Les dirigeants du groupe Legrand répondent aux HEC
Ce n’est pas un, mais deux dirigeants qui se sont prêtés à notre désormais traditionnelle rencontre avec trois étudiants HEC. Le directeur général de Legrand, Benoît Coquart, 48 ans, et Angeles Garcia-Poveda, 50 ans, présidente du conseil d’administration, ont passé plus d’une heure avec Matthias, Delphine et Laurent pour répondre à leurs questions. Le groupe Legrand a scindé la fonction de PDG en 2018, nommant Benoît Coquart directeur général. Deux ans plus tard, l’Espagnole Angeles Garcia-Poveda remplaçait Gilles Schnepp à la tête du conseil d’administration. Groupe discret au sein du CAC40, Legrand, leader mondial des prises et interrupteurs, pèse tout de même 25 milliards d’euros en Bourse et emploie 37 000 salariés dans 90 pays. Benoît Coquard est un pur produit de la maison limougeaude, qu’il a rejointe dès la fin de ses études en 1997. Il a débuté comme « homme à tout faire » dans la toute jeune filiale coréenne. Administratrice indépendante, Angeles Garcia-Poveda a fait carrière dans les locaux feutrés du BCG, puis du chasseur de têtes Spencer Stuart. Leur complémentarité s’est illustrée pendant l’échange avec les étudiants. Le premier était à son aise pour parler de stratégie, tandis que la seconde a insisté sur la culture d’entreprise engagée et progressiste du groupe. Legrand fait en effet partie des pionniers en matière d’inclusion des personnes LGBT+. Et pour les deux dirigeants, la qualité première des bâtiments du futur sera la sobriété. À terme, les solutions d’efficacité énergétique destinées aux logements, bureaux et centres de données devraient générer la moitié du chiffre d’affaires du groupe. Un enjeu essentiel pour tenir la trajectoire des +2 °C.
Les défis climatiques du bâtiment
Matthias Gaucher-Petitdemange (MBA.23): Le bâtiment représente 44 % de l’énergie consommée en France chaque année. Que fait le groupe Legrand pour accompagner la rénovation thermique des bâtiments ?
Benoît Coquart: Il s’agit d’un enjeu colossal. Nous agissons à deux niveaux : sur nos propres bâtiments et sur ceux qui sont équipés avec nos solutions. Dans le premier cas, nous avons commencé par réduire nos émissions directes : nous nous approvisionnons en énergies renouvelables, nous basculons sur des véhicules électriques, nous optimisons la consommation de nos usines et de nos bureaux, etc. Parallèlement, nous mettons à la disposition de nos clients un ensemble de solutions pour réduire la consommation carbone de leurs logements, bureaux, usines ou centres de données. Ces cinq dernières années, nous avons ainsi permis à nos clients d’économiser plus de dix millions de tonnes de CO
Matthias: Comment?
B.C.: Nos solutions pour réduire les émissions carbone des bâtiments représentent 19 % de notre chiffre d’affaires. On y trouve par exemple les thermostats connectés. Les Français dépensent en moyenne plus de 1 000 euros par an en chauffage, un montant colossal. Un thermostat intelligent permet de réduire cette facture de 10 à 15 % grâce à une meilleure gestion et une mesure précise des consommations. Je vais vous confier une anecdote : pendant le confinement, la consommation d’énergie des foyers français n’a pas augmenté. C’est contre-intuitif, car nous étions tous cloîtrés à la maison. Cela montre que la consommation d’énergie ne baisse pas quand nous quittons notre domicile, ce qui n’est pas normal.
Delphine Marchand (H.22): Vous proposez également des solutions pour les centres de données…
B.C.: Oui, celles-ci génèrent environ 12 % de notre chiffre d’affaires. Nos systèmes gèrent par exemple les flux d’air chaud et froid pour refroidir les serveurs de façon plus économique. Là encore, l’enjeu est important, puisque les data centers devraient consommer 3 % de l’énergie mondiale en 2030, contre 1 % aujourd’hui.
