L’ œil d’Iris Maréchal (H.21)
Étudiante à Sciences Po et HEC Paris, Iris Maréchal (H.21) a cofondé l’Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes. Alors que son association vient de publier les résultats d’une grande enquête, elle revient sur son parcours.
Une étudiante sur vingt déclare avoir été violée au cours de ses études supérieures et une sur dix, avoir été victime d’agression sexuelle. La première enquête publiée par l’Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes a levé le voile sur une réalité brutale. Pourtant, cet Observatoire existe depuis peu : j’étais à HEC depuis cinq mois quand nous avons décidé, avec Laure Lelasseux (doctorante à HEC), de mettre en place cette structure. Au départ, je ne me destinais pas à cette forme d’engagement. J’ai été élevée par un père professeur de virologie et une mère qui travaillait dans le secteur de la finance. Un environnement pluridisciplinaire déterminant pour moi. Plutôt bonne élève, je me suis dirigée vers une filière S tout en gardant une grande curiosité pour les matières littéraires et artistiques. Cela n’a pas vraiment facilité mon orientation, et cela complique d’ailleurs encore mes choix. À quelques mois des demandes APB, j’hésitais encore entre une prépa BL, un cursus de finance et une école d’art ! Alors, j’ai fait le choix de ne pas choisir : j’ai opté pour une double licence en mathématiques et sciences sociales à Sciences Po Paris et à l’Université Pierre et Marie Curie. Pourquoi les maths ? Le goût du challenge, peut-être (même si je ne m’attendais pas à y passer tant de nuits blanches…). Par la suite, j’ai persisté dans l’idée de diversifier mes connaissances en suivant un double master HEC et Sciences Po.
CEO for one month, USA for one year
Un jour, une pub sur Instagram a attiré mon attention. Elle proposait de devenir CEO d’une entreprise cotée pendant un mois. Et après un interminable processus de sélection, je suis devenue CEO for One Month d’Adecco, aux côtés de Christophe Catoir. Une expérience unique qui m’a permis de découvrir la réalité de la gestion d’une entreprise. Pendant mon année aux États-Unis, j’ai beaucoup appris aussi. J’ai passé ma dernière année de licence à l’université Johns-Hopkins. L’occasion de découvrir la vie d’un campus américain et le climat politique au lendemain de l’élection de Donald Trump. J’ai décroché un stage avec Heather Boushey, la conseillère économique d’Hillary Clinton. Elle m’a montré comment ouvrir des voies et faire valoir ses idées. Mon plus beau souvenir : son discours sur les inégalités qui touchent les Afro-Américains devant une assemblée de Républicains blancs de plus de 60 ans.
“ C’est gratifiant de voir que notre parole est écoutée, que notre projet ouvre un réel débat ”
À mon retour en France, j’ai entamé un Master à HEC. Le choc culturel a été violent : culture française ou culture des écoles de commerce ? J’ai très mal vécu l’omniprésence de comportements sexistes durant les soirées, les week-ends d’intégration et les cours, ou au sein des associations. Et je n’étais pas la seule à le penser : beaucoup d’étudiantes partageaient ma colère. Notamment Laure, avec laquelle nous avons eu l’idée de fonder cette association. Au départ, nous voulions simplement mener des actions de prévention et de sensibilisation. Certains établissements nous ont immédiatement soutenues, quand d’autres ont refusé de reconnaître le problème, affirmant même que ce genre d’initiatives pourrait nuire à leur réputation. On a vite compris que pour se donner les moyens d’agir, il fallait adopter une démarche plus scientifique, avec des chiffres et des exemples concrets. C’est ainsi que nous est venue l’idée de créer un observatoire.
Statistiques vs. statu quo
Nous avons alors décidé d’articuler nos actions sur trois axes. D’abord, collecter des données. C’est le sens du travail d’enquête effectué auprès de plus de 10 000 étudiants dans toute la France. Ensuite, recenser les initiatives menées sur le sujet. L’idée est de pouvoir ainsi informer les victimes, mais aussi les étudiants qui souhaitent s’engager. Enfin, mettre en place des programmes de prévention et de sensibilisation. Nous avons réalisé un tour de France pour présenter notre démarche aux établissements. Lors de ces interventions, nous proposons aux écoles de rédiger des questionnaires personnalisés, et travaillons avec notre comité d’experts pour leur donner les moyens de réunir des informations et d’engager des actions adaptées. Les études supérieures sont le moment crucial pour informer et sensibiliser. Après, il sera trop tard et les violences se reproduiront en entreprise et dans les foyers. En tant que cofondatrice et présidente, mon rôle dans cette association consiste à gérer l’organisation et communiquer autour de nos initiatives. C’est prenant, cela demande beaucoup de temps et d’énergie. L’année dernière, j’avais 20 h de cours par semaine, 20 h de stage et l’association à gérer – avec la mise en place de cette grande enquête. Ça a été le retour des nuits blanches, comme au temps de la licence de maths !Cela exige une forte implication et, paradoxalement, cela demande aussi une forme de détachement, car ce sont des sujets sensibles, qui peuvent vite vous affecter moralement. Mais l’Observatoire m’apporte beaucoup. Il correspond à mes aspirations : c’est un projet à la croisée des statistiques, du management et de l’action politique. C’est gratifiant de voir que notre parole est écoutée, que notre projet ouvre un réel débat et qu’il incite à la prise de décision. Et plus personnellement, le sentiment de pouvoir aider les autres me comble, c’est une sensation que je ressens à chaque fois qu’une victime écrit à l’association pour nous remercier.
L’idée que tout individu a le pouvoir de faire changer les choses est galvanisante et très encourageante !Quant à mon avenir immédiat, je suis actuellement à la recherche d’un stage de fin de césure et je me tourne vers le milieu du conseil en stratégie, pour être au plus près des dirigeants. Au sein de l’Observatoire, nous avons aussi beaucoup de projets : la création d’un guide de bonnes pratiques, la mise en place de campagnes de sensibilisation, peut-être même la création d’un label pour les initiatives étudiantes qui luttent contre les violences sexuelles et sexistes…Je pense que je garderai cet engagement en parallèle de ma vie professionnelle, car j’en ai vraiment besoin. Je me suis attachée à cette association que j’ai contribué à créer et à faire grandir et c’est aussi l’une des expériences grâce auxquelles j’ai le plus appris. J’ai envie de croire que les étudiants de ma génération ont le pouvoir de changer la société ; je suis convaincue que nous sommes les décideurs de demain, des personnes conscientes des enjeux de notre société qui ne se dépêcheront pas de les oublier en accédant à des responsabilités.
Propos recueillis par Clémentine Baron
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Published by Clémentine Baron