La formation par Guillaume Le Dieu de Ville et Arnaud Portanelli (H.06)
Améliorer ses compétences, évoluer dans sa carrière, se reconvertir ou rendre l’entreprise plus agile : l’offre de formation professionnelle répond à des enjeux multiples. Un marché bouleversé par la récente crise sanitaire, qui a boosté les secteurs du numérique, accru les besoins en reconversion et généralisé le passage au distanciel. Guillaume Le Dieu de Ville (H.06) et Arnaud Portanelli (H.06), les deux fondateurs de Lingueo, plateforme pionnière de l’apprentissage des langues en visioconférence avec des professeurs résidant à l’étranger, font le point sur un secteur en transformation accélérée.
De quel constat êtes-vous parti pour créer Lingueo en 2007 ?
Guillaume le Dieu de Ville et Arnaud Portanelli : Au début des années 2004, nous travaillions dans la Silicon Valley pour le Dr Luc Julia, l’un des créateurs de Siri. Notre équipe était répartie sur trois continents et comptait sept nationalités différentes. La plupart de nos échanges se faisaient en visioconférence. Quasi au même moment, eBay était devenu l’acteur incontournable des places de marché en ligne.De retour en France, nous étions donc convaincus que nombre de prestations de service se réaliseraient en ligne et que les collaborations internationales se développerait grâce au « distanciel ». L’apprentissage des langues deviendrait alors un enjeu important… Lingueo est née et, avec elle, notre mission d’entreprise : « Aider le monde à mieux se comprendre ! »
La formation est-elle considérée par les entreprises comme un levier de compétitivité essentiel ?
G.D.V. & A.P. : Le développement des compétences a toujours été un levier de compétitivité, mais le rythme d’apparition de nouveaux métiers, comme celui de community manager ou de data analyst,est plus rapide, et la compétition devient mondiale. La formation devient donc un enjeu crucial pour les entreprises. Nous le constatons dans les relations avec nos clients : les services RH se montrent plus exigeants et sélectifs sur le contenu des formations proposées, ainsi que sur les résultats attendus.
“ La formation devient un enjeu crucial ”
Qui sont les clients des organismes de formation, plutôt des particuliers ou des entreprises ?
G.D.V. & A.P. : Cela dépend du type de formation proposé. Tandis que les entreprises visent à approfondir ou élargir les compétences de leurs collaborateurs, les projets indviduels sont davantage axés sur la reconversion, voire sur le développement personnel grâce à l’acquisition de nouvelles connaissances. Dans le cas de Lingueo, qui propose des cours de langue en visioconférence, les clients étaient au départ des particuliers. Puis, ils ont été de plus en plus nombreux à demander à leurs employeurs de financer leur formation. Petit à petit, nous nous sommes ainsi rapprochés des entreprises. Aujourd’hui, nous formons des groupes comme Air France ou Disney, pour lesquels les langues sont des compétences essentielles, mais aussi des sociétés ou start-up qui cherchent à internationaliser leur activité. Les entreprises représentent désormais 75 % de notre activité.
Pour résorber un taux de chômage endémique, la formation qui permet d’adapter les compétences aux besoins de l’économie, constitue-t-elle une solution ?
G.D.V. & A.P. : Sans doute que la formation contribue à favoriser l’emploi. Sur ce sujet, les ambitions sont grandes. Le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion projette de créer un « passeport de compétences » qui fera le lien entre un métier et les compétences requises. Pôle emploi, les régions et collectivités locales sont également très impliqués sur cette question. À moyen terme, la mise en place de systèmes d’information, comme le compte personnel de formation (CPF) et France Compétences, aidera à identifier et cartographier les tensions sur le marché du travail. Cela permettra d’adapter l’offre de formation et de favoriser l’emploi.
“ Le confinement était une situation exceptionnelle. S’occuper des enfants, préserver son emploi, travailler en distanciel… Personne ne se souciait de se former ! ”
Réforme du compte personnel de formation, certification Qualiopi… Est-ce que ces changements ouvrent de nouvelles perspectives pour le secteur de la formation ?
G.D.V. & A.P. : Oui, dans le sens où les demandes sont amenées à devenir plus importantes et plus ciblées. Mais pour en tirer réellement parti, il faudra faire évoluer son offre, se montrer agile. Le compte personnel de formation change la donne à plusieurs niveaux. D’une part, il donne aux actifs une plus grande autonomie dans le choix de leur formation. D’autre part, la plateforme mise en place permet une grande réactivité : les freins administratifs qui ralentissaient les projets de formation ont disparu. Enfin, le CPF est cofinancé par de nombreux acteurs : Pôle emploi, les régions, l’État et les entreprises.
