Le conseil d’administration face à l’accélération du temps

Le conseil d’administration face à l’accélération du temps
En tant qu’administrateurs, responsables de la pérennité des entreprises, comment gérer l’accélération du temps tout en continuant à prendre les bonnes décisions ? Cette problématique était au cœur des échanges lors de la table ronde organisée par le Club Gouvernance- Administrateurs et Dirigeants HEC Alumni, le 13 mars 2025, intitulée « Le conseil d’administration face à l’accélération du temps ».
Animée par Gauthier Faivre (M04) et préparée avec Pascal Vienot (H70), membres du BUREAU du Club Gouvernance – Administrateurs & Dirigeants d’HEC Alumni, cette rencontre a réuni quatre intervenants aux expériences complémentaires : Anne Géneau, présidente de l’Association Petits Frères des Pauvres, François Poitrine (M04), cofondateur et administrateur d’Ekimetrics, Marie-Laure Mazaud, Directrice Générale de STOA et administratrice indépen-dante de FM Logistic, et Michel de Rosen (H72), président de Forvia et DBV Technologies.
La table ronde a été organisée en lien avec l’association APIA, une association regroupant des dirigeants et entrepreneurs exerçant des mandats d’administrateur, et le club HEC Engagés pour le Bien Commun.
Le temps, un défi multidimensionnel
L’accélération du temps dépasse largement le cadre technologique ou opérationnel. Le temps physique est stable, mais notre perception s’accélère dans toutes les dimensions : technologique, économique, sociale, réglementaire.
La fragmentation croissante du temps et des identités dans nos sociétés modifie notre rapport au travail, qui semble plus intense. Paradoxalement, nous sommes également entrés dans l’ère du télétravail, de la semaine de 4 jours, des RTT, des 25 à 35 jours de congés, avec plus de temps pour les loisirs.
De la multiplication des normes ou encore de la pression permanente des parties prenantes naît un constat partagé par tous : l’exécutif est de plus en plus sollicité dans l’urgence, mais le conseil, lui, doit créer une « zone froide » pour penser et prendre de l’altitude, comme le Sénat.
Garder le cap stratégique malgré la pression
Face à ce tumulte, le conseil d’administration doit jouer un rôle de stabilisateur. François Poitrine témoigne : « Le rôle du board est paradoxalement de ralentir. Chez Ekimetrics, le conseil a été conçu pour prendre de la hauteur sur une trajectoire à long terme, malgré la pression quotidienne. » Les conseils d’administration ne doivent pas se laisser absorber par l’opérationnel, au risque d’oublier la stratégie.
Pour Marie-Laure Mazaud, dans un contexte de sur-sollicitations, le recours aux comités spécialisés (audit, ESG, stratégie…) est fondamental pour organiser le travail du conseil et libérer du temps pour les sujets clés. L’organisation de séminaires thématiques ou de travaux en amont avec les dirigeants est également une bonne pratique. Dans les contextes de tension, les conseils d’administration d’entreprises familiales prennent plus de recul, sont dans une certaine mesure moins sujets à la pression de la communication trimestrielle des résultats et savent mieux se concentrer sur l’essentiel et garder le cap.
Rester proche du terrain pour mieux décider
Dans le secteur associatif, où les rythmes d’engagement varient fortement, Anne Géneau souligne l’importance d’un lien étroit entre conseil d’administration et terrain : « Nos bénévoles sont engagés à des intensités très différentes. Si le conseil prend des décisions trop rapides sans préparation ni concertation, le risque de déconnexion est immense. » Pour garantir une mise en œuvre efficace, l’association mise sur des portes ouvertes avant chaque conseil, des binômes entre administrateurs et salariés, ainsi qu’un dialogue constant entre niveaux régionaux et nationaux.
Résister aux modes et à la précipitation
Michel de Rosen met en garde contre les effets de mode : « Dans les années 1970, régnait au sein des conseils d’entreprises automobiles européennes la peur des sociétés américaines, puis, dans les années 80, celle des japonaises, aujourd’hui des chinoises. Dans l’industrie pharmaceutique, dans les années 90, des dizaines de milliards ont été engloutis dans des ‘PBM’ (Pharmacy Benefits Manager) à la mode … qui avaient disparu trois ans plus tard. L’exemple récent de Starlink montre l’impact de phénomènes non durables : les positions politiques de son fondateur ont déstabilisé les marchés et le cours d’Eutelsat, un concurrent, a été multiplié par 6 en quelques semaines. »
Pour lui, la lenteur est une vertu : « Plus le monde accélère, plus la sagesse devient indispensable. Le conseil est là pour ralentir, réfléchir à froid, parfois même en organisant une seconde réunion. Il vaut mieux dire non, que dire oui trop vite. »
En d’autres termes, il s’agit de concilier l’impératifs de vitesse et celui de sagesse, tout en soutenant et challengeant l’équipe dirigeante.
Des bonnes pratiques pour une gouvernance efficace
Les intervenants mettent en avant plusieurs bonnes pratiques, comme la mise en place de comités spécialisés, permettant d’instruire les dossiers correspondants et de formuler des recommandations au conseil qui peut alors passer plus de temps sur des enjeux stratégiques, l’organisation régulière de séminaires, pour faciliter la prise de recul, ainsi que la formation et le mentorat des dirigeants.
Les intervenants ont partagé plusieurs leviers pour renforcer l’efficacité du conseil :
• Travailler en binômes : Anne Géneau souligne l’importance de la complémentarité entre les profils terrain et les experts. « À chaque niveau, il faut un tandem stratégique/opérationnel pour éviter les angles morts. »
• Structurer les travaux du conseil : François Poitrine insiste sur l’importance de piloter son conseil : choisir les bons membres, structurer les ordres du jour autour d’une feuille de route claire et stable dans le temps, en organisant des rituels comme les Value Creation Plans sur 4 à 8 ans. • Bien définir les rôles de chacun : des comités aux administrateurs indépendants, il est important de préciser à chacun les attendus et le périmètre de responsabilité, pour gagner en efficacité et en pertinence.
• Évaluer régulièrement son fonctionnement : Michel de Rosen rappelle l’importance des auto-évaluations annuelles et des évaluations externes triennales : « Elles permettent de garder de la lucidité et de faire dire les non-dits. » • Apprendre à se connaître : l’on-boarding d’un nouvel administrateur ou d’un nouveau directeur général est une phase clé à ne pas négliger selon Marie-Laure Mazaud : pour le premier, c’est un moment d’observation et d’écoute, où le nouvel administrateur apprendra le jeu collectif du conseil ; pour le second, c’est une phase où le dirigeant peut prendre le temps du recul avant de plonger dans le grand bain de l’opérationnel qui fonce à 200km/h.
Composer un conseil équilibré
Michel de Rosen évoque aussi un équilibre subtil dans la composition des conseils : « Il faut des spécialistes du secteur, mais aussi des généralistes pour garder de l’altitude et penser « out of the box », et éviter les situations comme celles des fabricants de diligences qui n’ont pas vu arriver le train, ou de Kodak qui n’a pas su prendre le virage du numérique. Trop d’experts, et le conseil devient un patchwork technique. Trop de généralistes, et le management peut leur raconter n’importe quoi. »
Il insiste aussi sur la fin d’une époque : celle des conseils entre copains. « Place au professionnalisme, à la diversité, à l’engagement, à l’exigence. »
Gauthier Faivre (H.04), Cécile Doan, Franck Lanher (H.02)

Published by La rédaction