Métaux rares : 10 idées reçues décryptées par les HEC
1. La transition énergétique repose sur l’utilisation de ressources minérales dont l’extraction a un impact environnemental et humain désastreux.
Guillaume Pitron, journaliste, auteur de La Guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique (éd. LLL, 2018)
VRAI L’urgence est de réduire nos émissions de CO2 . Pour construire des voitures électriques, des éoliennes offshore et des panneaux solaires, nous avons besoin de métaux rares. Non pas parce qu’ils sont rares, mais parce qu’ils sont très dilués dans l’écorce terrestre. Parmi eux, on trouve les « terres rares », qui se subdivisent en une quinzaine de métaux comme le néodyme, l’europium, le gadolinium, etc. Or, il faut déplacer de nombreuses roches et mobiliser de l’eau en très grande quantité pour pouvoir raffiner et purifier ces ressources. Ces processus très polluants supposent le recours à de nombreux produits chimiques. Les pays qui produisent ces métaux ne respectent pas les normes écologiques telles que le traitement des eaux usées. Les conséquences sont donc lourdes pour les populations. En Chine, on parle de « villages du cancer » autour des usines de raffinage de terres rares. Par ailleurs, ces métaux et l’ensemble des métaux dits « stratégiques », comme le cuivre, indispensables à l’industrie, pourraient manquer, alors que les besoins explosent. Il y a déjà des tensions entre l’offre et la demande : 90 % des terres rares sont raffinées par la Chine, qui en produit elle-même 60 %. Nous fonçons vers la transition énergétique en ignorant les nouvelles dépendances que cela génère. Les technologies bas carbone ne sont donc pas vertes. Le vrai grand défi du XXIe siècle, c’est l’économie circulaire.
2. Les ressources en terres rares sont concentrées en Chine.
Fabien Bouglé, expert en politique énergétique et auteur de Nucléaire, les vérités cachées (éditions du Rocher, 2021)
FAUX Les terres rares sont présentes dans les sous-sols de nombreux pays, notamment aux États-Unis et en France. Mais la plupart ont renoncé à les extraire en raison de leurs procédés de raffinage polluants nécessitant le recours aux acides oxalique et sulfurique. La Chine est l’un des seuls pays à tolérer les conséquences désastreuses de la production de terres rares sur son environnement et sa population. Dans la région chinoise de Baotou, en Mongolie-Intérieure, le taux de radioactivité est jusqu’à deux fois plus élevé que dans les environs de Tchernobyl. Les nappes phréatiques sont si contaminées que les cas de leucémies et de cancers infantiles sont nombreux. La plupart des autres pays ont, en quelque sorte, fait le choix de délocaliser leur pollution. Ainsi, l’ancien groupe Rhône-Poulenc, qui avait ouvert un site de production à La Rochelle dans les années 1980, a été contraint de le fermer et s’est associé à une usine en Chine. Ce contexte global a permis à la Chine de prendre le contrôle du marché et de s’imposer dans des secteurs comme ceux des semi-conducteurs ou des éoliennes. Et elle entend bien conserver son hégémonie. C’est pourquoi, lors du référendum de la Nouvelle-Calédonie, en décembre, le gouvernement chinois s’intéressait aux débats sur l’indépendance de ce territoire doté de réserves en terres rares.
