Le jour où… « Le PACT Afrique a changé nos vies »
Audrey, venue du Cameroun, et Munkapé, originaire de Côte d’Ivoire, bénéficient depuis un et trois ans d’un ambitieux programme d’accompagnement des jeunes talents repérés sur le continent africain. Rencontre sur le campus avec deux sacrées personnalités.
C’était le 10 juin 2020. Il était exactement 11 h 59 à Yamoussoukro, capitale de la Côte d’Ivoire. Il faisait déjà très chaud, l’air était moite et le stress à son maximum. Munkapé Jean-Martial Bla (H.23) se souvient de ses sensations, de la date et de l’heure exacte de ce moment qu’il décrit comme l’un des plus fous de sa vie. « Je n’avais jamais ressenti de joie plus intense », dit-il encore volontiers, dans un mélange d’émotion et de fierté. Le jeune étudiant avait alors 22 ans. Il venait de passer une nuit blanche à angoisser dans l’attente des résultats. Le cœur battant, il se décida en fin de matinée à se connecter. Et soudain, sur l’écran, il eut quelques secondes d’incrédulité en voyant apparaître… son nom ! Oui, c’était bien lui, le gamin né à Soubré, dans le sud-ouest du pays, excellent à l’école et issu d’une famille modeste – père fonctionnaire dans l’armée, maman mère au foyer, cinq frères et sœurs. Il était bel et bien retenu pour devenir, dès la rentrée suivante, un étudiant à HEC Paris. Deux mois plus tard, en septembre 2020, il débarque en France. « Mon premier voyage en dehors des frontières de la Côte d’Ivoire », se souvient-il. Atterrissage sur le campus de Jouy-en-Josas, et début « d’une existence nouvelle, à tout point de vue ».
Presque trois ans plus tard, à 25 ans, il arrive au bout de son cursus. Dans quelques mois, il quittera le campus, diplôme en poche, pour commencer sa vie professionnelle dans la finance. « C’est peu dire que ces trois années ont changé ma destinée ! », dit-il. Trois années qui n’auraient pas existé sans le dispositif d’égalité des chances PACT Afrique (Programme d’accompagnement des talents africains). L’idée ? Donner leur chance aux meilleurs potentiels du continent en les accompagnant dans la préparation du concours d’entrée, puis, en cas de succès, en facilitant leur installation sur le campus d’HEC Paris dans les meilleures conditions possible. Lancé en 2019 sous l’impulsion de François Collin (H.87), alors à la direction internationale d’HEC Paris, et de Gabriella Mazzini, avec le soutien d’Isabelle (H.87) et Bertrand Schwab (H.87), grands donateurs de la Fondation HEC, le programme vise à augmenter de manière significative le nombre d’étudiants issus des pays africains. Il s’agit de surmonter les obstacles empêchant l’accès des plus brillants étudiants du continent africain au programme Grande École Master in Management. À commencer par une forme d’autocensure, à laquelle s’ajoutent souvent un manque d’information sur ce que sont les épreuves d’admission internationales, de préparation, ainsi que des problématiques importantes liées au financement de telles études en France. Lever ces freins, repérer et augmenter de manière significative le nombre des candidatures ayant le potentiel pour poursuivre leurs études à HEC, telles sont les ambitions de PACT Afrique, alors même que le continent connaît à bien des égards une fulgurante évolution économique.
« PACT Afrique est un véritable transformateur de vies. C’est aussi un projet très fédérateur, souligne Philippe Oster, directeur des affaires internationales d’HEC Paris. Ce sont en effet une quarantaine de personnes, collaborateurs du campus, de la fondation, étudiants, alumni et partenaires académiques, qui se mobilisent au quotidien pour cette belle cause, portée par notre bureau en Afrique centrale et de l’Ouest, basé à Abidjan, et admirablement soutenue par les différents Chapters d’alumni dans la région. »
Initié, dans un premier temps, en collaboration avec l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny basé à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, établissement de référence pour toute l’Afrique de l’Ouest francophone, le programme a désormais élargi ses recrutements au Gabon et au Cameroun.
