Laurence Levy (H.05), la maille de fond
Dans les bureaux Bompard, au cœur du XVIᵉ arrondissement, HEC Stories est allé rencontrer Laurence Levy. Haut perchés, les lieux offrent une vue imprenable sur Paris — décor idéal pour parler vision, rythme et matière. Rencontre avec une femme douce et décidée.
Après dix ans chez L’Oréal, Laurence Levy fait le grand saut en prenant la direction générale d’une PME patrimoniale, Repetto. Là, elle apprend l’entreprise « au four et au moulin » : le terrain, la trésorerie, l’usine, l’international. L’aventure s’interrompt brutalement en 2023 avec la disparition du dirigeant historique et le retour de la famille aux commandes. Une étape qui s’avérera révélatrice. Laurence a la certitude qu’elle veut continuer à transformer des maisons françaises à fort héritage.
En décembre 2023, elle rejoint Bompard, leader tricolore du cachemire, aux côtés de Seven2 et de Bpifrance, avec Dan Arrouas à la présidence. Changement d’échelle (environ 100 M€ de CA, plus de 70 boutiques) et de modèle : « Ici, 80 % du business est retail, 20 % e-commerce, et quasiment pas de wholesale. » Très vite, elle pose le socle : une plateforme de marque nette, des personas clients clarifiés, un positionnement assumé dans un marché où le cachemire va de la fast fashion au très luxe. L’enjeu ? Ramener de la contemporanéité sans trahir l’ADN.

Le travail commence par l’offre. Bompard vit d’un vestiaire d’intemporels solides, animés chaque saison par des couleurs signatures comme un rouge iconique que les clientes attendent, et par des capsules. Laurence Levy élargit le champ : silhouettes complètes, pantalons et jupes en maille, robes, et surtout une catégorie vestes & manteaux beaucoup plus ambitieuse—avec, à l’horizon, un manteau 100 % cachemire. Elle introduit le cuir quand la matière est « d’exception » et met en avant la maille seconde peau sans couture pour les moments plus habillés. Trois piliers structurent désormais le récit : l’exception des matières, l’éclat avec une palette chromatique forte et la sensorialité nichée dans une douceur que l’on veut porter à même la peau.
Pour incarner ce tournant, elle retouche l’image et l’organisation créative. Un nouveau studio resserré constitué de quatre personnes et une directrice de la création qui signera sa première collection l’hiver prochain ; une communication alignée, soutenue par une agence RP et influence, et des choix d’incarnation. Charlotte Le Bon incarne la campagne des 40 ans de la marque qui réinstalle Bompard dans l’imaginaire de « l’élégance à la française ». Levy revendique la francité du style : des lignes pures, des proportions justes, une allure chic plutôt que « mode ».

Le commerce suit. La France pèse encore environ 70 % des ventes, mais l’international accélère comme au Royaume-Uni où un troisième boutique ouvre à South Molton Street à Londres. Bompard est aussi en Espagne (Madrid), en Belgique, Suisse, Allemagne, Autriche, Luxembourg. En France, la stratégie d’ouvertures est chirurgicale : Saint-Tropez—testée en pop-up, désormais pérenne tant les résultats sont bons—et rue de Charonne à Paris, pour rééquilibrer le maillage au-delà du fief historique de la rue du Bac. Le réseau grands magasins fonctionne en corners opérés par la marque, renforçant la maîtrise de l’expérience et du stock. L’e-commerce enregistre quant à lui une hausse de plus de 40 %par an.
Sur le plan managérial, la cadence s’accélère : exigences de performance et de vitesse propres aux fonds, discipline de reporting utile quand elle reste au service du produit et des équipes. « Tu te sens boosté, accompagné, propulsé », dit-elle le visage souriant et apaisé. Les résultats suivent : une croissance à deux chiffres sur deux exercices, attribuée autant aux étapes de transformation accélérées depuis son arrivée qu’au nouvel élan collectif.
Tenir le cap : consolider le leadership face à des acteurs comme Kujten, affirmer la singularité Bompard par les matières, la couleur et l’allure, et continuer à élargir les usages—jusqu’aux occasions festives où l’on n’allait pas spontanément chercher la maille hier. À 40 ans, la maison veut parler au présent. Laurence Levy, elle, tisse patiemment ce futur : un fil continu entre héritage et désir.

Published by Daphné Segretain