3. Taiwan détient le monopole du raffinage de silicium, un semi-conducteur.
Thierry Émeraud (E.04), ancien directeur marketing pour l’entreprise de semi-conducteurs Excico
PAS SI SIMPLE Le silicium est un semi-conducteur, c’est-à-dire que ses propriétés physiques lui permettent de basculer entre un conducteur et un isolant. Élément clé de la conception du premier transistor dans les années 1950, il est devenu le composant de base de tout appareil électronique ayant des fonctions automatiques, comme les microprocesseurs présents dans tout ordinateur ou smartphone. S’il est abondant sur terre (on le trouve dans le sable), sa fabrication est concentrée dans une poignée de pays asiatiques. Le raffinage du silicium, l’extraction de lingots ultrapurs par des fours, est un métier sur lequel Taiwan est présent mais au côté de nombreux autres pays comme le Japon ou les États-Unis. En revanche, les Taiwanais occupent une position quasi monopolistique, loin devant la Chine ou Singapour, sur le métier de fondeur, qui consiste à transformer le silicium raffiné en puce. Une place de choix obtenue en investissant massivement depuis plus de vingt ans dans des usines et des outils extrêmement performants de fabrication de composants électroniques. Si bien que la plupart des acteurs majeurs du secteur font appel aux sociétés taïwanaises : TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) ou à ses concurrentes UMC (United Microelectronics Corp.) et SMIC (Semiconductor Manufacturing Int. Corp.). Seuls quelques irréductibles comme Intel ou Samsung continuent à produire leurs chips. Et pour cause. On estime aujourd’hui à environ 1 milliard de dollars l’investissement nécessaire pour ouvrir une usine de composants.
4. Les normes environnementales freinent l’ouverture de sites d’extraction de terres rares en Europe.
Philippe Pelé-Clamour, professeur adjoint à HEC, auteur d’un article sur les terres rares publié par l’IHEDN
VRAI Les terres rares, ce groupe de 17 métaux aux propriétés électromagnétiques, sont des composants essentiels des secteurs en vogue de l’industrie high-tech (smartphones, LED, écrans) et de la transformation énergétique (batteries, turbines d’éoliennes), ce qui implique une demande en hausse constante. Pourtant, malgré leur appellation, ces minéraux ne sont pas rares : ils sont présents de manière abondante dans la croûte terrestre, y compris dans certains pays d’Europe. Le problème est que leur extraction comprend de forts impacts environnementaux : en plus de la modification des paysages, des sols et du régime hydrographique propre à toute exploitation minière, elle requiert une immense quantité d’énergie (il faut traiter plus de 1 000 t de roche pour obtenir 1 kg de lutécium) et implique aussi une possible pollution radioactive du fait de la présence de thorium et d’uranium dans certains gisements. Des conséquences écologiques difficilement acceptables dans nos États européens, où les normes environnementales sont plus strictes. Elles sont moins contraignantes dans des pays-continents où subsistent de vastes espaces inhabités comme la Chine qui produit à elle seule plus de 85 % des terres rares mais aussi l’Inde, le Brésil, l’Australie, la Russie et les États-Unis, qui se partagent le reste de la production. Pour faire face à ce quasi-monopole chinois, des projets d’ouverture de sites d’extraction ont bien été à l’étude sur le vieux continent en Espagne, en Suède ou au Groenland, mais tous ont fait machine arrière pour des raisons écologiques.
5. Les pays producteurs de métaux critiques pourraient être les perdants de la transition énergétique.
John Seaman, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), expert en géopolitique de l’énergie et des ressources naturelles en Asie
VRAI Certains pays producteurs, notamment la Chine, ont réussi à tirer parti de ces ressources pour générer de la valeur ajoutée en créant des chaînes d’approvisionnement en aval et des centres d’innovation ; ce n’est pas le cas pour tous. Aujourd’hui, une grande partie de la production migre vers des pays où les réglementations environnementales et de travail sont moins élevées. Les bénéfices économiques tirés de la transformation de ces métaux en produits utilisables reviennent souvent aux pays développés d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie, loin des mines qui les produisent. En Chine, les communautés locales ont payé un lourd tribut. Avec l’amélioration des normes environnementales, une partie de l’extraction des terres rares s’est déplacée vers le sud, au Myanmar, mais les minéraux extraits sont renvoyés en Chine pour être transformés. L’extraction de cobalt en RDC est un autre exemple : les matières premières sont exportées, générant peu de valeur ajoutée. Des principes directeurs visant à permettre un développement local dans ces pays ont été imaginés par l’OCDE, mais ils se sont révélés impossibles à appliquer. Les nouvelles technologies visant à optimiser l’extraction des ressources ainsi que la revitalisation des mines ou des résidus miniers offrent un espoir pour l’environnement et devraient être explorées par les gouvernements comme par les acteurs du marché.
