Michel de Rosen (H.72) : son cri pour la Fraternité !
J’ai écrit Fraternité ! pour deux raisons.
D’abord, parce que la fraternité se meurt. Des forces puissantes, plus ou moins récentes, plus ou moins irrésistibles, se conjuguent pour, petit à petit, encercler et asphyxier la fraternité. Sept sont particulièrement vigoureuses : l’exode rural et l’urbanisation, le déclin des grandes idéologies et organisations, comme l’Eglise Catholique et le Parti Communiste, la contestation du travail, la montée du matérialisme, l’éloge de l’égoïsme, l’invasion du narcissisme et, last but not least, la blitzkrieg des réseaux sociaux.
Ensuite, parce que la plupart des gens se foutent du déclin de la fraternité. Tout le monde sauf le pape, Claude Perdriel, Jacques Delors, Régis Debray et des poignées de citoyens éclairés.
Il m’a semblé utile de mettre ce sujet sur la table.
Quels sont les points essentiels de ce livre ?
Le premier axe du livre est la description de cette analyse de la fraternité. Elle risque, avec le temps, non pas de disparaître, mais de s’affaiblir, de se réduire, de se marginaliser. La fraternité se meurt lentement. Le nouveau monde qui se construit sous nos yeux présente deux faces : celle de l’apathie et celle de la rage, l’une et l’autre alternant selon un rythme que les politologues et les politiques ont du mal à comprendre et à prévoir. Dans ce nouveau monde où plus rien n’est indiscutable (pourquoi discuter, pourquoi écouter l’autre ?), n’est-il pas plus simple de rejeter, d’ignorer, de piétiner … ?
Le deuxième axe a trait à l’ambivalence de la fraternité. Parce qu’elle est assiégée, il est tentant de voir la fraternité non seulement comme une victime, mais aussi comme une incarnation du Bien, une sorte de Madone, innocente, vertueuse et fragile.
En réalité, la fraternité a deux visages, un clair et un sombre. Elle est ambivalente.
Premier exemple : Dans l’Antiquité, dans la Rome de Cicéron, la fraternité était d’abord clanique et perçue, à ce titre, comme une ennemie de la Cité.
Deuxième exemple : l’Eglise Catholique entretient une relation ambivalente avec la fraternité, la louant en paroles mais, l’ignorant, en réalité, pendant des siècles.
Troisième exemple : l’histoire et la littérature abondent des situations dramatiques où des fratries sont déchirées par la haine et la jalousie. Le poème célébrissime de Victor Hugo, La Conscience, décrit la plus célèbre des fratries haineuses.
Quatrième exemple : il y a toutes sortes de fraternités, des plus fermées, comme les francs-maçons ou Le Siècle, aux plus ouvertes, comme Les Petits Frères des Pauvres, des plus avides, comme la famille Corleone, aux plus généreuses, comme les Restos du Cœur, des plus violentes, comme les Frères Musulmans, aux plus douces, comme la Croix-Rouge.
Le troisième axe traite de la relation singulière de la France avec la fraternité. D’un côté, notre pays apparaît comme méritant la cuillère en bois de la fraternité. Jules César fût le premier à décrire, dans la guerre des Gaules, l’exceptionnelle aptitude des tribus gauloises à se quereller, à se diviser. Notre pays apparaît à beaucoup comme la patrie de la discorde, une terre de fractures.
De plus, la verticalité propre à la France conduit les Français à regarder vers le haut quand un problème survient et non à sa droite et à sa gauche. Enfin, l’ampleur de l’appareil de redistribution français conduit un grand nombre de nos concitoyens à considérer qu’il revient à l’État de s’occuper de s’occuper de ceux qui souffrent, et non à eux.
Et pourtant, de l’autre côté, les Français se révèlent capables de magnifiques fraternités. Les Restos du cœur, la Société des membres de la Légion d’honneur, la Fondation des apprentis d’Auteuil, le Téléthon, Aide à toute détresse, le Secours Catholique, autant d’exemples parmi des milliers, d’initiatives belles, généreuses et utiles. Néanmoins, quand on regarde les chiffres, en quantité de dons et en nombre de donateurs, les Français sont moins généreux que leurs voisins européens.
Le quatrième axe du livre montre que les Français ont le choix. Nous avons le choix. Nous pouvons réserver la fraternité à certains moments, comme la Coupe du Monde de Football ou les Jeux Olympiques. Ce serait pitoyable. Nous pouvons aussi focaliser la fraternité vers ceux qui en sont, psychologiquement ou professionnellement, les plus capables. Ils seraient « les fraternels », les autres se désintéresseraient de la fraternité. Ce serait une terrible régression. Nous pouvons aussi faire un choix radical. Qu’au XXIème siècle, la fraternité demeure LA valeur de la France, supplantant la liberté et l’égalité. Cela aurait apparemment de la gueule, mais ce serait aussi une inacceptable régression.
Enfin, nous pouvons faire le choix de la fraternité de tous pour tous. Que chacun d’entre nous soit à la fois producteur et receveur de fraternité. Songeons que la fraternité, donnée ou reçue, peut prendre des milliers de formes : un don, un partage, un sourire, un conseil, un coaching, un accueil… La fraternité en France sera ce que nous déciderons d’en faire.
Je veux terminer cet article par une idée et cinq chiffres. J’emprunte l’idée à Victor Hugo. Il déclarait que la liberté et l’égalité sont des droits et la fraternité un devoir. En fait, la fraternité est à la fois une valeur et une attitude. Mais comment s’étonner que les Français préfèrent les droits, dont ils demandent toujours plus, au devoir ? Et comment s’étonner des résistances à la réhabilitation de ce devoir ?
Cinq chiffres, quatre aux États- Unis et un en France. En 1958, 33% des démocrates disaient vouloir que leurs filles épousent un démocrate et 25% des républicains que leurs filles se marient avec un républicain. En 2016, 60% des Démocrates et 63% des Républicains pensaient ainsi. Quelle triste polarisation ! En France, aujourd’hui, six millions de Français vivent dans la solitude. Ils ne rencontrent que trois personnes par an. Oui, trois personnes !
Cette solitude, ce n’est pas la fraternité, c’est l’inverse de la fraternité.
Au risque de me répéter, j’insiste sur une idée simple : la fraternité en France ne sera pas ce que le Président, le gouvernement ou l’Etat décidera. Elle sera ce que chacun de nous, chaque famille, en fera. À tous, mon appel est : au boulot !
Published by La rédaction