Le mot d’Alaedine Benani D. (M.19)
Depuis plusieurs semaines, les journaux du monde entier ne parlent plus que de lui : le coronavirus n-CoV. En France, les agences régionales de santé sont sur le qui-vive permanent. L’Institut Pasteur a été réquisitionné par les médias. Les professionnels de santé enchaînent les plateaux télévisés. Les boîtes emails débordent. L’effervescence est telle que plus personne ne parle plus de la candidature municipale d’Agnès Buzyn, la ministre de la santé, à l’agenda subitement beaucoup trop chargé. En Chine, le pays d’apparition du virus, les moyens mis en place sont littéralement pharaoniques : plus de 50 millions d’habitants sont mis en quarantaine (plus que la population de l’Espagne). C’est tout simplement la plus grande opération de quarantaine jamais organisée dans l’histoire de l’humanité. Que l’on soit clair : ces mesures sont sûrement justifiées. Il est très probable qu’elles empêchent la propagation du virus, et donc qu’elles sauvent plusieurs vies. Toutefois, on peut être surpris de leur ampleur lorsqu’on les compare au bilan actuel : fin janvier, 170 personnes sont décédées… pour quelque 7 700 contaminations. Cela veut dire que, dans le cas où on attrape le virus, on guérit dans 97 % des cas. La surprise grimpe encore lorsque l’on apprend le nombre de décès de la grippe saisonnière en France : plus de 10 000 personnes en meurent chaque année, dans un silence quasi total, alors qu’un vaccin existe ainsi que des mesures de prévention simple (le lavage des mains principalement) pour réduire sa propagation.
Le Coronavirus est, à l’échelle de l’humanité, une menace relative. Mais il a mobilisé les mesures les plus extrêmes, pour un risque qui ne l’est pas autant. Le changement climatique en est le malheureux contre-exemple. Il aura (et a déjà) un impact absolument phénoménal sur la vie humaine. La simple fonte du permafrost provoque, d’une part, une montée des eaux qui menace à moyen terme de nombreuses îles (notamment en Indonésie) et grandes villes (New York, Londres…) et, d’autre part, la réapparition et le risque de propagation de maladies. Les phénomènes météorologiques extrêmes croissent, la disparition des espèces est d’envergure (on parle d’extinction de masse) et les matières premières en agriculture (l’eau et la terre cultivable) disparaissent petit à petit : le danger est donc clair et important, même s’il n’est pas à court terme. On a pris des mesures immédiates et drastiques pour le coronavirus, main on n’a presque rien fait contre le changement climatique. Sur ce chapitre, l’immobilisme est roi. Alors que les constats scientifiques sont présentés depuis plus de trente ans, que la jeune génération manifeste régulièrement son mécontentement (par les grèves du vendredi, ou le manifeste étudiant pour un réveil écologique…), rien n’est entrepris. Ou si peu.
Dans le cas du coronavirus, on mobilise l’attention de la moitié du continent le plus peuplé de la planète, dans le deuxième cas, on patauge.Le cerveau humain n’est pas fait pour lutter contre les menaces à long terme. Pourquoi ? Il me semble que cela tient à notre nature humaine profonde. Le cerveau humain semble fondamentalement incapable d’avoir une image mentale de l’évolution exponentielle. Nous réfléchissons de manière linéaire : une cause doit entraîner une conséquence du même ordre de grandeur. Plus encore, nous n’avons pas la capacité de nous projeter au-delà de quelques étapes dans un domaine que l’on ne maîtrise pas. Le coronavirus est nouveau. Les gens en meurent rapidement. La durée d’incubation semble juste assez longue (une dizaine de jours) pour pouvoir provoquer une pandémie mondiale. De plus, les projections sont à ce stade impossibles : le n-CoV peut tuer aussi bien 200 personnes et s’éteindre, que 200 millions en dix ans. Le réchauffement climatique est beaucoup plus abstrait. Les mécanismes sont indirects, et il n’y a pas de solution claire et simple. Donc, on ne fait rien. Au final, malgré tout notre avancement technologique, culturel, social et scientifique, nous restons « juste » des homo sapiens qui nous nourrissons autrement que par la chasse. Nous restons soumis aux lois biologiques de notre cerveau, même lorsque cela nous désavantage. La compréhension et l’acceptation de ces mécanismes peuvent nous aider à en prendre conscience, et donc à nous en affranchir à petits pas.
Published by Marielle Chabry