6. Il n’existe pas de matériaux pouvant se substituer aux métaux rares et semi-conducteurs.
Paolo Bondavalli, chargé des collaborations transversales sur les nanomatériaux
PAS SI SIMPLE Les semi-conducteurs, éléments clés des puces et des batteries dont dépend le fonctionnement des appareils électroniques, sont conçus à partir de terres rares et métaux aux ressources limitées telles que le lithium, le silicium, l’indium ou l’antimoine. Un acteur détient une grande partie des ressources minières de ces minéraux : la Chine. Ce pays étant opaque vis-à-vis de ses réserves, il est difficile de connaître leur degré de rareté. Et en assurant aussi l’exploitation et l’exportation, ils pratiquent une politique de prix bas. Il reviendrait bien plus cher aux importateurs d’investir dans la recherche pour trouver un substitut que de continuer à se fournir auprès de l’empire du Milieu. D’autant que les résultats ne sont pas garantis : pour remplacer le silicium, certains utilisent du graphène ou des nanotubes de carbone, mais ils se sont avérés difficiles à maîtriser et compliqués à intégrer sur les chaînes de production. La seule issue serait de passer à une architecture différente des dispositifs. Cela pourrait être l’occasion d’utiliser les matériaux topologiques très prometteurs. Mais cela impliquerait des coûts énormes, et le développement d’une nouvelle technologie prenant au moins cinq ans, cela comporterait le risque de prendre un retard technologique sur la concurrence.
7. Dans cent ans, il y aura encore du pétrole mais les réserves de cuivre et de lithium, nécessaires pour produire des voitures électriques, seront épuisées.
Louis Gorintin, responsable de l’activité nanotechnologie des matériaux avancés au sein d’Engie Lab Crigen
PLUTÔT FAUX Difficile de savoir quand les réserves pétrolières de la planète arriveront à épuisement. Les réserves trouvées dans le sol tendent à montrer qu’il nous resterait encore environ quarante ans… mais c’était la même chose il y a quarante ans ! Les technologies de cartographie du sous-sol ainsi que la compréhension des phénomènes géologiques, géophysiques et géochimiques associés permettent d’aller chercher de nouvelles réserves encore insoupçonnables il y a quelques décennies. Les découvertes de gisements offshore sont récurrentes. Le Canada exploite des systèmes bitumineux, les États-Unis produisent du pétrole grâce aux gouttelettes d’huile présentes dans les roches poreuses, les capacités de forage sont de plus en plus profondes. Il semblerait que la fin du pétrole dépende surtout de notre bonne volonté. Quant aux métaux essentiels à la fabrication des voitures électriques, comme le lithium, élément clé des batteries, le problème est différent. Si le plus gros des réserves mondiales est concentré dans une poignée de pays (Bolivie, Chili, Chine, Australie, Argentine), il en existe aussi en Europe où un gisement très important vient d’être découvert au Portugal, mais aussi en France. Nombre de ces réserves ne sont pas exploitées, que ce soit pour des raisons de savoir-faire, comme en Amérique du Sud, ou écologiques, comme en Europe. Quant à la production, nous dépendons largement du Sud-Est asiatique.
8. Les technologies de batteries électriques sans lithium ni métaux rares ne sont pas encore au point.
Pascal Boulanger (E.07), fondateur de Nawa Technologies
FAUX Les batteries au lithium contiennent de nombreux métaux rares : le nickel, le manganèse, le vanadium mais aussi le cuivre, dont la durée d’exploitation est estimée à moins de cinquante ans. Cela signifie que nos petits-enfants ne pourront plus utiliser cette technologie de batterie. Des recherches sont donc menées afin de concevoir des batteries permettant de supprimer ou réduire l’utilisation de ces métaux. Certains travaillent sur des batteries lithium-phosphate-fer, des batteries à électrolyte solide, des batteries au sodium… Nawa Technologies fabrique des batteries à base de nanotubes de carbone biosourcé facilement recyclables. Leur autonomie est certes inférieure mais elles se rechargent en quelques minutes. Elles peuvent être utilisées pour l’outillage, les capteurs communicants ou pour certains véhicules électriques. La production industrielle de ces batteries au carbone ultrarapides est en cours de lancement. Par ailleurs, cette société travaille avec des partenaires au développement d’une batterie « duale » combinant une batterie au carbone ultrarapide et une batterie classique. Sa principale application est la mobilité électrique. Ce dispositif hybride allie en effet stockage et récupération d’énergie durant les phases de freinage pour un rapport poids/autonomie optimal. Nawa Technologie a ainsi mis au point la Nawa Racer. Un prototype de moto électrique qui ne pèse pas plus de 150 kg et qui peut atteindre 150 km/h et 300 km d’autonomie en mode urbain.