Laurent Dametougle (H.23): Le groupe Legrand fabrique des prises de courant et des interrupteurs, mais aussi, vous l’avez dit, des produits domotiques et des équipements pour les data centers. Quelle est votre conception de la ville de demain et que fait Legrand dans ce domaine?
Angeles Garcia-Poveda: La raison d’être de Legrand est d’améliorer les conditions de vie quotidiennes à travers la transformation des espaces où les gens vivent, travaillent et se rencontrent… Nous nous efforçons de rendre ces espaces plus confortables et moins consommateurs d’énergie. Dans cette optique, les installations connectées ont toute leur utilité.
B.C.: Notre vision est que le bâtiment de demain sera plus confortable, frugal et connecté
Laurent: Plus frugal et plus connecté, n’est-ce pas antinomique? Les capteurs consomment de l’électricité.
B.C.: Je ne suis pas de cet avis : le contrôle des lumières et des températures permet de diminuer le gaspillage et de consommer moins. Autre exemple, nous avons lancé un interrupteur sans fils et sans pile, alimenté par la force de la poussée. En enfonçant l’interrupteur, vous envoyez de l’énergie. Il n’y a donc plus besoin de piles, de câbles ou de tranchées dans les murs !
Delphine: À quoi ressemblera le bâtiment de 2050? Faites-nous rêver un peu !
B.C.: Je me méfie des grandes visions sur le bâtiment dans trente ans. Dans les années 1990, quand on parlait de la voiture de demain, on pensait au film Blade Runner et à ses voitures volantes ! Ce n’est pas vraiment la norme aujourd’hui. Les gens ne veulent pas de la technologie pour la technologie. Ils souhaitent avoir un véhicule sûr, agréable et peu polluant. C’est la même chose pour les bâtiments. Les habitants cherchent des bénéfices simples et financièrement accessibles. Je me souviens de ce futurologue qui prédisait l’essor de robots majordomes dans les appartements. Mais qui est prêt à payer 20 000 euros pour ça ? Je pense au contraire que nos sociétés s’orientent vers plus de sobriété.
Une multinationale engagée
Laurent: Legrand commercialise ses produits dans 180 pays. Quelles sont les zones prioritaires et pourquoi?
B.C.: En simplifiant un peu, l’Europe génère 40 % de nos ventes, l’Amérique du Nord 40 % et les autres régions 20 %. Nous devons nous renforcer en Chine et en Inde, deux puissances émergentes. L’Afrique offre également un beau potentiel.
A.G.P.: Quand nous nous implantons quelque part, c’est pour y occuper une position de leader. Deux tiers de nos ventes sont réalisés avec des positions de leadership, c’est-à-dire numéro 1 ou 2 du marché dans un pays donné et pour un produit donné.
Matthias: Quelles leçons tirez-vous de l’échec du Lab By Legrand, le showroom que vous aviez ouvert à Paris et qui est aujourd’hui fermé?
B.C.: Le Lab n’était pas un échec ! Nous l’avons effectivement fermé il y a quelques années, car les particuliers ont moins besoin de lieux physiques que par le passé. Ils utilisent Internet pour faire leurs recherches sur les produits. Nous avons donc préféré concentrer nos efforts commerciaux sur le numérique. Grâce au web, nous pouvons nous adresser directement au particulier et à l’architecte. Cela améliore notre mix. Les clients ont ainsi accès à des finitions d’appareillage plus déco (en bois, métal, porcelaine, en verre, de couleur…) et à des fonctionnalités qui apportent un bénéfice complémentaire, telles que la connectivité.
Matthias: Notre interview a lieu à quelques jours de l’ouverture de la COP26. Comment Legrand s’implique-t-il dans la lutte contre le changement climatique?