Les deux années qui viennent de s’écouler, marquées par la crise sanitaire, les confinements successifs et la généralisation du télétravail, ont-elles boosté les demandes de formation ?
G.D.V. & A.P. : Tout le monde pensait que les acteurs de la formation en ligne bénéficieraient de cette crise sanitaire. Pourtant, cela ne s’est pas vraiment passé comme ça. Le confinement a créé une situation exceptionnelle à plusieurs égards. S’occuper de ses enfants, s’inquiéter de préserver son emploi, s’adapter à un nouveau mode de travail… Personne ne se souciait de se former ! Après plusieurs semaines, les Français se sont organisés, l’État a assoupli et généralisé le recours au chômage partiel. Puis, il a remis à jour un dispositif existant, le FNE-Formation, qui permet aux personnes en chômage partiel de suivre une formation. A priori une excellente nouvelle pour nous ! Mais les lourdeurs administratives du dispositif étaient telles qu’il a fallu plusieurs semaines pour qu’il fasse effet… Depuis septembre dernier, la situation s’est débloquée et nous avons effectivement enregistré un record des demandes de formations individuelles en France. Dans le cas de Lingueo, 7 000 formations de cours particuliers de langues ont été lancées, du jamais-vu ! Aujourd’hui, on peut dire que la crise sanitaire a nettement augmenté les demandes de formation… mais cela aura pris plusieurs mois !
La crise sanitaire a-t-elle fait naître de nouveaux besoins de reconversions professionnelles ?
G.D.V. & A.P. : La crise actuelle a mis à l’arrêt de nombreux secteurs d’activité. Même si l’État fait beaucoup pour préserver les emplois, certaines entreprises mettront beaucoup de temps à retrouver leur niveau d’activité d’avant la crise. Et des emplois vont être touchés. La question de la reconversion professionnelle, qui peut d’ailleurs se faire au sein d’une même entreprise, se pose alors. Changer de métier, cela peut être long. Les entreprises ont la possibilité de mettre en place des plans de reconversion, mais ce n’est pas simple à élaborer dans l’urgence, d’autant que peu d’organismes de formation sont préparés aux reconversions massives. Les acteurs de la formation vont devoir s’adapter. Par ailleurs, les entreprises ont dû accélérer leur digitalisation. Elles ont besoin de doter leurs collaborateurs de nouvelles compétences.
Cette digitalisation en marche forcée n’a pas épargné le secteur de la formation, d’ailleurs…
G.D.V. & A.P. : C’est exact ! Avec le distanciel, la formation en ligne a explosé. Et très clairement, nous ne reviendrons pas en arrière.
Il y a un changement dans la relation au travail : les jeunes n’envisagent plus de « faire carrière » mais plutôt de suivre différents parcours dans leur vie professionnelle. Est-ce une opportunité pour votre secteur ?
G.D.V. & A.P. : Effectivement, les reconversions se multiplient et les jeunes expriment le souhait de diversifier les apprentissages et les professions. Mais on observe aussi une logique d’internationalisation dans ce projet. Par exemple, les jeunes que nous formons sont de plus en plus nombreux à vouloir partir travailler à l’étranger. Et souvent, ce projet s’inscrit dans une stratégie d’entreprise, qui vise développer une activité à l’étranger ou à lancer un nouveau service.
“ La crise sanitaire a accru les demandes de formation, mais cela aura pris plusieurs mois ”
Pour atteindre leurs objectifs de transition écologique, les entreprises devront-elles faire évoluer les compétences de leurs équipes ?
G.D.V. & A.P. : Les entreprises n’ont pas d’autre choix aujourd’hui que d’opérer une transition pour maîtriser leur impact écologique. Pas seulement à cause des normes ou de la législation qui se durcissent, mais aussi et surtout à cause de la pression sociale, exercée à la fois par les consommateurs et par les collaborateurs. Il est encore difficile aujourd’hui de dire aujourd’hui si cette transformation va nécessiter de nouvelles compétences. Mais on sait qu’elle sera nécessaire aux entreprises qui veulent retenir les talents : les collaborateurs de demain refuseront de rejoindre une structure qui n’intègre pas la responsabilité environnementale dans ses priorités.
Propos recueillis par Daphné Segretain
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Published by Daphné Segretain