Estelle Brachlianoff, DG de Veolia, répond aux HEC
Avec Christel Heydemann chez Orange et Catherine MacGregor chez Engie, elles sont seulement trois femmes – trois ingénieures – à diriger un groupe du CAC 40. Estelle Brachlianoff, qui vient de fêter ses 50 ans, a pris ses fonctions de DG de Veolia en juillet. Voilà la polytechnicienne à la tête d’une multinationale de 220 000 collaborateurs, dont 80 % d’hommes, qui génère plus de 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un mastodonte qu’elle connaît sur le bout des doigts pour avoir été le bras droit d’Antoine Frérot pendant quatre ans avant ce passage de relais. L’ex-PDG, qui reste président du conseil d’administration, pourra compter sur la ténacité et l’intelligence de celle qui reconnaît être « une rationalité sur pattes ». La fille de la première femme admise au bureau d’études d’Aérospatiale (devenue Airbus) devra mener à bien l’intégration de 40 000 salariés de l’ex-Suez.
L’acquisition de 60 % du rival tricolore, qui a fait couler beaucoup d’encre, doit déboucher sur 500 millions d’euros de synergies d’ici à 2025. Interrogée par les étudiants d’HEC Paris sur les conséquences sociales de l’OPA, Estelle Brachlianoff martèle que l’emploi sera préservé et même que les effectifs vont continuer à augmenter. De fait, le géant des services à l’environnement se porte bien. Le chiffre d’affaires a bondi de 16 % sur les neuf premiers mois de 2022 et l’objectif annuel a été revu à la hausse. Pendant l’heure qu’elle a passé en compagnie des étudiants, la dirigeante a évoqué sa vision d’une « écologie des solutions » qui permet de réduire les émissions de carbone tout en créant de l’emploi local non délocalisable. Veolia veut accélérer sur le biogaz, la réutilisation des eaux usées, le recyclage. Des activités au cœur des enjeux actuels.
Carla Richard (H.24)
Carla a présidé l’association HEC Débats. Elle a fait venir des personnalités reconnues comme l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, le patron de Total, Patrick Pouyanné, ou encore Fidji Simo, ex-numéro 2 de Facebook. Elle est engagée pour l’environnement.
2016 Année de césure aux États-Unis.
2021 Mène une conférence avec Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne.
2022 Publie un article dans le quotidien Les Échos sur les illusions des obligations vertes.
Ganesh RadhaUdayakumar (MBA.23)
Étudiant MBA, Ganesh est un ancien journaliste au sein du groupe India Today.
2018 Rédige, avec 2 confrères, une série d’articles pour mettre en lumière une expédition en Antarctique organisée par la Fondation 2041 avec une trentaine d’Indiens. Objectif : sensibiliser le public aux risques du dérèglement climatique.
2021 Consultant en communication chez CEEW (Council on Energy, Environment and Water), un think tank situé à New Delhi.
2022 Intègre HEC, spécialisation Sustainable and Disruptive Innovation.
Marianne Seux (H.24)
Intéressée par la finance éthique, Marianne fait partie de l’Africa Finance Bootcamp, un groupement d’étudiants qui rencontre des professionnels du monde de la finance sur le continent africain.
2018-2019 Missions bénévoles dans des orphelinats en Bulgarie.
2022 Organisation d’un festival de musique de 1 000 participants sur le campus d’HEC. Gestion de la communication du Bureau des arts (BDA) et de l’Assrock.
2022 Stage de six mois chez Engie Rassembleurs d’Énergies, le fonds d’investissement à impact du groupe Engie.
Eau, déchets, énergie : des défis immenses
Carla Richard (H.24) : Entre crise énergétique, pénurie d’eau et accélération du dérèglement climatique, comment rester optimiste pour notre avenir ?
Estelle Brachlianoff : Cette question anime mon action au quotidien. D’ailleurs, j’en ai aussi un rappel constant à la maison où mes deux enfants, qui sont encore plus jeunes que vous, me disent d’aller plus vite ! Je me sens particulièrement fière et heureuse d’avoir été nommée à la tête de Veolia car c’est l’occasion d’apporter une partie de la réponse. L’activité de Veolia est directement liée à la protection de l’environnement, via nos trois métiers qui sont l’eau, l’énergie et les déchets. Les grands enjeux de la planète sont aujourd’hui incontestables : le changement climatique, la protection de la biodiversité et la préservation des ressources. Nous ne retrouverons jamais le monde tel qu’on l’a connu mais je suis convaincue que nous pouvons encore en faire un monde vivable et même agréable à vivre. Nous savons que la moitié des solutions existent déjà. L’autre moitié reste à inventer, mais on peut d’ores et déjà accélérer le déploiement des solutions existantes et ainsi augmenter leur impact. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Veolia s’est agrandi.
Carla: Et la guerre en Ukraine, ça ne vous rend pas pessimiste ?
E.B.: La situation géopolitique rend plus que jamais nécessaire la transition vers les énergies renouvelables. Cela va dans le sens d’une accélération de l’histoire. Certes, l’Europe va brûler davantage de charbon dans un premier temps pour compenser la perte du gaz russe, mais les pays travaillent activement à diversifier leur mix énergétique sur le long terme, et c’est positif.
