Massimo Tammaro (T.15), L’esthète de l’air
Ancien pilote de chasse, passé par Ferrari F1, Massimo Tammaro (T.15) collectionne les exploits de voltige aérienne, les conférences TED et tout un florilège de petites victoires, y compris sur Kadhafi. Mais ce n’est pas tout.
J’ avais ces premiers éléments de biographie à l’esprit quand je suis arrivé devant le portail de la Villa Bartolini-Tammaro, à 70 km à l’est de Venise. L’ouverture automatique ne fonctionnait pas. « Hello ! Il faut vraiment que je change les batteries de ce truc » furent donc les premiers mots de notre entretien. Contrairement à ce que laissent croire son CV et son site, Massimo Tammaro n’a pas un abord impressionnant. Taille moyenne, pas timide mais pas très à l’aise devant une caméra, chaleureux dès le premier contact et d’une énergie virevoltante. Jusque dans ses mails où littéralement toutes ses phrases se terminent par un smiley.
Un mini-Guggenheim
À première vue, son palais non plus n’a rien de colossal. Ne pas imaginer une folie clinquante avec macarons et colonnes de marbre. La façade blanche qui s’écaille a la sobriété stricte d’un presbytère de campagne. À l’intérieur, pas de chauffage, peu de mobilier, des bâches et des matériaux de rénovation. « Ce n’est pas très confortable, mais je ne l’aménage pas pour y habiter. »Alors si ce n’est ni pour l’apparat ni pour y vivre, c’est pour quoi, ce projet au long cours qui ponctionne une bonne partie de ses revenus ? « Tout le monde croit que ce qui m’intéresse, ce sont les grosses voitures et les sensations fortes. Mais ma seule passion a toujours été l’art et le patrimoine. »
Il montre volontiers quelques pièces de sa collection de tableaux, entassée en vrac dans une des pièces. Je manque de trébucher sur une sorte de ready-made de Daniel Spoerri, un plateau de vaisselle sous verre où se délitent lentement des restes de petit déjeuner. Œuvre mélancolique qui ne cadre guère avec le style dynamique du propriétaire.
« Voilà pourquoi j’ai acheté ce lieu, annonce-t-il fièrement, pour y exposer la collection commencée quand j’avais 25 ans. Ni ces tableaux ni cette maison ne m’appartiennent tout à fait : ils font partie du patrimoine de l’Italie et du monde et j’ai l’ambition de les rendre accessibles à tous quand la rénovation sera terminée. » Un Musée Tammaro, donc ? « C’est ça, un peu comme les Guggenheim en tout petit. »
Cet amour du patrimoine est un héritage de son père qui chaque année, pendant les vacances, emmenait la famille en voyage culturel. Une fois les cathédrales gothiques, une autre les musées de Paris… »Grâce à lui, je suis allé au moins quinze fois au Louvre ! »
Naissance d’une vocation
En dépit des apparences, le monde pour Massimo Tammaro n’est pas seulement un vaste terrain de jeux qu’on traverse à toute allure. « Mon père a défini très tôt les limites à ne jamais franchir. Il a exprimé cela en quatre valeurs : le travail, l’honnêteté, la loyauté et la modestie. Depuis mes 17 ans, je me tiens rigoureusement à ce code de conduite. C’est à lui que je dois toutes mes réussites. »
À 17 ans justement, il ne file pas un très bon coton. Peu studieux, sa popularité l’a en revanche fait élire délégué de son lycée. Une position dont il profite pour organiser des grèves scolaires et faire les quatre cents coups. Quand vient le moment de décider de son orientation, ce n’est pas une passion de longue date qui le pousse vers la carrière de pilote, ni même le film Top Gun, sorti en salle cette année-là, mais une émotion esthétique. « J’étais au fond de la classe avec mon meilleur ami. Nous étions en train de feuilleter un magazine au lieu d’écouter le prof. Tout d’un coup, on tombe sur la photo d’un F-16 étincelant. On s’est regardés et on a tous les deux pensé : ouais, ça, c’est vraiment cool… »
Il faut encore l’accord du père, qui le reçoit pour lui déclarer solennellement : « Je suis fier de ton choix, mais si tu ne changes pas, ton échec est certain. » La secousse est forte et salutaire. Le jeune Massimo se met au travail d’arrache-pied et termine parmi les premiers au concours d’entrée de l’académie militaire. « Depuis, j’ai pris l’habitude de ne plus rien faire à moitié. Quand je commence un nouveau job, par exemple, je me donne à fond. »
Des années en l’air
Il poursuit sa formation aux États-Unis, à Wichita Falls (Texas) et Colombus (Mississippi). « J’avais 22 ans, j’étais pilote de chasse, indépendant et seul aux États-Unis. Comme début dans la vie, c’était vraiment chouette. »
Après quelques années dans l’armée, qui l’amène à intervenir comme pilote de bombardier dans la guerre de Bosnie, Massimo se fait recruter par les Frecce Tricolori (les Flèches tricolores), la patrouille acrobatique de l’aéronautique militaire italienne, une fierté nationale. « Les Frecce sont la seule formation acrobatique au monde avec dix avions. Il y a au moins 150 fan-clubs dans le pays et à l’étranger. » Il est successivement wingman, leader, puis commandant de la formation. C’est à ce poste qu’il fait ses premières armes de manager. À ce poste aussi qu’il acquiert une renommée nationale.
