En cette période estivale, HEC Stories revient, avec son auteure, sur un roman saisissant, paru il y a quelques mois. Dans  » Des Gens comme il faut » (édition Le Cherche-Midi), Florence Chataigner signe un premier roman saisissant sur les faux-semblants familiaux. À travers le regard de Fleur, narratrice lucide et touchante, l’autrice dissèque les silences, les non-dits et les loyautés empoisonnées d’une famille bourgeoise en apparence irréprochable. Le récit, à la fois intime et universel, avance comme une enquête émotionnelle, révélant des couches profondes de mémoire et de malaise. Une réussite discrète mais puissante, où chaque mot semble pesé, chaque révélation finement orchestrée.

 

 Le picth : À la mort de son père, Fleur entreprend de trier les affaires familiales dans la cave de la maison bourgeoise où elle a grandi. En fouillant lettres, photos et souvenirs, elle découvre une histoire bien différente de celle qu’on lui a racontée. Elleapprend notamment que son père, longtemps resté dans le silence, n’a pas résisté à ses tendances homosexuelles. Les certitudes vacillent, les silences prennent sens, et le vernis d’une famille « comme il faut » commence à craquer.

HEC Stories : Ton roman est-il né d’une histoire personnelle ou d’une pure fiction ?

Florence Chataignier : L’histoire de ma propre famille a inspiré ce texte mais j’ai tout de même romancé notamment toutes les parties qui se passent à la cave. Je n’aime pas beaucoup les endroits sous terrains, je les évite même de manière générale. Fifty fifty donc.

HEC Stories : Il évoque des dynamiques familiales très intimes – dans quelle mesure as-tu puisé dans ton vécu ?

Florence Chataignier : Enormément. Ma sœur et moi avons vécu une enfance un peu « rock and roll », autant qu’elle serve à quelques choses. Je n’ai pas eu beaucoup de scrupules à puiser dans notre vécu.

HEC Stories : Comment tu définis ton roman et pourquoi avoir choisi les objets comme ressort narratif ?

Florence Chataignier : C’est un roman sur le deuil et les familles dysfonctionnelles. La nécessité de comprendre nos parents se manifeste souvent, violemment, quand il est trop tard pour leur demander des explications de vive voix. Décortiquer leur histoire aide en effet à mieux nous comprendre nous-mêmes. Quant aux objets – photos, lettres, bibelots et autres artefacts de notre familles – ils servent de support dans le roman pour faire remonter les souvenirs. Il me semble que c’est vrai pour chacun d’entre nous, on se souvient avant tout des instants d’enfance qui ont été pris en photo…

HEC Stories : Que représentent ces traces du passé dans la construction de l’identité familiale ?

Florence Chataignier : Chaque famille se bâtit sur des moments clefs, faits d’armes qui construisent peu à peu la légende familiale : ça peut être un oncle ivre mort à un mariage ou une femme qui a plongé dans une rivière gelée pour sauver un enfant de la noyade. Ce sont sur ces « traces » que nos mythologies intimes prennent forme. Et puis ça passe de génération en génération et on se retrouve à trimballer sur notre dos des tonnes de traumas qui appartiennent à nos aïeux.

HEC Stories : Quel a été l’accueil de ton entourage à la publication du roman ?

Florence Chataignier : En dehors de mon mari qui était extrêmement enthousiaste et même moteur dans ce projet d’écriture, l’accueil a été mitigé dans ma famille. Il s’agit d’un sujet trop intime, trop douloureux, et puis trop récent peut être ? Ma sœur, qui est la seule à avoir lu avant la publication, a eu de la peine je crois mais elle a été très élégante, n’a demandé que quelques changements, minimes. Mes oncles et tantes n’ont pas adoré et je les comprends très bien.

 

HEC Stories : Le titre “Des gens comme il faut” a une résonance très ironique : est-ce une provocation, une quête de vérité … ?

Florence Chataignier : Il y a en effet dans ce texte une critique pas tout à fait implicite de la bourgeoisie dans les années 70/80, milieu obsédé par les apparences… En terminale, j’étais tombée sous le charme de Bourdieu, les concepts de capital culturel et de capital social m’avaient marquée. Quelques années avant d’écrire ce texte, j’ai lu la Distinction, Critique sociale du jugement. Cela m’a sans doute influencée. Le titre est aussi un extrait d’une chanson de Jean Jacques Goldman -mon idole d’enfance – « on ne sera jamais de standards, des gens bien comme il faut ». Entre Bourdieu et JJG, j’espère qu’il y a dans mon titre autant de provocation que de vérité.

HEC Stories : Tu es alumni HEC, qui ne mène pas directement vers l’écriture : que faisais-tu avant et qu’est-ce qui t’a mené vers ce roman ?

Florence Chataignier : Après mes études, j’ai assez vite dévié vers le métier de productrice de télévision, puis à NY, j’ai pris la direction de Bonpoint. Depuis notre retour à Paris, de retour à la télé, je m’occupe de la production éditoriale des Rencontres du Papotin, une émission merveilleuse diffusée sur France2. Ecrire, c’est une tentative pour essayer de se comprendre soi-même. Ce roman, je l’avais en tête depuis une éternité, j’ai d’ailleurs retrouvé récemment un brouillon avec le plan du livre dans un dossier datant de 2010 ! Il me fallait un élément déclencheur : la mort de mon père (on pourrait aussi supposer que j’attendais sa disparition pour pouvoir écrire à son sujet).

HEC Stories : Tu es aussi très engagée dans l’univers philanthropique, via Alexandre, ton mari notamment — vois-tu un lien entre engagement social et littérature ?

Florence Chataignier : Mon engagement dans le milieu associatif remonte aux Restos du Cœur au début des années 2000, je n’ai pas attendu que mon mari monte EPIC et INFINITE ! Ce premier roman n’a aucun lien avec nos engagements. En revanche, j’ai un texte en tête depuis plusieurs mois qui se déroulera en Inde et qui aura comme toile de fond la vie d’une jeune femme rencontrée lors d’un voyage avec l’association d’Alexandre. Comme je n’écris pas très vite, on en reparlera dans 10 ans, si tu veux bien.

HEC Stories :  En tant que femme, mère, HEC alumni, et aujourd’hui romancière — as-tu le sentiment d’avoir dû légitimer votre place dans le monde littéraire ?

Florence Chataignier : Il ne m’a pas semblé nécessaire de me justifier. J’écris depuis toujours, jusqu’à ce texte, j’estimais simplement qu’aucun de mes textes ne valait la peine de déranger une maison d’édition. Après la sortie de ce livre, je me suis trouvée dans des « salons » entourée d’auteurs et j’ai réalisé que nombre d’entre eux exerçaient  également un autre métier. Le monde littéraire est un lieu étrangement accueillant, je ne m’y attendais pas !

HEC Stories : Quels sont tes conseils de romans pour l’été ?

Florence Chataignier :

Bien être –  Nathan Hill

Dernières nouvelles de Rome et de l’existence – Jean Le Gall

La villa – Brigitte Benkemoun

 

 

 

 

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