Mélody Mitterrand (H.03) : l’école pour neuro-atypiques
Dyslexique, hyperactif, autiste… un enfant sur dix est neuro-atypique. Un diagnostic qui s’accompagne de grandes difficultés scolaires. Pour les aider, Mélody Racine Mitterrand (H.03), passée par Virgin Mobile et Google, a fondé à Paris l’école Walt. Rencontre.
Ce matin, les enfants se sont déguisés en adulte. Ils sont sur leur 31, comme ils disent en éclatant de rire. Veste, chemise blanche et cravate pour l’un. Chemisier bleu et joli foulard crème pour cette jeune fille timide qui s’inquiète un peu : est-elle assez élégante pour qu’on la prenne vraiment pour une grande personne ? Bonne question ! À ces enfants, il est vrai qu’on ne saurait donner d’âge ni de niveau scolaire. Leurs parcours sont aussi inhabituels que chaotiques. Nous sommes à l’école Walt, à Paris, en plein cœur du 11e arrondissement. La petite vingtaine d’élèves a entre 7 et 17 ans. S’ils sont aujourd’hui en tenue du dimanche, c’est pour faire mieux connaître cette structure unique en son genre qui a ouvert ses portes il y a un peu plus d’une année. La troupe prépare une vidéo promotionnelle avec l’aide de l’association BaKa, spécialisée dans la réalisation de courts métrages avec des publics touchés par un handicap. L’expérience avait déjà connu un vif succès, il y a quelques mois : les élèves avaient adoré faire leur cinéma. Alors, ils remettent ça ! Dans cette école de seulement deux classes, tout est bon pour favoriser les apprentissages sans passe par les chemins académiques. Surtout, rien n’est superflu quand il s’agit de doper l’estime de soi et d’encourager la créativité.
Stimulations positives
« Ici, on va chercher le talent là où il est, sans jamais mettre les enfants dans des cases », martèle Melody Racine Mitterrand, 42 ans, diplômée d’HEC (H.03). C’est à elle qu’on doit la création de ce singulier établissement fréquenté par des écoliers qui, précisément, ne rentraient pas dans les cases. Difficultés d’apprentissage, hyperactivité, troubles du spectre autistique, troubles cognitifs – les fameux « dys » (dyslexie, dysorthographie, etc.) –, ou encore syndromes génétiques… Tous se sont vu poser un jour l’un de ces diagnostics. Tous se sont heurtés au mur de l’institution scolaire. Agité, asocial, lent, distrait, démotivé, inadapté : tous ont été affublés de ce genre d’étiquettes. À l’école Walt, pas question de nier leurs difficultés, mais pas question non plus de les réduire à cela. «Ce que ces enfants atypiques ont en commun, c’est un cerveau possédant une extraordinaire plasticité, qui est de ce fait très sensible aux stimulations positives, lesquelles permettent de radicalement changer leur trajectoire », détaille-t-elle d’une voix douce. Exemple type : les dyslexiques. Les études scientifiques le montrent, nombreux sont ceux qui développent une très grande créativité.
“Moi qui avais regretté de ne pas avoir fait médecine, j’avais besoin de donner plus de sens à ma vie”
À l’instar d’un certain Walt Disney, d’où le nom de l’école ! Sa dyslexie lui posa d’importantes difficultés au cours de sa scolarité, mais c’est par elle qu’il devint plus tard le génie créatif que l’on connaît. Aussi l’école Walt s’est-elle choisi ce mot d’ordre : « Sors de ta case ! » Quant au mur de l’entrée, il est couvert de figures célèbres : Albert Einstein, Steve Jobs, Andy Warhol, Isaac Newton, Jennifer Aniston… «Tous ont ou auraient probablement été diagnostiqués neuro-atypiques », observe Constance Capy-Baudeau, la cofondatrice de l’école. Amie de longue date de Mélody Racine Mitterrand, diplômée de la même promo HEC (H.03), elle aussi a changé de trajectoire pour rejoindre ce projet. « Dans notre établissement, nous avons une vision créative du développement et de la réussite », ajoute Cécile Tlili, ex-ingénieure diplômée de l’École des mines, qui fait aussi partie de l’équipe. Si l’on regarde bien, on peut dire que les trois dirigeantes de cette école pilote ont coché toutes les cases du parcours classique des élèves modèles. L’itinéraire de Mélody passe par une scolarité sans embûches. Puis, comme attendu, par une carrière au top : d’abord auprès de Geoffroy Roux de Bézieux, époque Virgin Mobile France ; ensuite au marketing de la filiale française de Google. « Quinze années d’une vie très épanouissante », reconnaît-elle. En 2016, toutefois, elle décide de prendre un tournant. « J’étais sur le point de créer ma propre start-up, se souvient-elle. Les choses étaient déjà bien engagées, mais soudain, j’ai ressenti que ce n’était pas la route que je voulais prendre. Moi qui avais toujours regretté de ne pas avoir fait médecine, j’avais besoin de donner plus de sens à ma vie professionnelle et de mettre mon savoir-faire entrepreneurial au service d’un projet qui ait un impact sur la société. »
Mélody décide de se pencher sur ce sujet complexe de l’accompagnement des élèves neuro-atypiques. Pourquoi cet intérêt ? À cette question, elle préfère rester évasive et pudique. On n’en saura pas plus. Tout juste, précise-t-elle au fil de la conversation, que ses trois enfants ont la chance d’être scolarisés dans le système classique et d’y être plutôt heureux. Avant d’interroger à son tour : « Qui n’a jamais croisé, dans son entourage familial ou amical, un parent ne sachant plus quoi faire pour son enfant en très grand échec scolaire ? » En France, les chiffres sont connus. Au moins un enfant sur dix est neuro-atypique.