Massimo, 1 ; Kadhafi, 0
En 2009, le premier ministre Silvio Berlusconi envoie les Frecce en Libye dans le cadre d’une négociation commerciale. « Une très mauvaise idée : la population n’avait aucune envie d’assister à une démonstration de force de l’ancienne puissance coloniale, et les pilotes n’avaient aucune envie de se produire devant un dictateur comme Kadhafi. »
Une fois sur place, Massimo doit en plus faire face à une demande inattendue de la part de l’extravagant despote, qui refuse que la patrouille utilise les fumées tricolores du drapeau italien, exigeant que la parade ne se fasse qu’avec du vert, couleur de son propre drapeau. Et c’est à Massimo que revient, en tant que commandant des Frecce, la responsabilité de gérer cette crise diplomatico-chromatique, et de traiter avec le fils Kadhafi lui-même. « Ils ont eu recours à toutes sortes de méthodes d’intimidation, en me réveillant à 3 heures du matin, en me prenant à partie avec agressivité. C’était très stressant. »
Après une semaine de tension et l’intervention du ministre de la Défense, les Frecce obtiennent gain de cause et volent en tricolore. « Quand je suis rentré, j’étais un véritable héros de la patrie. Je suis devenu un peu célèbre. » Cette célébrité attire l’attention de Ferrari, qui prend contact avec lui lorsque son contrat avec les Frecce Tricolori prend fin.
Une coïncidence étonnante. « Mon travail avec la patrouille était incroyablement excitant, la plus belle expérience de ma vie. Quand la dernière année est arrivée, j’avais peur de ne trouver aucun autre job qui me procure autant d’adrénaline. Alors je me suis acheté un petit carnet Moleskine pour noter mes idées. Et sur la première ligne de la première page, j’avais écrit : » Ferrari « .
Cheval cabré
Au début, les dirigeants de Ferrari n’avaient pas une idée très claire du rôle qu’ils allaient lui donner et lui ne savait pas trop ce qu’il pourrait apporter. « J’avais une forte expérience de management, mais je ne connaissais rien à l’entreprise. C’est d’ailleurs pour cela que je suis entré à HEC, via le programme de formation Trium. » Il est finalement intégré à l’écurie de Formule 1, pour y injecter les savoir-faire des Frecce en matière de communication radio et de management d’équipes à forts ego… « Cela faisait sens, car nous fonctionnions à peu près de la même manière, comme un cirque : on arrivait quelque part, on plantait nos tentes, on faisait le spectacle et on remballait. »
Mais après sept années à la Scuderia, le job devenait trop routinier. « Je n’aime pas faire la même chose trop souvent. Quand j’allais au travail, je changeais chaque jour d’itinéraire et même de place de parking. Mais il est venu un moment où j’étais contraint de répéter et ça ne m’allait plus. »
Aujourd’hui, Massimo veille jalousement sur sa liberté. Consultant, coach, mentor, conférencier, il picore dans différents métiers et refuse toute mission de long cours qui risquerait de l’amarrer à un grand groupe ou de l’installer dans une zone de confort.
Cette liberté, il compte la mettre au service de sa chère villa. « Je la prête gratuitement pour organiser des événements culturels. J’ai aussi accepté un mariage à l’été, d’un type un peu particulier : aucun des invités n’avait été prévenu, ils sont tous arrivés en shorts et en baskets, ne sachant pas du tout à quoi s’attendre. Un événement surprenant, spontané dans un lieu chargé d’histoire, c’est le genre de situations qui me correspond tout à fait ! » Pas étonnant : le marié, c’était lui.
Published by Arthur Haimovici