Ganesh : Votre réponse me fait penser à Emmanuel Faber, l’ancien patron de Danone venu sur le campus HEC. Je lui ai demandé ce qui lui donnait de l’espoir. Il a dit qu’on ne savait pas encore ce dont l’humanité était capable. Il a aussi évoqué les moines Shaolin…
E.B.: Vous êtes en train de dire que je suis métaphysique ? (Rires) Vous savez, chez Veolia, nous sommes très concrets. Prenons l’exemple du biogaz : une molécule de carbone, quatre molécules d’hydrogène. Au lieu d’aller la chercher en forant, nous savons la produire dans les décharges et les stations d’épuration. Il s’agit d’énergie renouvelable générée à partir de déchets. Avec le biogaz des déchets, la France pourrait remplacer 25 % du gaz russe importé. Ce n’est pas rien !
Ganesh : D’après les estimations, le marché mondial de l’eau et du traitement des eaux usées représentera 489 milliards de dollars en 2029. Que fait Veolia aujourd’hui pour se préparer à saisir cette opportunité ?
E.B.: Notre priorité consiste à mettre en place des dispositifs adaptés pour la préservation de cette ressource qui devient de plus en plus rare. Il y a quatre axes majeurs de développement dans notre activité eau. Le premier concerne l’accès à l’eau potable, notamment en Afrique et en Asie. Le deuxième, c’est la gestion des réseaux. En Amérique du Sud et aux États-Unis, les fuites d’eau font perdre 50 % des volumes. La France fait mieux, avec un ratio de 20 % en moyenne. Forts de notre savoirfaire, nous installons des capteurs et faisons tourner des algorithmes d’intelligence artificielle pour détecter les fuites. Troisième point : la réutilisation des eaux usées. Le sujet est nouveau en France mais déjà maîtrisé dans d’autres pays qui ont été confrontés au stress hydrique bien avant nous. Veolia sait réutiliser les eaux usées pour arroser les espaces verts, nettoyer les rues, irriguer les champs et même refaire de l’eau potable, ce que nous faisons dans la capitale de la Namibie. Quatrième et dernier potentiel de développement : le dessalement d’eau de mer. La consommation d’énergie associée a été divisée par quatre en dix ans, mais son déploiement se fait uniquement sur des géographies où il n’y a pas d’autre choix, comme en Australie ou dans certains pays du Moyen-Orient.
Marianne: La collecte et la valorisation des biodéchets vont devenir obligatoires en France à partir de 2024. Comment Veolia souscrit-il à cette démarche?
Estelle Brachlianoff: Cette législation est très positive. Nous collectons déjà des résidus de cantines et de restaurants afin d’en faire des fertilisants non chimiques. Nous savons également mélanger les biodéchets pour faire de la codigestion. En France, des méthaniseurs sont à moitié vides. Si nous utilisons toute cette capacité pour produire du biogaz à partir des biodéchets, nous ferons un pas de plus vers notre souveraineté énergétique. Il est aussi possible de transformer les biodéchets en engrais, ce qui constitue un axe de développement fort pour nos activités dans l’agriculture.
Carla Richard : Vous parlez souvent de transformation écologique, d’efficacité énergétique ou encore d’économie circulaire. De plus en plus de voix réclament la décroissance, appelant à une modification radicale de notre manière de consommer. Que pensez-vous d’un tel changement de société?
E.B.: La décroissance ne me paraît pas être la panacée dans le contexte actuel. L’humanité a réussi à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté. S’arrêter là serait injuste pour ceux qui n’ont pas encore profité du progrès. C’est pourquoi je préfère parler de sobriété. Un usage plus efficace des ressources permet d’opérer un découplage entre la croissance économique et l’utilisation des ressources naturelles. Cela passe aussi par l’économie circulaire : recycler, réutiliser les ressources. Le biogaz, dont nous venons de parler, offre une alternative crédible aux énergies fossiles.
Le nouveau Veolia
Nous collectons déjà des résidus de cantines et de restaurants afin d’en faire des fertilisants non chimiques
Carla: En janvier 2022, Veolia a absorbé 60 % de Suez en réalisant une offre publique d’achat (OPA) que l’on peut qualifier d’hostile, si je puis me permettre. Comment prévoyez-vous d’apaiser le climat et d’en faire une intégration réussie?
E.B.: Le rapprochement avec Suez a fait couler beaucoup d’encre, mais la réalité n’a tellement rien à voir que ça m’a fait sursauter de vous entendre dire le terme « hostile ». D’ailleurs, je ne parle pas d’absorption mais de rapprochement. Je me réjouis que Veolia ait 40 000 salariés de plus, avec leurs compétences et leur savoir-faire. L’intégration se passe très bien, ce que reflètent nos enquêtes d’opinion internes. Pour tout vous dire, le climat est très apaisé depuis le début, à part dans quelques étages supérieurs d’une tour à la Défense…
Carla: C’était bien une OPA hostile?
