François-Xavier Huard (H.03) aide les jeunes à choisir leur voie
À Marseille, l’association Evocae, fondée par François-Xavier Huard, accompagne les jeunes bacheliers qui abandonnent leurs études supérieures. Une initiative réussie et appelée à s’étendre.
Certaines vocations ne se révèlent pas tout de suite. Diplômé d’HEC en 2003, François-Xavier Huard passe juste après ses études deux ans en coopération au Cambodge, auprès de l’ONG Les Enfants du Mékong. Dans une région rurale et isolée, il s’occupe de culture maraîchère et s’implique dans des projets de parrainage scolaire. Une expérience qui le marque profondément – il restera d’ailleurs engagé auprès de cette association pendant plus de cinq ans.
De retour en France, il occupe pendant douze ans des postes opérationnels dans l’industrie et la métallurgie, pour Vallourec, fabricant de tubes en métal, puis pour Aubert & Duval, alors filiale du groupe Eramet, qui produit des alliages à hautes performances. En 2017, il démissionne pour changer de voie avec le désir de participer à un nouveau projet solidaire.
Quelques mois plus tard, il s’envole pour Madagascar, où il est chargé de diriger le programme Sésame, un dispositif qui aide les jeunes bacheliers à choisir leur formation et construire un projet professionnel. « À Madagascar, la question de la formation est cruciale. Beaucoup de jeunes quittent le pays, et ils reviennent rarement. Dans le même temps, les entreprises malgaches manquent de main-d’œuvre qualifiée. Pour retenir les jeunes, il faut leur offrir des perspectives, les inciter à se construire un avenir sur place. Un avenir individuel, mais aussi collectif, parce que ce sont eux qui pourront dynamiser l’économie locale. »
Après deux ans et demi dans la capitale malgache Tananarive, François-Xavier Huard retourne en France, avec le projet de proposer un programme inspiré de Sésame aux étudiants de l’Hexagone.
200 000 décrocheurs par an
En France, le décrochage scolaire est un sujet assez médiatisé – notamment lors de la crise sanitaire, au sortir du confinement. On estime qu’environ 100 000 élèves de primaire, collège et lycées sont concernés. La prise en charge du décrochage est assurée par l’administration scolaire : l’école étant obligatoire jusqu’à 16 ans, plusieurs dispositifs d’accompagnement ont été déployés. Il y a par ailleurs depuis 40 ans une telle volonté publique de mener les lycéens jusqu’au bac qu’aujourd’hui, 90% des élèves de Terminale obtiennent leur baccalauréat.
C’est après que les choses se compliquent. On estime à 200 000 chaque année le nombre de jeunes qui quittent l’enseignement supérieur sans solution de réorientation. Résultat : un jeune sur quatre aujourd’hui quitte l’enseignement supérieur sans diplôme.
Les conséquences du décrochage des jeunes sont multiples : selon une étude menée par l’Université du Québec, un taux élevé de décrochage des étudiants âgés de 18 à 25 ans aurait des effets néfastes sur la société, en augmentant l’exclusion sociale, les problèmes de santé et la criminalité. Sans compter le coût de sa prise en charge par les services de l’État.
« Le décrochage post-bac représente un coût énorme pour un territoire. Aujourd’hui un jeune décrocheur, qui n’est ni en formation ni demandeur d’emploi, coûte au total à peu près 15 000 euros par an à la collectivité, en tenant compte des indemnités qu’il peut percevoir, mais aussi des personnes qui sont payées pour l’accompagner, du système de santé, etc. Donc il y a un intérêt majeur à consacrer du temps et de l’argent à réinsérer ces jeunes le plus rapidement possible. Et repasser par une formation diplômante est encore un facteur de réussite de l’insertion professionnelle majeure dans nos pays. » Or en France, lorsque ces jeunes sont pris en charge par le service public de l’emploi, c’est pour les orienter vers des parcours d’insertion professionnelle, parfois au terme d’une formation très courte. Mais on ne leur offre pas la possibilité de reprendre des études supérieures.
Ce que m’a appris mon expérience à Madagascar, c’est que quand on prend le temps d’accompagner la transition des jeunes vers le supérieur et vers la formation professionnelle, l’impact en termes de niveau scolaire, d’engagement, de qualité de l’insertion professionnelle est remarquable.
