C’est dans les locaux d’HEC Alumni, avenue Franklin-Roosevelt à Paris, que s’est tenue ce lundi 3 novembre une rencontre exceptionnelle organisée par le Club HEC Sport Business. Devant une salle comble, les membres du réseau ont accueilli Nicolas de Tavernost, Directeur général de LFP Media, la structure chargée de la commercialisation du football professionnel français. Son arrivée intervient après plusieurs années d’instabilité autour des droits de diffusion du championnat de France de première division, la Ligue 1, dont la valeur s’est fragilisée mettant à rude épreuve le modèle économique. Dans un secteur où le football est devenu un produit culturel mondialisé, la France devait retrouver un cadre stable.

Rencontre Club Sport Business / interview par Mathieu Besson (E.23)

Nicolas de Tavernost a effectué l’essentiel de sa carrière au sein du groupe M6, qu’il a présidé pendant près de 25 ans. Il y accompagne le développement de la chaîne, son entrée en Bourse, la diversification de ses activités et sa transition vers le numérique. M6 a également été actionnaire majoritaire des Girondins de Bordeaux. Nicolas de Tavernost y pilotait les grandes orientations du club. Une période couronnée par 2 titres de champion de France (1999 et 2009) et une qualification en coupes européennes deux saisons sur trois. Une expérience qui lui donne une compréhension fine des réalités économiques et sociales du football. Il rejoint LFP Media en mai 2025 pour en piloter la transformation. Un passage emblématique entre deux univers – médias et sport – où se croisent enjeux économiques, culturels et de gouvernance.

« Le football français doit redevenir une ligue de conquête. Cela suppose d’avoir une stratégie claire et une ambition partagée», a-t-il déclaré d’entrée, posant le ton d’un échange à la fois lucide et tourné vers l’avenir.

Vision et revalorisation au service des clubs

Lorsqu’il prend ses fonctions à LFP Media, le principal diffuseur – DAZN – conteste son contrat et suspend ses paiements. Dans le modèle économique du football français, où une partie importante des ressources dépend des droits audiovisuels, cette situation menace immédiatement l’économie des clubs.

« La première urgence était de sécuriser les fonds pour les clubs », explique-t-il. « Sans cette base, aucun projet ne peut tenir.»

La seconde priorité consiste à redonner de la valeur au championnat, non seulement comme produit sportif, mais comme bien culturel partagé. Un championnat n’est suivi que si l’on comprend ce qu’il raconte : les villes qu’il relie, les identités qu’il porte, les histoires qu’il fait circuler entre les stades, les écrans et les conversations du quotidien.

« Le football français ne manque pas d’histoires. Ce qui compte, c’est la manière de les raconter. »

Dans un environnement où la Premier League anglaise ou la Liga espagnole sont devenues des marques mondiales, la Ligue 1 doit développer une visibilité, une cohérence narrative, une place claire dans l’imaginaire collectif, en France comme à l’étranger.

La plateforme Ligue 1+ : reprendre la diffusion et le lien

C’est dans ce contexte que naît Ligue 1+ en août dernier, la plateforme qui diffuse désormais en direct et en exclusivité 8 des 9 matchs de chaque journée du championnat. Son lancement a été mené dans un délai très court, non par ambition technologique, mais parce que la Ligue devait assurer sa visibilité. La plateforme permet à la fois de maintenir la diffusion du championnat et de reprendre la maîtrise de la relation avec les publics.

« En moins de deux mois, nous avons pratiquement atteint l’objectif d’abonnés de la première année », souligne Nicolas de Tavernost. Fin septembre, la plateforme dépasse le million d’abonné et s’approche de l’objectif prévu pour la fin de saison de 1,15 million.

La stratégie retenue s’articule autour d’un principe : l’hyperdistribution. L’idée n’est pas de contraindre le public à venir sur une plateforme unique, mais au contraire de faire en sorte que le championnat soit disponible partout où se trouvent les supporters. Sur les téléviseurs connectés, les box, les opérateurs, les consoles, les plateformes OTT, et demain peut-être encore ailleurs, comme l’illustre le récent partenariat de distribution avec le journal L’Équipe. Une logique de distribution « en réseau » plutôt qu’en silo.

« On ne peut pas demander aux publics de changer leurs usages. C’est à nous d’aller à eux », résume Nicolas de Tavernost. Cette approche est à contre-courant des stratégies qui cherchent à enfermer les audiences dans un écosystème propriétaire. Ici, la valeur n’est pas captée par la rareté, mais par la facilité d’accès, la lisibilité des offres, la cohérence des parcours d’abonnement.

Ce choix permet également d’unifier la relation avec les fans : comprendre comment ils consomment, quels clubs ils suivent, quels moments génèrent de l’attention. Derrière l’hyperdistribution, il y a la volonté de reconstruire un lien direct, de redonner au supporter sa place dans l’économie du football. Le digital n’est pas présenté comme une révolution, mais comme un outil pour reconnecter le championnat avec ses communautés, locales et globales.

Ce qui se met en place n’est pas une rupture brutale, mais une reconstruction méthodique : stabiliser l’économie du football, puis revaloriser la Ligue 1 en réaffirmant ce qui fait sa singularité. La transformation est en marche. Elle avance, structurée.

Le Club HEC Sport Business, catalyseur d’idées

Cette rencontre a illustré le dynamisme du Club HEC Sport Business, présidé par Ghassan Attié (H.07) et Yann Baffalio(H.03). Il s’impose comme un espace privilégié de dialogue entre dirigeants du sport, des médias et de l’économie, favorisant les échanges de haut niveau et nourrissant la réflexion stratégique sur les mutations du secteur.

Les questions du public ont prolongé un débat riche sur la gouvernance du football français, l’équilibre entre sport et business, ou encore l’impact des nouvelles technologies. En conclusion, Nicolas de Tavernost a appelé à l’unité et à l’optimisme : « Le football français dispose de tous les atouts pour réussir. À nous d’en faire une force collective. »

Une matinée inspirante, à l’image de son invité : lucide, exigeant et profondément attaché à l’avenir du sport français.

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