Ce qui a permis à Audrey Vanelle-Gaingne (H.25), Camerounaise de 21 ans, de rejoindre le campus cette année. Elle aussi se rappelle parfaitement ce fameux jour où elle a reçu la nouvelle de son succès au concours d’entrée. « C’était l’an dernier, le 2 juin. À 10 h, c’était une joie immense. À 17 h, une sorte de vertige m’envahissait, avec une question clé à résoudre d’urgence : comment va-t-on faire ? »
Émancipation féminine
Visage concentré, regard déterminé derrière ses lunettes et caractère bien trempé, la jeune Camerounaise commence le récit de son singulier parcours en se souvenant qu’elle est « l’aînée d’une famille monoparentale de trois filles ». Manière de dire que rien n’était gagné. À Yaoundé, sa maman, Chancelle, modeste commerçante, l’a élevée seule, avec ses deux petites sœurs Sonia et Mégane, qui suivent ses traces en matière d’excellence scolaire… « Notre maman a toujours été très déterminée à voir réussir et s’émanciper chacune de ses filles », insiste Audrey, qui n’a pas oublié les différents mantras que Chancelle lui a répétés toute son enfance : « Il n’y a pas de gratification sans efforts », « Ne t’interdis jamais de rêver » ou encore « Même quand tu n’as rien à faire, lève-toi tôt et sors apprendre de nouvelles choses ». Bac en poche à 15 ans, Audrey veut d’abord faire médecine. Mais au Cameroun, il y a ce qu’on appelle le « tchoko », un terme désignant à la fois la somme d’argent, à verser lorsqu’on espère être pris en première année, et le bon piston. « Les bonnes notes ne font pas tout. La question primordiale est hélas de savoir si tu as ou non le “tchoko”, enrage encore l’étudiante, qui ne l’avait pas. C’est ainsi qu’après avoir raté deux fois ce concours d’entrée de la faculté de médecine, je me suis orientée avec une certaine colère vers le monde de la banque et de la finance, en m’inscrivant à l’Université catholique de Yaoundé. J’y ai passé cinq ans jusqu’à pouvoir saisir cette opportunité de préparer le concours d’HEC. »
Fin août 2022, Audrey fait son entrée sur le campus. Avec deux valises, et c’est tout. Dont une remplie des ingrédients nécessaires pour pouvoir préparer le « ndolé », le plat typique camerounais. Comme Munkapé, il s’agit du premier voyage de sa vie hors de son pays natal. Une forme d’aboutissement aussi, après un été de suspense.
L’obstacle de la caution
Passé la belle nouvelle de son admission, Audrey vit un parcours du combattant. L’occasion de mesurer une fois de plus les montagnes à déplacer lorsque le hasard vous fait naître en Afrique. Être une étudiante brillante et déterminée ne suffit pas. Reste à obtenir des visas mais surtout à financer sa venue dans une grande école européenne : la vie sur place, le logement, et cette fameuse « caution de frais de vie » – 7 500 euros ! – réclamée en garantie à tout Camerounais arrivant en France pour y suivre des études. Dans cette bataille, les banques locales sont aux abonnés absents. Pas moyen de contracter le moindre prêt étudiant. « Toute ma famille a puisé dans ses économies pour m’aider, mais ce n’était pas suffisant. J’ai surtout obtenu une bourse et des aides spéciales débloquées grâce au mécénat de la Fondation HEC. Je ressens beaucoup de gratitude pour la chance que l’on me donne », confie Audrey. Sans l’engagement de donateurs diplômés de l’École, cette possibilité de faire émerger les élites de l’Afrique de demain n’existerait sans doute pas. Aux côtés d’Isabelle et Bertrand Schwab, ils sont déjà plusieurs à soutenir cette ouverture à l’Afrique comme Naomi (H.19) et Vincent Le Guennou (H.89), Jean-Philippe Gohia (H.12), Yannick Kouam Kamdem (H.11), Sophie Kanga (MS.12) et Camille N’Dia (Trium.07) ou encore le Groupe Schneider Electric. Autre entrepreneur très impliqué, Christian Kamayou (M.00), DG d’Akiba Business Partners et auteur du « palmarès annuel des 100 start-up africaines innovantes dans lesquelles investir » a été moteur dans le lancement du programme au Cameroun.
En ce matin de printemps 2023, alors qu’Audrey se balade sur le campus, elle semble dans son élément. « Les six premiers mois de vie ici sont passés à toute vitesse », avoue-t-elle. Elle a découvert tant de nouvelles choses ! Au cours de la discussion, elle cite pêle-mêle tout un inventaire à la Prévert : « le premier hiver, la pluie et le froid, les saisons marquées, les bus qui fonctionnent, les feux rouges, les ronds-points fleuris, la cuisine française et la tour Eiffel. » Si Audrey avoue une petite déception : elle a trouvé la Dame de fer « moins grandiose que sur les cartes postales », en dehors de quelques visites dans la capitale, elle n’a encore rien vu de la France ni de l’Europe.