Un projet pédagogique innovant
S’inspirant de l’initiative menée à Madascar, François-Xavier Huard crée en 2021 l’association Evocae à Marseille, grâce au soutien de l’un des principaux mécènes du programme Sésame et avec l’aide de Julie Tardieu, qui a participé à des projets d’éducation pendant dix ans aux Philippines, au Maroc et en Palestine.
Pour aider les jeunes décrocheurs à construire leur projet, Evocae leur propose de suivre une année de césure, sur six ou huit mois, à raison de trois jours par semaine en présentiel, de 9h à 17h. Certains conservent leur statut d’étudiants, mais la plupart sont des jeunes décrocheurs qui suivent le parcours d’Evocae sous le statut du Contrat Engagement Jeunes porté par France Travail et les Missions locales. Tous apportent une contribution financière en fonction de leurs revenus.
« Pour les familles les plus modestes, cette contribution est de l’ordre de 40 à 50 euros par mois. Mais elle est importante pour marquer l’engagement des participants, car il s’agit de leur projet, de leurs désirs. Il y a donc un enjeu de développement personnel, de connaissance de soi. Un étudiant, c’est un jeune qui s’engage, qui prend des initiatives, qui s’intéresse au monde qui l’entoure. On essaye de stimuler cette curiosité par des immersions professionnelles, des projets d’engagement bénévole, des sorties culturelles, des voyages… »
Les jeunes accueillis par le programme sont d’origines sociales diverses, même si une majorité d’entre eux vient des quartiers prioritaires du nord de Marseille. Souvent, ils sont mis en contact avec l’association par des conseillers France Travail ou des Missions locales. « En France, on a un système de formation qui offre énormément de possibilités, mais qui est très complexe. Sans compter que l’accès à la plate-forme Parcoursup prend beaucoup de temps et nécessite d’être accompagné. Pour un jeune vulnérable et isolé, tout cela peut être très décourageant et faire les bons choix d’orientation dans ces conditions, ce n’est pas facile. »
Changement d’échelle
Après trois ans d’expérimentation, le modèle d’accompagnement pédagogique mis en place par Evocae a eu le temps de s’affiner et de faire ses preuves. Avec près de 25 étudiants par promotion, l’association a accueilli 70 jeunes au total, et sur la dernière promotion, 100 % des jeunes ont reçu une proposition de formation en cohérence avec leur projet personnel. « Ils ont refait Parcoursup intégralement avec nous et 80% étaient inscrits dans un établissement un mois après la rentrée. Ils vont donc démarrer les études qu’ils ont prévu de faire. »
L’étape suivante ? Evocae a l’ambition de s’agrandir en ouvrant une deuxième classe à Marseille et une première antenne à Toulon, dans le cadre d’un partenariat avec l’université. « L’objectif est de montrer que le dispositif déployé à Marseille peut fonctionner ailleurs et à plus grande échelle. »
Mais le scale-up n’est pas une étape évidente, a fortiori dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. « Les acteurs de l’ESS sont souvent des organisations moins structurées que dans le secteur marchand. Pour se développer, Evocae cherche des soutiens. Des soutiens financiers bien sûr, mais pas seulement : il y a des aspects stratégiques sur lesquels nous aurions besoin d’être aidés et conseillés. Conclure de nouveaux partenariats, répondre à des appels d’offres, coopérer avec France Travail, par exemple, ce sont des pistes de développement possibles, mais elles nécessitent de mobiliser des compétences nouvelles et de renforcer nos appuis. »
L’association, qui compte aujourd’hui quatre salariés, prévoit d’augmenter ses effectifs, et bénéficie de plusieurs partenariats, notamment avec la Fondation du Groupe EDF et la Fondation SNCF, la Fondation de France, sans compter des fondations familiales discrètes mais fidèlement engagées. Les acteurs publics des territoires jouent aussi un rôle important: après la Métropole d’Aix – Marseille et de Toulon et le département des Bouches-du-Rhône, Evocae étudie la possibilité d’un essaimage en coopération avec la Région Sud et peut-être le Région Occitanie.
Published by Lionel Barcilon