Accompagnement multidisciplinaire
familiale l’est tout autant : les deux tiers des mères doivent arrêter de travailler pour libérer le temps nécessaire aux prises en charge. L’école Walt a le désir d’en finir avec ce parcours du combattant des parents qui enchaînent pour leur enfant les rendez-vous chez l’orthophoniste, le psychologue, le psychomotricien… Ici, tout ou presque se passe au même endroit. En plus des apprentissages fondamentaux, délivrés chaque matin par Arthur et Anaïs, les deux enseignants, l’élève bénéficie d’interventions ciblées. À quoi s’ajoutent quantité de stimulations qu’une école classique ne peut offrir : musicothérapie, art-thérapie, ateliers de programmation robotique… « Surtout, les professionnels peuvent se concerter, affiner leur action en fonction de ce que leur disent les autres intervenants. Cette coopération autour de l’enfant constitue un progrès considérable », observe Mélody Racine Mitterrand.
Avant d’ouvrir son établissement scolaire, notre chercheuse de solutions a eu l’occasion de se rendre assez fréquemment en Californie. Elle a pu mesurer à quel point la prise en charge, là-bas, avait une longueur d’avance. Du côté de San Francisco, sa curiosité lui a permis de tisser des liens avec de nombreux experts. Elle a aussi découvert la méthode Feldenkrais. Fondée sur la prise de conscience par le mouvement, cette dernière est une approche corporelle holistique qui produit de nombreuses améliorations sur les dysfonctions liées aux troubles cognitifs. Depuis six années maintenant, elle épluche aussi les publications scientifiques et compile tout ce qui lui semble utile pour favoriser les apprentissages, de la méthode de lecture spécifique pour « dys » au programme numérique sur mesure. Une expertise qui l’a amenée à fonder, dès 2016, le Neuro Groupe, une association d’intérêt général dont le but est de recenser des solutions puis de les diffuser en open source. De là est né le collectif « Sors de ta case », dont l’un des objectifs est de proposer aux enfants des stages intensifs au cours desquels ils peuvent expérimenter une quinzaine de méthodes corporelles, comportementales, sensorielles et cognitives, telles que l’ergothérapie ou la médiation par le chien. Des techniques parfois méconnues en France, mais dont l’efficacité est reconnue dans les pays scandinaves, au Canada, aux États Unis, en Angleterre, Suisse, Israël… « Quand on agit ainsi, en conjuguant différentes pratiques, les résultats sont souvent bluffants », note la fondatrice.
Mais cette façon de travailler a un coût. La scolarité est de 10 000 euros l’année. Alors qu’une seconde école ouvrira en septembre à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, s’ajoute une nouvelle bataille : rendre plus accessible les solutions proposées. À Paris, la moitié des familles reçoit une bourse de l’école. Mais pour cela, pas de secret, il faut de l’argent. Retour face à la caméra. Début de l’après-midi, les élèves commencent leur tournage. Le titre du film est limpide : Ils ont été sages, donnez-leur votre taxe d’apprentissage ! Les saynètes montrent un jeune président de la République, des enfants déguisés en manifestants, des pancartes… « S’il y a une chose dont nous avons besoin, en plus des dons, c’est de cette aide qui est facile à donner quand on est à la tête d’une entreprise, insiste Mélody Racine Mitterrand. La taxe d’apprentissage peut être attribuée à hauteur de 13 % de son montant à l’organisme de formation que l’on veut. Et l’école Walt fait partie des établissements éligibles. » Message reçu ?
Published by La rédaction