Flore Vasseur (H.97) : « j’ai remis en cause mon mode de vie »
Des quartiers d’affaires new-yorkais au documentaire, Flore Vasseur (H.97) a remis en question son mode de vie. Un itinéraire qui tourne à la consécration avec Bigger Than Us, coproduit par Marion Cotillard et sélectionné au Festival de Cannes.
En 1999, Flore Vasseur, fraîchement diplômée d’HEC, s’installe à New York, où elle crée une agence de marketing. Sa mission consiste à faire de la veille stratégique sur le développement d’Internet aux États-Unis, pour le compte de grands patrons français. Les affaires marchent bien, l’entreprise embauche et les investisseurs se bousculent. Au fil de cette success story, pour laquelle elle ne compte pas ses heures, le doute s’installe pourtant. « Je travaillais pour que mes clients gagnent plus vite des parts de marché. Et je commençais à me demander à quoi cela servait. » De fait, le rêve s’effrite brutalement : la bulle d’internet commence à se fissurer et quelques mois plus tard, les tours du World Trade Center s’effondrent. La violence des attentats du 11-Septembre la laisse sidérée et sans réponse. « Je me suis demandé pourquoi on nous envoyait des bombes et quelle avait pu être ma contribution dans cette histoire », résume-t-elle. Une remise en question qui l’amène à douter du modèle capitaliste occidental dans lequel elle a grandi. Le culte de la performance et le consommer toujours plus lui paraissent « obscènes ». Elle prend alors une décision radicale : « J’ai remercié mes employés et mes clients, j’ai fermé ma boîte et je me suis mis en tête de comprendre d’où venaient les bombes. » Elle commence par se mettre à écrire. Son expérience de frenchie à New York, avec son lot d’émulation et de désillusion, a nourri son premier roman, Une fille dans la ville, publié en 2006. Ses livres suivants décrivent les dérives et les ravages du capitalisme à travers des fictions inspirées de faits réels : Comment j’ai liquidé le siècle (2010) suit les péripéties d’un trader qui doute de ses propres pratiques, En bande organisée (2013) tisse un thriller économique et politique autour du destin d’une bande d’amis hauts dirigeants qui se sont rencontrés… à HEC. Dans chacun de ses livres, Flore Vasseur tente de décortiquer les mécanismes délétères du capitalisme. «Ce qui me ravage c’est qu’on a renoncé à l’intérêt général, à la solidarité, à ce qui faisait la société, à ce qui nous rend humain et tout cela, au nom du confort. » Vingt ans après le début de sa quête au lendemain du 11-Septembre, elle a une certitude : « j’ai compris que nous sommes la bombe », assène-t-elle calmement. On devine en elle une colère sourde.
Des pages à l’image
Après s’être focalisée sur l’écriture, Flore élargit son horizon au documentaire, une façon de raconter des histoires ancrées dans le réel. Depuis une dizaine d’années, son travail porte sur les lanceurs d’alerte. Son documentaire Meeting Snowden, diffusé sur Arte en 2017, relate la rencontre entre l’ex-informaticien de la NSA, qui a rendu public la surveillance de masse aux États-Unis, et deux autres activistes engagés pour la démocratie. Deux ans plus tard, c’est le portrait du hacker Aaron Shwartz, un prodige de l’informatique engagé pour un internet libre, qu’elle dresse dans un livre intitulé Ce qu’il reste de nos rêves. Luttes inégales ou combats perdus d’avance, ses récits relèvent du mythe de David et Goliath. « Je m’intéresse à ceux qui doutent, explique Flore Vasseur. Comment font-ils ? Comment tiennent-ils ? Je veux montrer ceux qui dénoncent, mais aussi ceux qui proposent des alternatives. C’est de l’ordre du vital pour moi. » À la vue de cette dénonciation méthodique de notre système capitaliste, on pourrait s’attendre à ce que Flore Vasseur ait