A.G.P.: Le groupe s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 50 % pour ses émissions directes et de 15 % pour ses émissions indirectes entre 2019 et 2030. Et à être neutre en termes d’impact carbone d’ici à 2050. Cette trajectoire a récemment été validée par l’initiative Science Based Targets, qui regroupe le Carbone Disclosure Project, le Global Compact des Nations unies, le WWF et le World Resources Institute (WRI).
B.C.: Nous avons signé le Manifeste pour le climat lors de la COP21, puis le French Business Climate Pledge en 2017. Nous voulons contribuer à un effet d’entraînement. En effet, les entreprises doivent se mobiliser pour changer la trajectoire actuelle, qui nous amènerait à des hausses de température dangereuses, de l’ordre de 3 à 4 °C.
A.G.P.: Benoît a proposé dès juillet 2020 de relever nos objectifs, sans attendre la COP26, alors que nous étions déjà dans la moyenne du marché.
B.C.: Oui, et nous associons les équipes à la démarche en les intéressant financièrement aux résultats : un tiers de l’intéressement long terme des patrons de pays est lié à la performance RSE de leur filiale.
« Notre objectif est d’atteindre un tiers de femmes aux postes-clés en 2030, contre 17,5 % fin 2020 »
Matthias: Mais le particulier lambda qui achète son interrupteur chez Legrand est-il au courant de ces initiatives ?
B.C.: Ce n’est pas évident pour nous de communiquer sur ces sujets, d’autant que nous sommes positionnés en BtoBtoC [NDLR : business-to-business-toconsumer – Legrand génère une grosse partie de ses ventes par l’intermédiaire d’électriciens ou d’entrepreneurs du bâtiment qui s’approvisionnent auprès de distributeurs]. Nous publions beaucoup de messages autour des sujets de RSE, mais nous devons nous améliorer pour simplifier le discours et le rendre plus percutant.
Laurent: Vous parlez de RSE, qu’en est-il de la diversité chez Legrand ?
A.G.P.: Nous avons publié des objectifs clairs en la matière. Nous atteindrons un tiers de femmes aux postes-clés en 2030, contre 17,5 % fin 2020. Notre comité exécutif est composé de 4 femmes et 6 hommes, soit 40 % de femmes, contre 22 % en moyenne en France. Le conseil d’administration, hors membres représentant les salariés, compte 5 femmes pour 7 hommes, ce qui correspond à un ratio de 42 %, supérieur au minimum légal de 40 %. Par ailleurs, Benoît a revu le système de promotions pour que toute liste de candidats à un poste contienne au moins une femme. Cela nous pousse à imaginer des mouvements plus audacieux, comme de passer un poste fonctionnel (RH, finance, communication, …) à une responsabilité de P&L. Notre directrice de l’audit interne puis de la RSE vient par exemple d’être nommée patronne de notre filiale vietnamienne.
Laurent: Et les salariés LGBT+ ?
B.C.: Notre engagement en ce domaine est plus récent, il date d’il y a trois ans, mais nous voulons créer une culture d’entreprise qui permette à tout le monde de se sentir bien chez Legrand. Nous avons signé la charte de L’Autre Cercle pour l’inclusion des personnes LGBT+ au travail. Nous formons les salariés à notre politique d’inclusion. Cette année, une ingénieure transgenre de Legrand a été nommée « rôle-modèle » par l’Autre Cercle. Elle avait intégré le siège de Limoges en 2018, avant de faire sa transition de genre. Ce que nous constatons en revanche, c’est qu’il est beaucoup plus compliqué de faire son coming-out quand on travaille dans une usine. Notre réseau LGBT+ est surtout composé de cadres ayant des fonctions de bureau.
Delphine: Revenons au business. Comment résistez-vous à la tentation de délocaliser pour rester compétitif face aux acteurs chinois?