Suivant les préceptes maternels, elle se consacre avec le plus grand sérieux à la réussite de ses études et à la recherche de ses prochains stages. D’ailleurs, elle n’envisage même pas l’idée d’un aller-retour au Cameroun dans les trois prochaines années. Faute de moyens. Mais pas seulement. « J’ai fait un grand voyage, c’était un gros budget, alors maintenant que je suis sur place, il me faut vivre à fond ce qui se passe ici. Et puis, ma famille en Afrique, je la vois depuis que je suis née », analyse Audrey avec humour.
Ouverture sur le monde
De son côté, Munkapé a eu plus de temps pour découvrir la France. Il avoue un faible pour le Sud, la côte méditerranéenne, de Monaco à Montpellier, mais aussi pour l’arrière-pays provençal. « Quand je suis arrivé en 2020, je pensais venir faire mes études à Paris, dans la Ville lumière, alors c’est sûr que les premiers jours sur le campus, au beau milieu de la campagne, n’ont pas ressemblé à ce que je croyais découvrir. Je me rappelle m’être dit, en regardant les champs et les pelouses : mais c’est ça, Paris ? », ironise-t-il. Toutefois, le campus de Jouy-en-Josas, inauguré en 1964 par le Général de Gaulle, ressemble par bien des aspects à celui de L’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire. L’institution africaine loge ses 3 000 étudiants à l’écart de la capitale dans un écrin de verdure.
À Jouy-en-Josas, Munkapé a vite fait son trou. En convertissant notamment pas mal d’étudiants à l’« alloco », le plat national ivoirien à base de banane plantain frite. Et en s’investissant dans de nombreuses associations, tels l’ESCP-HEC Finance Club, HEC 4 Refugees, ou le HEC Basketball Club.« Je croyais arriver en France, mais en réalité, c’est le monde entier que j’ai rencontré en venant à HEC, souligne-t-il. Cette ouverture-là et les contacts que je garde se révèlent pour moi une chose extraordinaire, une ouverture d’esprit et d’horizon comme j’en avais rêvé quand j’étais étudiant en Côte d’Ivoire. » À quoi s’ajoutent « la qualité des cours et le souvenir de quelques très grands professeurs qui livrent des enseignements qu’on ne trouve dans aucun livre ». Sans oublier son année de césure dans le secteur bancaire. Un moment décisif, porteur de nombreuses opportunités professionnelles à venir. Aussi les prochaines années de Munkapé se dérouleront-elles à coup sûr dans la finance à Paris, à Londres ou peut-être aux États-Unis. Mais un jour, il rentrera au pays. « Pourquoi pas, plus tard, créer un fonds d’investissement en Côte d’Ivoire qui permettra d’aider au développement ? », rêve-t-il déjà. À ce jour, 120 étudiants de Côte d’Ivoire, du Gabon et du Cameroun ont bénéficié du dispositif PACT Afrique depuis sa mise en place, il y a trois ans. Parmi eux, 22 ont été admis à HEC Paris. De quoi faire naître une véritable « communauté PACT » au sein d’HEC. En tant qu’aîné de ces promos africaines, Munkapé travaille activement à la mise en place du réseau, tandis que les événements et les conférences visant à renforcer les passerelles entre l’Europe et l’Afrique se sont multipliés sur le campus. Quant à nos deux étudiants, ils ont un autre point commun : mordus de basket, ils se retrouvent régulièrement sur le stade du campus. Ils font partie des équipes d’HEC.
Audrey, elle, fait en plus du sport le matin, puis travaille jusqu’au soir. Une vie d’étude. Une vraie soif de réussite. Depuis qu’elle est arrivée en France, cette grande bavarde a eu l’occasion de montrer ses talents pour l’art oratoire. Elle prépare déjà les prochains concours d’éloquence, organisés en juillet sur le campus. En novembre, c’est à la Sorbonne que la jeune Camerounaise a brillé en remportant un premier trophée. Le thème sur lequel elle devait discourir ? L’aventure. Vaste sujet, qui ne l’a pas vraiment paralysée. Au pupitre, devant l’assemblée, elle a puisé dans la richesse et la poésie de sa culture africaine pour inventer un conte pour jeune adulte. « Une histoire imaginaire qui disait ceci : dans ce monde, l’aventure n’est pas la même pour une jeune Européenne et une jeune Africaine… », explique-t-elle. Un conte sans doute un peu autobiographique.
Published by Sébastien Desurmont