Quelques jours après avoir réussi le lancement du vaisseau Orion en direction de la Lune, la NASA annonçait son souhait d’établir sur l’astre une présence humaine d’ici dix ans.

POUR

“Une aventure bénéfique pour l’humanité et pour la Terre”

Luca Boccaletto (E.16), directeur du service évaluation et qualité de l’Agence spatiale européenne (ESA)

Diplômé en ingénierie aérospatiale de l’université de Pise (en 1999), de l’école doctorale d’Aix-Marseille Université (en 2011) et de l’EMBA d’HEC Paris (en 2016), Luca Boccaletto travaille dans l’industrie spatiale européenne depuis l’an 2000. Il a rejoint l’ESA en 2008 où il a occupé plusieurs fonctions pour les programmes Ariane et Vega, avant de prendre la tête du service d’évaluation et qualité en 2017.

Il y a d’abord un enjeu de survie de l’humanité. Rappelons qu’un astéroïde a détruit environ 80 % de la vie sur Terre il y a soixante-six millions d’années. Les scientifiques estiment qu’un tel événement a une possibilité non négligeable de se reproduire. Pour nous en protéger, nous devons implanter l’humanité sur d’autres planètes en commençant par notre système solaire. À court terme, il n’est pas possible d’aller directement sur Mars, planète à même de nous accueillir mais trop éloignée. La première étape est de développer des infrastructures sur la Lune. Notre présence sur la Lune favorisera le progrès de la science et le développement de nouvelles technologies de pointe. Des recherches impossibles à réaliser dans un environnement terrestre sont déjà menées sur la Station spatiale internationale et elles ont d’importantes retombées en biologie humaine, en médecine… Une base lunaire permettra également d’intensifier ces activités et d’accélérer les découvertes. Le sol de notre satellite contient aussi des ressources minérales et chimiques intéressantes. En septembre, la Chine a annoncé la découverte d’un nouveau minéral issu d’un échantillon de sol lunaire qui pourrait servir à produire une énergie 100 % propre. Nous avons donc aussi intérêt à retourner sur la Lune pour protéger notre Terre. D’un point de vue géostratégique, il existe un vide juridique puisqu’aucune réglementation mondiale n’encadre encore l’utilisation des ressources lunaires par l’homme. Et d’ici quelques années, les États-Unis et la Chine reprendront pied sur la Lune. L’Europe ne peut pas ignorer ce mouvement, ni refuser d’y participer, sous peine de se retrouver définitivement hors jeu.

Une exploration spatiale dans le sens de l’histoire

Les arguments contre le retour sur la Lune me semblent irrationnels. Ceux qui pointent le coût du retour sur la Lune (quelques dizaines de milliards de dollars) feraient mieux de dénoncer les milliers de milliards dépensés annuellement dans l’industrie militaire, qui vise à détruire l’être humain. Ce désir d’exploration lunaire n’a rien d’exceptionnel dans une perspective historique globale. De tout temps, l’humanité a cherché à explorer son environnement proche. Il y a cinq cents ans, les navigateurs européens partaient à la découverte du continent américain. Le retour sur la Lune s’inscrit dans cette continuité.

 

CONTRE

“L’urgence est ailleurs”

Amicie Monclar (H.16), directrice générale de Zephalto

Diplômée d’HEC Paris (2016) passionnée d’arts, de littérature et de philosophie, Amicie Monclar a rejoint en 2020 Zephalto, société d’aéronautique spécialisée dans le voyage stratosphérique bas-carbone soutenue par le CNES et Airbus Développement. Elle a été nommée directrice générale de l’entreprise en août 2021.

Retourner sur la Lune n’est pas la priorité à l’heure où notre planète brûle. Nous avons besoin de concentrer nos énergies sur l’urgence du moment : lutter contre le réchauffement climatique et réduire notre empreinte carbone. L’avenir de l’humanité dans l’univers est une question qui se pose à une échelle de millions d’années. Nous n’avons que quelques mois pour éviter le réchauffement à plus de 2 o C et ralentir l’extinction de masse. Les meilleurs ingénieurs devraient travailler à chercher des solutions pour faire en sorte que des pays tels que l’Inde et le Pakistan restent habitables afin d’éviter des décès de masse et des vagues migratoires de grande ampleur. Le désir humain de conquête et de domination du monde par la technologie relève d’une philosophie qui cherche à aller toujours plus loin et à dépasser les limites, alors que nous sommes dans un monde aux ressources finies qui s’épuisent. Cette philosophie, alimentée par la compétition acharnée entre les nations, nous envoie droit dans le mur.

Le dangereux délire d’une élite

Déjà, les touristes privilégiés voyagent en Antarctique. Et, dans le même ordre d’idées, les milliardaires iront bientôt sur la Lune pour épater leurs pairs. Il est dangereux que les élites prennent cette direction et entraînent la société dans leur sillage. Vouloir mettre à notre disposition le moindre recoin de la planète – et désormais la Lune – dans une frénésie consumériste ne nous rend pas plus heureux, au contraire, car nous y perdons notre capacité d’émerveillement, comme le décrit le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa dans son ouvrage Rendre le monde indisponible [La Découverte, 2020, ndlr]. Derrière le retour sur la Lune se profile le rêve d’Elon Musk d’envoyer un million d’hommes sur Mars d’ici à 2060. Mais un tel voyage n’est pas soutenable par la couche d’ozone : il détruirait notre planète. À mon sens, ce projet devrait être purement et simplement interdit. Allouons la consommation d’énergies fossiles et l’émission de gaz à effet de serre à des projets nécessaires et urgents. S’il s’agit de faire travailler des équipes d’excellence sur des initiatives passionnantes et innovantes, le défi de la soutenabilité suffit à les motiver. Une fois que nous aurons revu notre modèle de croissance, réglé les problèmes de la planète, alors, oui, nous pourrons nous préoccuper de retourner sur la Lune, avec des fusées propres. Mais pour le moment, nous en sommes très loin !

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