9. Le recyclage des métaux contenus dans les appareils électroniques est aujourd’hui trop complexe.
Éric Pirard, ingénieur-géologue, professeur spécialisé en économie circulaire des métaux et minéraux à l’Université de Liège
VRAI Sur le plan économique, la matière contenue dans les téléphones portables, ordinateurs, tablettes, a une faible valeur résiduelle. Il y a quinze-vingt ans, quand on a commencé à être submergé par ces déchets, qu’il a fallu payer pour les mettre en décharge, on a commencé à s’intéresser au recyclage. Certaines entreprises cherchaient à récupérer l’or présent dans les systèmes électroniques. Mais ces derniers en contiennent de moins en moins aujourd’hui. Le gallium, l’indium, l’europium ne coûtent pas cher. Il est plus avantageux de les tirer de la mine primaire que de les recycler. Sur le plan technique, il est aussi très difficile de récupérer ces métaux utilisés à des échelles submicroscopiques et associés entre eux. La métallurgie actuelle ne sait pas défaire ce qui a été fait. En laboratoire, on arrive à isoler et récupérer certains métaux (manganèse, cobalt, nickel) d’une batterie lithium-ion. Mais le temps que l’on passe à l’étape industrielle, les batteries auront évolué et les procédés seront caducs. Les consommateurs déculpabilisent en pensant que leurs appareils seront recyclés alors que la fraction de matière qui sera vraiment revalorisée est encore très faible. Le recyclage des métaux critiques n’en est qu’au b.a.-ba. Il faut savoir qu’il ne signerait pas la fin des mines. Les métaux critiques recyclés ne suffiraient pas à satisfaire la demande exponentielle. Les déchets technologiques représenteront demain un défi bien plus grand que celui des seuls déchets nucléaires.
10. Des accords prévoient l’ouverture de sites d’extraction de minerais rares dans l’espace.
Luca Boccaletto (E.16), chercheur à l’Agence spatiale européenne
FAUX À l’heure où certains métaux se font de plus en plus rares sur Terre, la tentation est grande d’aller s’approvisionner dans l’espace. On trouve en effet toute sorte de minéraux : du fer, du silicium ou du nickel sur les astéroïdes, du régolite, du palladium ou du théridium sur la Lune, sans parler de Mars. S’il est onéreux de tenter de les rapporter sur Terre (les estimations oscillent autour de 100 000 euros le kg rapporté), une exploitation in situ, environ dix fois moins chère, est en revanche envisagée. L’une des idées évoquées serait d’avoir une présence permanente sur la Lune et de construire des modules habitables grâce à ces matériaux. Mais le véritable problème réside dans le fait que l’exploitation de l’espace est très peu régulée. Le traité de l’Espace, signé en 1967, se limite à le définir comme tout ce qui se trouve à plus de 80 km d’altitude et à allouer des fréquences pour les satellites de télécommunications. En 2020, les ressources spatiales sont bel et bien évoquées par les accords Artémis, mais ils stipulent simplement qu’elles doivent être utilisées « de la meilleure manière possible » … En outre, seuls huit États les ont ratifiés : les États-Unis, l’Australie, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni, le Luxembourg, le Japon, l’Italie et le Canada, c’est-à-dire des pays « amis » des États-Unis. Il manque donc des acteurs majeurs de la conquête spatiale comme la Chine, la Russie ou la France. Une telle absence de régulation pourrait s’avérer problématique à l’avenir, c’est même déjà le cas : en novembre, lorsque la Russie a lancé un missile pour détruire un de ses satellites, les débris générés ont croisé l’orbite de la Station spatiale internationale, mais aucune mesure n’a pu être prise pour réprimander cet acte.
Published by La rédaction