Le mot de Didier Lombard (E.77)
Réinventer l’eau chaude s’appliquerait désormais à l’univers du digital ? Certes, des nouveautés fantastiques vont arriver, calcul quantique, véritable « intelligence artificielle » et bien d’autres encore avec les objets connectés, mais on ne passera pas « du jour à la lumière », car la digitalisation des entreprises remonte à plus d’un demi-siècle ! Mettre en perspective cette évolution facilitera les diagnostics et les améliorations. Son ignorance n’est pas rassurante pour la connaissance réaliste des entreprises moyennes en particulier. Voici quelques situations vécues au cours des décennies passées.Vers 1966, élève ingénieur je ne me souviens que d’une présentation informatique sur l’informatisation des entreprises. En fait, il ne s’agissait que du système comptable géré par la DAF et indépendant des Opérations.En 1967, ingénieur débutant, je rêvais. Responsable d’un atelier de mécanique de 60 ouvriers professionnels, je cherchais comment supprimer les 600 bons de travail papier quotidiens grâce auxquels nous gérions l’atelier. Je rêvais d’écrans d’ordinateurs comme à la NASA pour gérer l’atelier en temps réel avec prise en compte immédiate des aléas. « Impossible aujourd’hui, mais peut-être plus tard… », commentait le polytechnicien bienveillant qui présidait de notre maison mère. Vers 1950, la Commande numérique (CN) des machines-outils démarre en France. La CN « automatise » des machines jusque-là « manuelles » et manœuvrées par des ouvriers experts en usinage.
Les débuts sont difficiles mais des logiciels deviennent experts, d’anciens opérateurs programment, des outillages permettent le préréglage hors production et la technologie CN progresse. Les robots sont aussi des mécaniques à commande numérique. Les lignes de soudage des carrosseries automobiles sont aujourd’hui robotisées à 100 %. Des progrès sont prévus pour la collaboration homme-robot et la réalisation d’opérations délicates. Et des applications inimaginables hier se précisent avec l’IA…1973, une mise en place d’ERP (Enterprise Resource Planning). Cette ETI est filiale d’un petit groupe américain utilisant lui-même cet ERP. Mise en place cauchemardesque, car nous cumulions les mauvaises pratiques, mais un an plus tard, le « modèle numérique MRP » commence à pouvoir être utilisé assez efficacement puis l’amélioration continue a fait le reste.1980, ERP Potemkine. Directeur Industriel d’une ETI française filiale d’un groupe scandinave, je dois redresser les Achats selon la Direction française. En fait, les Achats pâtissent d’un ERP style « village Potemkine » : le show était au point quand venaient des visiteurs, actionnaires inclus, mais les pauvres Achats, en l’absence de plan directeur réaliste, ne pouvaient pas travailler efficacement, de même que la production qui tenait rarement les délais. Mettre en place des prévisions commerciales était prioritaire.
Avec un responsable logistique chargé des prévisions, l’ERP est devenu performant avec des effets positifs sur les stocks et la fiabilité des délais. 1981, la CN. Cette PMI de machines-outils a introduit des versions à CN, d’abord avec des dysfonctionnements puis l’amélioration a fait son œuvre. Une accumulation d’expériences mondiales a conduit ensuite à la dominance de cette technologie. L’IA permettra des progrès supplémentaires mais ici et maintenant, c’est la CN des machines digitalisées actuelles qui règne sur les lignes de productions.De 1983 à 2017, président d’une ETI, en perte depuis son rachat par un groupe allemand il y a dix ans, mon plan de redressement est accepté. En voici les principaux piliers.Digitaliser la production avec un ERP implanté en France puis en grandes filiales (USA, Chine…).Mettre en place un système de prévision Groupe France et filiales.Digitaliser le BE avec DAO, CAO puis PLM.Et d’autres mesures plus classiques de « retournement » Résultat : breakeven atteint dès 1985.
Conclusion : la digitalisation des entreprises moyennes, ETI et PMI est bien avancée après soixante années de progrès à bas bruit. Ce fait est estompé par la dynamique des nouveautés parfois survendues, mais surtout porteuses d’espérance incitant à l’optimisme… La parole est aux actes.
Published by Marielle Chabry