du conseil d’administration dans les deux entreprises, qui se réunit quatre fois par an chez Ubisoft et deux à trois fois par an chez EDF. Ubisoft a par ailleurs un réseau de correspondants RSE sur le terrain. L’entreprise gère des objectifs à court terme et un horizon à moyen terme. Le comité RSE interagit avec le comité d’audit et le comité de nominations et rémunérations. Ubisoft a introduit des objectifs non financiers, comme la protection des joueurs et le bien-être au travail. L’administrateur référent d’Ubisoft est régulièrement interpellé sur des sujets RSE. Éric a été marqué par le prix « Pinocchio », décerné aux entreprises dont les actes sont en décalage avec les annonces, et indique qu’EDF a mis en place des indicateurs et objectifs RSE. Beaucoup de directions d’EDF ont aujourd’hui des objectifs en matière de RSE.
Pouvez-vous nous parler de la crise RH qui a éclaté chez Ubisoft ?
Corinne indique que l’entreprise réalisait des enquêtes de satisfaction du personnel tous les deux ans, avec des taux de participation et de satisfaction très élevés et était déjà lauréate de Great Place to Work. Par ailleurs, deux administrateurs salariés font partie du conseil d’Ubisoft. La question est : comment aurait-on pu détecter ces agissements plus tôt ? C’est la direction qui a géré la crise en liaison avec le conseil et a recruté une société externe qui a lancé une enquête. Des sanctions ont été prononcées rapidement. Par ailleurs, Ubisoft a nommé deux responsables en charge de la culture d’entreprise appliquée à l’environnement de travail et en charge de la diversité et de l’inclusion, rapportant au président. Une plateforme d’alertes en accès confidentiel a également été mise en place pour faciliter les signalements en cas de comportements inappropriés, en infraction avec le code de bonne conduite instauré en 2015.
En quoi les sujets abordés par le comité RSE ont-ils évolué au fil des ans, pour intégrer plus largement les sujets ESG et les enjeux climatiques ? Quel est le lien avec la stratégie de l’entreprise et la rémunération de ses dirigeants ?
Les enjeux climatiques sont particulièrement importants pour EDF et se traduisent par des objectifs clairs. Ainsi le taux d’énergie renouvelable dans le mix énergétique de Dalkia, filiale du groupe EDF dédiée aux services énergétiques, est passé de 18 % en 2014 à 41 % aujourd’hui, avec un objectif à 50 % en 2022. L’objectif d’énergie décarbonée est dans l’ADN des salariés. Le lien est fort avec la stratégie de l’entreprise, d’ailleurs c’est le même membre du Comex d’EDF qui est en charge de l’innovation, de la responsabilité d’entreprise et de la stratégie.Chez Ubisoft, les enjeux non financiers comptent pour 20 % dans les bonus à court et moyen termes du PDG et l’énergie achetée par Ubisoft est à 76 % de l’énergie verte décarbonée. Corinne rappelle qu’Ubisoft n’est pas constructeur d’ordinateurs mais, en revanche, que la numérisation des jeux a un impact positif sur l’environnement. Par ailleurs, Ubisoft s’est installé dans des bâtiments éco-responsables à Lyon, Bordeaux ou Paris. Éric indique que, après Fukushima, EDF a réuni pour la première fois la direction du parc nucléaire avec des ONG pour débattre et que chacun a fait un pas vers l’autre. Par ail-leurs, EDF se préoccupe depuis toujours de l’ancrage local et de la vie des territoires sur lesquels il opère. Éric rappelle que tout ce qui est vert n’est pas durable et insiste sur l’approche holistique. Il rappelle enfin que le code Afep-Medef intègre la RSE depuis fin 2016.
Quid de la raison d’être ?
EDF s’est défini une raison d’être qui intègre parfaitement les objectifs de RSE évoqués ci-dessus : « Construire un avenir énergétique neutre en CO2 conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants ». EDF a été l’une des premières grandes entreprises, avec Air Liquide, à émettre des green bonds, lesquels permettent d’obtenir un taux de financement privilégié accordé par les prêteurs en contrepartie d’engagements pris sur des actions en faveur de l’environnement et mesurées par des indica-teurs quantitatifs.
JF Phan Van Phi (H.84)
Published by La rédaction