LA TECH, UN MÉTIER SANS AVENIR ?
Abstract
En utilisant des données administratives sur les carrières des employés français, notre étude met en lumière une décote sur le salaire à long terme des diplômés ayant commencé leur carrière dans le secteur de la tech et des technologies de l’information et de la communication (TIC) pendant le boom technologique de la fin des années 1990. Bien qu’ils aient bénéficié à leur embauche de salaires supérieurs de 5 % en moyenne à ceux de diplômés de même niveau dans d’autres secteurs, ils connaissent une croissance salariale plus faible et finissent, quinze ans plus tard, avec des salaires inférieurs de 6 %. Il apparaît que ces travailleurs accumulent en début de carrière un capital humain qui se déprécie rapidement. Cela montre que commencer sa carrière durant un boom technologique peut avoir des conséquences sur le long terme.
Johan Hombert and Adrien Matray, Technology Boom, Labor Reallocation, and Human Capital Depreciation, CEPR Discussion Paper No. DP14136, November 2019.
3 questions à Johan Hombert, professeur associé à HEC Paris
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’évolution salariale des métiers de la tech ?
De nombreux jeunes diplômés sont attirés par le secteur de la tech. Ce choix est payant à court terme : les employés dotés de compétences dans le numérique sont très demandés par les entreprises. En revanche, on ignore si, à long terme, ce choix se révèle judicieux. Pour le savoir, j’ai décidé de me pencher sur le dernier épisode de boom dans la tech : la bulle internet de la fin des années 1990. J’ai travaillé avec Adrien Matray (H.10), qui est professeur à la Princeton University. Nous nous sommes intéressés aux salariés hautement qualifiés des entreprises « point-com » qui ont décroché un premier emploi entre 1998 et 2001. Nous avons comparé la dynamique de leurs salaires à celle de personnes occupant des postes équivalents dans d’autres secteurs. En cohérence avec la pénurie de talents engendrée par le boom, ils gagnaient plus à leur entrée sur le marché. Mais au fil du temps, l’écart entre les deux groupes s’est réduit jusqu’à ce que les courbes se croisent, en 2005. Et le fossé a continué à se creuser, si bien qu’ils ont fini par gagner moins que leurs homologues, avec une progression salariale de 11 % inférieure à la moyenne.
Qu’est-ce qui explique cette faible évolution salariale ?
Le phénomène ne semble pas lié aux faibles performances des entreprises et il ne s’observe pas seulement en France. Notre hypothèse est que les compétences des professionnels qualifiés dans un secteur tech en plein boom se déprécient rapidement à cause de l’évolution rapide des technologies. La dépréciation des salaires est liée à l’obsolescence de leurs savoir-faire techniques. D’ailleurs, les personnes qui occupent des postes commerciaux ou managériaux dans les mêmes entreprises high-tech ne subissent pas cette faible évolution salariale.
Faut-il dissuader les étudiants d’entreprendre des études de technologies de l’information ?
Non, bien sûr. Au contraire, le type de compétences acquises pendant les études de tech, puis en occupant les premiers postes, est un élément essentiel. En particulier, les connaissances fondamentales se déprécient moins rapidement que les connaissances spécifiques. Mieux vaut maîtriser la théorie qui sous-tend les algorithmes de machine learning qu’être expert dans tel ou tel logiciel qui implémente ces algorithmes. Les logiciels et algorithmes évoluent constamment, mais ils reposeront toujours sur les mêmes principes scientifiques.
Johan Hombert
Diplômé de l’École polytechnique et titulaire d’un doctorat d’économie de la Toulouse School of Economics, il axe ses recherches sur l’innovation, l’entrepreneuriat et l’assurance vie. Ses travaux ont été publiés dans les revues internationales de finance et d’économie telles que Journal of Finance ou Review of Financial Studies.
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Published by La rédaction