pris ses distances avec l’école qui l’a formée. Pas du tout. C’est avec une nostalgie émue qu’elle évoque ses années sur le campus. « Je me souviens que durant les premiers mois, j’hallucinais d’être là. Ce sont sans doute les années où je me suis sentie le plus en sécurité. On est couvés, célébrés, encouragés. J’ai beaucoup de tendresse pour ce que j’y ai vécu. » Ce qu’elle y a appris a d’une certaine façon inspiré son parcours : « Le désir de faire le monde, d’avoir ma part. J’ai trouvé que les études à HEC étaient comme une rampe de lancement pour devenir qui on est vraiment. »
Lorsque l’on est actif pour la communauté, cela nous donne un rôle et cela nous fait sentir profondément vivant. ”
Les grandes causes forment la jeunesse
Sorti en salles en septembre 2021, son dernier film, Bigger Than Us, délaisse la personnalité médiatisée et ostracisée du lanceur d’alerte pour s’intéresser à une jeunesse anonyme et militante. Si la Suédoise Greta Thunberg fait figure de célébrité, de nombreux jeunes à travers la planète s’engagent dans des combats pour l’environnement, mais aussi pour la justice sociale, le droit des femmes ou l’accueil des migrants. On y suit l’Indonésienne Melati, âgée de 18 ans, qui milite depuis qu’elle a 12 ans contre la pollution plastique dans son pays. On part avec elle pour un tour du monde, à la rencontre de Mary qui vient en aide aux migrants au large de l’île grecque de Lesbos, Xiuhtzecatl, rappeur et activiste américain engagé contre l’exploitation du gaz de schiste, Memory qui a fait reculer l’âge légal du mariage de 15 à 18 ans dans son pays, le Malawi… Au fil de ces rencontres s’esquisse le portrait d’une jeunesse idéaliste, prête à déployer une énergie phénoménale pour transformer le monde dans lequel elle est née par un monde dans lequel elle voudrait vivre. Le récit de ses luttes résonne comme un appel à agir. « L’idée, c’est de montrer qu’être actif pour sa communauté, cela nous donne un rôle et nous fait sentir profondément vivant », insiste Flore Vasseur.
Une autre vie
Aujourd’hui, Flore Vasseur a réinventé sa vie d’entrepreneuse pour écrire des livres et tourner des documentaires. Un choix de vie qui lui a valu des périodes de précarité et beaucoup d’incertitudes. Pour autant, elle ne regrette rien. « Je suis montagnarde, je choisis ma pente. Ce ne sont pas des chemins confortables mais ils m’exaltent. » Mère de deux enfants, la réalisatrice s’attache à leur donner des role-models. Aussi, elle s’efforce d’incarner elle-même ses convictions au quotidien, dans sa vie personnelle et professionnelle. Citadine, elle n’a pas de voiture et ne prend l’avion que dans le cadre professionnel. Il y a trois ans, elle a créé le studio Big Mother Productions, pour réaliser des « contenus à impact », dont le film Bigger Than Us. À travers les histoires de ces jeunes héros des temps modernes, on sent le profond respect de la réalisatrice. «C’est plus que de l’admiration, c’est de l’amour, confie-t-elle. Je ne comprends pas qu’on ne soit pas plus nombreux à relayer ces histoires. On passe notre temps à célébrer des starlettes de pacotille qui ne servent à rien. Il est temps de remettre des idéaux et qu’ils soient incarnés. » Mais un film change-t-il vraiment les choses ? « La question, c’est de savoir si notre travail est utile…» 80 000 étudiants et lycéens ont assisté aux projections durant les premières semaines de diffusion de Bigger Than Us. Les interactions avec le jeune public sont toujours des moments forts pour Flore Vasseur. «Beaucoup d’entre eux viennent me voir à la fin du film et partagent leurs émotions. Ce qui me touche le plus, c’est que souvent, ils repartent avec de l’énergie, comme si quelque chose s’était allumé en eux. »
Published by La rédaction