B.C.: Délocaliser aussi loin ne vaut pas tellement le coup. En produisant en Chine, nous ferions des économies de main-d’œuvre, mais nous perdrions en contrôle qualité et nos coûts de transport s’envoleraient. Fabriquer en France constitue en outre un argument commercial. Legrand est le seul fabricant français de prises et d’interrupteurs. Je crois beaucoup à la relocalisation industrielle et je milite pour une taxe carbone aux frontières [NDLR : lire l’article « Pour ou contre une taxe carbone aux frontières de l’UE ? », HEC Stories n° 10, juillet 2021].
Matthias: Legrand a réalisé plus de 175 acquisitions dans son histoire. Comment vous y prenez-vous pour intégrer ces sociétés? Y a-t-il une « recette » Legrand?
B.C.: Nous ne faisons pas du retournement d’entreprises en difficulté. Nous rachetons des sociétés en bonne santé. Nous avons industrialisé le processus d’intégration, qui passe en revue les critères les plus importants : rétention des talents, cybersécurité, qualité des produits… Plus l’entreprise est petite, plus c’est difficile de l’arrimer. Mais globalement, cela fonctionne bien.
A.G.P.: Il s’agit souvent de sociétés de petite ou moyenne taille, dont les fondateurs sont aux manettes. Nous avons appris à gérer au mieux la relation avec les entreprises nouvellement acquises. Nous abordons chaque rachat avec respect, sans arrogance. Ce n’est pas le géant qui avale le petit. Entre trois et sept opérations de ce type sont menées chaque année. Au-delà d’un certain montant, l’acquisition nécessite l’aval du conseil d’administration. Ces deals font partie de la vie du conseil, car ils constituent l’un des moteurs de la croissance du groupe.
B.C.: Oui, d’ailleurs, nous suivons en permanence un « pipeline » de cibles. Nous gardons un œil sur 300 entreprises environ. La croissance externe relève d’une démarche stratégique, pas seulement opportuniste.
Laurent: Vous avez forcément connu des échecs d’intégration. Comment les expliquez-vous et quelles leçons en avez-vous tirées?
B.C.: Le marché peut évoluer et l’entreprise s’avérer moins attractive que prévu, notamment si elle dépend fortement d’une personne ou d’un produit. Je me souviens, par exemple, d’une PME dans un pays émergent dont la position commerciale était moins intéressante que nous l’avions imaginé.
Matthias: J’ai travaillé pour Montupet, une entreprise française qui fabrique des pièces pour l’industrie automobile. Elle a été rachetée par l’équipementier canadien Linamar. L’intégration s’est mal passée. J’entends que vous réalisez des acquisitions sans donner de leçons, mais n’y a-t-il pas des problèmes culturels quand les cibles sont étrangères?
B.C.: Non. Nous sommes une entreprise basée à Limoges. Nous nous appuyons beaucoup sur les équipes locales. Dans notre filiale indienne, nous avons un seul Français pour plus de 5 000 collaborateurs ! Je pense que nous avons le bon état d’esprit. Nous avançons sans prétention. Cela m’arrive d’avoir des discussions très instructives avec des patrons de sociétés acquises qui génèrent 30 millions d’euros de ventes, qui me donnent des conseils précieux ! Ces fondateurs ont su créer et faire grandir une entreprise en partant de zéro, donc j’ai forcément des choses à apprendre d’eux.
Matthias: En 2018, des perquisitions ont été menées chez Legrand, Schneider Electric, Sonepar et Rexel suite à des soupçons d’entente. Qu’a donné cette enquête?
B.C.: Nous ne communiquons pas sur ce genre de sujet. Toutes les entreprises de notre taille font l’objet de procédures, que ce soit sur la propriété intellectuelle, la concurrence, etc. Cela fait partie de la vie d’un groupe coté.
Matthias: Cette affaire ne montre-t-elle pas qu’il faudrait davantage de concurrence dans la fabrication et la distribution d’appareils électriques?
