Mamadou Abdoul Diagne (E.18) : lettre depuis Bamako
Malien diplômé des Mines ParisTech et du mastère Executif MBA d’HEC Paris, MAMADOU ABDOUL DIAGNE (E.18) réside à Bamako, où il a occupé le poste de directeur de production chez Huicoma (groupe Tomota) avant de rejoindre Afrilog, une filiale du groupe CSTT-AO en 2011, en tant que directeur des opérations. Ce spécialiste de la logistique a dû s’adapter aux conséquences de la crise politique.
Comment la crise politique affecte-t-elle le monde des affaires ?
Nous avons connu un coup d’État militaire en 2012. Et plus récemment, deux coups d’État en moins d’un an : en 2020 et au printemps 2021. Une élection est censée se tenir en février, mais je doute que ce délai soit tenu. Il se peut que la période de transition avec la junte militaire se prolonge. L’entreprise dans laquelle je travaille, Afrilog, est spécialisée dans la supply chain et la logistique, et nous sommes directement impactés par ces crises politiques à répétition, qui s’ajoutent à la crise sanitaire… Ce climat crée de fortes tensions sociales : même les banques se sont mises en grève. Nous sortons tout juste de deux grèves des banques, de 72 heures chacune. À chaque fois, cela paralyse complètement l’activité, car aucune transaction financière n’est possible, même pas les virements de salaires, et encore moins les retraits de cash. Or au Mali, les taux de bancarisation sont faibles, nous fonctionnons beaucoup avec de l’argent liquide. Nous avons donc appris à nous adapter en permanence, à suspendre les paiements et à expliquer la situation à nos fournisseurs internationaux.
le Mali est le troisième producteur d’or en Afrique. Les principaux clients d’Afrilog sont des compagnies minières et leurs sous-traitants. Nous travaillons aussi avec des ONG, des industriels et des ambassades. Avec la pandémie, pas mal d’ONG ont expédié des masques. Nous faisons aussi de la logistique pour des équipements de déminage que certaines ONG utilisent contre les mines antipersonnel. En plus des conséquences des coups d’État les acteurs de la logistique sont exposés aux attaques sur certains axes : des convois ont été attaqués par des djihadistes sur la principale voie d’approvisionnement entre Dakar et Bamako. Il y a eu des blessés et des camions calcinés. C’était pourtant un axe sûr jusque-là. Sur des convois provenant du Maroc, un chauffeur a même été tué. Cette situation d’insécurité isole le Mali et fait fuir des partenaires internationaux. Depuis, le gouvernement organise des trajets sous escortes pour les transports de marchandises. Et nous avons adapté nos horaires : quand il y a des risques d’attaques, nos camions ne roulent pas le soir. Il nous arrive aussi de doubler nos effectifs pour renforcer la sécurité.
Nous avons perdu des clients étrangers, qui ont cessé leurs activités après le coup d’État. Globalement, notre chiffre d’affaires a baissé, mais pas dans des proportions catastrophiques, car nous avons aussi de nouveaux clients. Une particularité nous a beaucoup aidés : nous n’avons pas d’expatriés. Chez Afrilog Mali, l’intégralité de l’équipe est malienne. Et c’est pareil pour nos entités en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud, au Burkina, au Ghana et en Guinée. Contrairement à nos concurrents internationaux qui rapatrient leurs collaborateurs en cas de crise, chez nous, personne ne part. C’est un avantage concurrentiel. Les crises successives nous ont obligés à devenir extrêmement flexibles et agiles dans nos opérations. C’est en tout cas la situation à Bamako. Dans le nord et le centre du pays, où sévit la rébellion, les conséquences sont plus graves et les entreprises ont dû tout stopper. Les acteurs de l’agro-business ont licencié tous leurs employés dans ces zones. Sans doute qu’une issue à cette crise se dessinera une fois que les élections auront été organisées. Mais le risque de sanctions internationales et de nouvelles fermetures de frontières, lui, perdure.
Published by Hélène Brunet-Rivaillon