B.C.: La concurrence est effrénée, détrompez-vous ! Si vous cherchez un disjoncteur, vous trouverez plus d’une centaine de modèles sur Internet. Legrand sera probablement un des plus chers. Pas à cause du manque de concurrence, mais parce qu’en achetant un produit Legrand, vous bénéficierez de produits de qualité, aux fonctions évoluées, disponibles partout en France, faciles à installer, avec un service après-vente de pointe.
Un tandem homme- femme à la tête du groupe
Matthias: Monsieur Coquart, vous avez démarré votre parcours chez Legrand en Corée du Sud. J’ai des attaches familiales dans ce pays, puisque ma femme est coréenne. Quels souvenirs personnels et professionnels gardez-vous de votre passage au Pays du matin calme?
B.C.: J’adore la Corée. J’avais 24 ans quand j’ai décollé pour Séoul. J’y ai monté un bureau de représentation, et j’étais à la fois le patron, le secrétaire et le vendeur. J’ai beaucoup aimé les Coréens et leur mode de vie. Depuis, je ne manque pas une occasion de m’y rendre, même si nous n’avons pas une grosse activité là-bas !
Delphine: Madame Garcia Poveda, il n’y a aucune DG et seulement deux présidentes – dont vous – au sein du CAC40. Quelles difficultés avez-vous traversées en tant que femme pour parvenir jusqu’à votre fonction actuelle?
A.G.P.: J’ai connu des épreuves, oui, mais je ne sais pas si c’était en tant que femme ou en tant que professionnel ayant à gérer en plus une vie familiale. J’ai eu la chance d’intégrer des organisations qui sont orientées sur la performance et qui ont développé des cultures de travail très ouvertes. Ça m’a protégée d’un tas de difficultés. Je n’ai pas eu à me battre plus que de raison pour montrer ce que j’étais capable de faire. Est-ce que c’est dur ? Oui. Mais cumuler une vie professionnelle et familiale, c’est dur aussi pour les hommes. On est en permanence sur la ligne de crête.
Delphine: Avez-vous observé une évolution dans la place des femmes au cours de ces trente dernières années? Pensez-vous que certains secteurs soient plus avancés sur ces sujets?
A.G.P.: Je n’aime pas les généralités. Certains groupes ont mieux réfléchi que d’autres à la question, c’est certain. C’est une question de culture : il faut mettre en place des systèmes RH performants, donner du feedback à tous les niveaux, etc. Au niveau individuel, il faut avoir l’audace de dire « oui » à un poste, même si on ne se sent pas complètement prête. Lorsque j’ai occupé mon premier poste de DG, dans le conseil, honnêtement, je n’étais pas prête… Le plafond de verre et la discrimination existent, ne nous leurrons pas, mais les femmes ne sont pas impuissantes face à un système fermé. Nous avons un rôle à jouer. J’ai 51 ans et j’ai déjà eu trois vies professionnelles : le conseil, le recrutement et désormais cette carrière d’administratrice, qui me passionne. C’est très stimulant. Il y a vingt cinq ou trente ans, un profil comme le mien aurait été inenvisageable.
Delphine: Comment fonctionne votre binôme? Mme Garcia Poveda donne le cap et M. Coquart décline la stratégie?
A.G.P.: Je m’occupe de la gouvernance et du conseil d’administration. Benoît dirige l’entreprise et est responsable de sa gestion. La stratégie est proposée au conseil à l’initiative du management. Notre binôme permet de nous challenger l’un l’autre, de croiser nos perspectives et d’éviter les angles morts.
Delphine: Quel est l’intérêt de dissocier les fonctions de président et de DG?
A.G.P.: Il est compliqué d’assurer les deux rôles en même temps, d’autant que, compte tenu de la manière dont ils sont assurés chez Legrand, ces deux postes demandent une grosse charge de travail. Il faut pouvoir aller en profondeur. Nous avons beaucoup de sujets à traiter, sur lesquels nous devons aussi avoir l’adhésion de notre conseil. N’imaginez pas que nous nous voyons cinq fois par an pendant deux heures ! Nous travaillons main dans la main. D’ailleurs, Benoît est administrateur.
«Notre chiffre d’affaires a chuté de 90 % en Inde début 2020 »
Delphine: Quel est le sujet qui vous a demandé le plus d’énergie, en tant que président du conseil d’administration?
A.G.P.: Nous avons passé beaucoup de temps au conseil sur le sujet climatique. J’ai organisé une journée de formation pour que les membres du conseil puissent tous renforcer leurs connaissances sur la question du climat. Nous voulions partir d’un socle de connaissances commun.
Delphine: Quel a été le moment le plus difficile pour vous en tant qu’administratrice ?
A.G.P.: Le confinement. Le conseil se tient huit fois par an. Les administrateurs ne se voient pas si souvent que ça, alors si vous rajoutez la distance… Il a fallu un temps d’adaptation pour communiquer de façon fluide et mener les débats en ligne. Mais cela a aussi ouvert des opportunités. Par exemple, la journée de formation sur le climat dont je parlais à l’instant s’est déroulée en ligne, ce qui nous a permis de faire intervenir des experts basés à l’étranger. Il faudra tirer les enseignements de cette période. Il y a des choses à garder, notamment la flexibilité que cela procure.
Laurent: Est-il courant que le DG soit aussi administrateur?
B.C.: Oui, même si ça n’est pas le cas dans 100 % des entreprises. J’assiste à toutes les séances du conseil, sauf celles qui concernent ma rémunération.
Laurent: Quel a été le meilleur et le pire moment pour chacun de vous chez Legrand?
B.C.: Le pire, ça a été le premier confinement. Notre chiffre d’affaires s’est effondré dans certains pays, jusqu’à 90 % en Inde en avril 2020 ! Mon meilleur souvenir, c’est quand nous avons reçu les résultats de notre enquête auprès des salariés en 2021. Le taux d’engagement était passé à 80 %, contre 69 % en 2017. C’était très réconfortant de savoir que les collaborateurs se sentaient encore plus investis dans leur mission, malgré cette période très compliquée.
A.G.P.: Pour moi aussi, le confinement et les restrictions sanitaires ont été une épreuve difficile. Mais paradoxalement, l’assemblée générale de 2021 a été pour moi un très bon moment. Le format virtuel était une grande première. Nous sommes dirigeants d’entreprise, pas animateurs de télé ! Et pourtant nous nous sommes retrouvés dans un studio d’enregistrement à Paris. L’AG s’est bien déroulée, les actionnaires ont pu poser leurs questions.
Laurent: Quelle a été votre plus grosse erreur ?
B.C.: Nous avons bien raté quelques acquisitions…
A.G.P.: Au milieu de ma carrière, j’ai laissé passer quelques occasions professionnelles par manque d’audace. C’était une période de ma vie ou j’avais besoin d’être plus impliquée dans ma famille.
Laurent: Que faites-vous le week-end pour décompresser ?
B.C.: J’habite à Limoges, donc rien d’exotique (rires). Je fais du sport, de la moto, j’aime le rugby. Vous savez, ce n’est pas plus angoissant d’être DG que d’avoir un autre poste en entreprise. C’est peut-être même moins stressant, puisqu’on est aux commandes.
A.G.P.: Je ne suis pas du tout intéressante (rires). Je consacre du temps à ma famille, j’aime la mer, la musique, les autres… j’aime cuisiner, aussi.
Laurent: Quel est votre plat-signature ?
A.G.P. : J’ai une prédilection pour la cuisine espagnole, bien sûr, mais aussi française et nord-africaine. J’adore les tagines…
Laurent: Nous attendons votre invitation, alors !
Published by Thomas Lestavel