E.B.: Veolia n’a pas décidé du jour au lendemain de racheter Suez de façon hostile. Le groupe Engie, qui possédait un peu plus de 30 % de la société, a annoncé [NDLR : en octobre 2020] son intention de les céder. Un mois plus tard, Veolia s’est porté candidat en présentant un projet industriel solide et des garanties de protection de l’emploi. Nous nous sommes même engagés à créer de l’emploi, il s’agit d’un projet de développement. Quelle aurait été l’alternative à Veolia ? Des fonds d’investissement qui avaient globalement pour projet de découper Suez en morceaux. C’est notre projet industriel qui l’a emporté.
Carla: Tout de même, lors d’une acquisition, on trouve des doublons entre les deux sociétés. Les salariés ont peur pour leur emploi. Par ailleurs, les managers de Suez pourraient redouter d’être défavorisés par rapport à ceux de Veolia.
E.B.: Nous avons pris des engagements sur ces deux points dès le départ : maintien total de l’emploi sur quatre ans et mixité des équipes jusqu’au plus haut niveau de l’entreprise, c’est-à-dire au comité exécutif. Nous avons fusionné les deux entreprises. Dans certains pays, le directeur est un ancien Suez, dans d’autres, c’est un ancien Veolia. Notre comité exécutif s’est également enrichi de quatre personnes venues de Suez. Nous avons tenu nos promesses. Par ailleurs, les activités que nous avons reprises sont en grande majorité complémentaires à celles de Veolia, donc il n’y a pas beaucoup de doublons.
Marianne: Une telle fusion renforce votre pouvoir de marché. Veolia va pouvoir facturer plus cher les services proposés aux collectivités. Le citoyen ne peut être que perdant… non?
E.B.: Non, je pense qu’il est gagnant. Nous avons racheté l’activité internationale de Suez, pas la France, où nous aurions sinon bénéficié d’une part de marché trop importante. Si vous voyez toujours passer des camions Suez dans la rue, ce n’est pas parce que nous n’avons pas eu le temps de changer le logo. C’est parce que Suez est toujours actif en France. Dans chacun des autres pays, nous avons dialogué avec les autorités antitrusts. Nous avons instruit 18 dossiers et nous avons obtenu l’autorisation dans tous les cas. Au niveau mondial, notre part de marché s’élève à 5 %. Dans certains pays où nous sommes le plus présents (par exemple les États-Unis), cela atteint 25 % maximum, mais nous ne sommes en position dominante nulle part.
Marianne: Pourquoi affirmez-vous que le consommateur sera gagnant?
E.B.: Nous sommes en train d’unir les savoir-faire de Veolia et de Suez. Prenons l’exemple de l’eau : la réutilisation des eaux usées. Veolia maîtrisait cette technologie mais avait peu de références. Les ex-Suez font du recyclage de l’eau en Espagne et aux États-Unis depuis longtemps. Veolia va bénéficier de cette expérience de Suez dans la réutilisation afin de l’importer en France et, à terme, cela va profiter aux collectivités locales françaises. L’Espagne constitue d’ailleurs une bonne illustration de la complémentarité de nos activités : Suez y faisait de l’eau et Veolia de l’énergie. L’équipe espagnole a certes grossi avec la fusion, mais il n’y a pas de superposition. De même, au Chili, Veolia faisait de l’industrie et Suez du municipal. Dans l’ensemble, il y a une grande complémentarité entre les deux entreprises, à la fois géographique et au niveau des métiers. Les parties prenantes vont bénéficier du rapprochement puisque nous pourrons déployer davantage de solutions dans davantage de pays.
«Nous allons continuer à construire les solutions du futur»
Ganesh : Parlons des engagements de Veolia pour faire face au dérèglement climatique. Vous vous êtes engagés à réduire de 22 % vos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2034. Est-ce que cet objectif est suffisamment ambitieux?
Estelle Brachlianoff: Ce n’est jamais assez ambitieux. Si nous pouvons accélérer cette trajectoire carbone, nous le ferons. D’ailleurs, nous allons vraisemblablement relever la cible dans le cadre du renouvellement du plan stratégique prévu fin 2023. Quand on parle de l’impact carbone de Veolia, il faut distinguer nos émissions directes et celles que nous permettons à nos clients d’éviter. Les premières concernent la plupart du temps des actifs que nous opérons pour le compte d’autrui pendant dix ou quinze ans. C’est assez paradoxal car ces actifs sont issus d’investissements qui sont agréés par la collectivité. De ce point de vue là, Veolia n’est pas une entreprise industrielle classique. Néanmoins, sur ce scope 1 [NDLR : émissions directes de gaz à effet de serre], qui nous est prêté, nous nous sommes engagés à sortir du charbon en Europe dans la décennie. Nous investissons plus de 100 millions d’euros par an pour remplacer des chaudières à charbon par de la biomasse ou d’autres énergies moins polluantes.
Ganesh : Ne pouvez-vous pas faire plus?
E.B.: Je suis complètement d’accord avec vous, il faut faire plus et plus vite et nous y travaillons. L’approche de Veolia est assez singulière car, plutôt que de se séparer des activités liées au charbon, nous les transformons. Ainsi, notre usine à Brunswick en Allemagne, qui alimente toute la ville en chaleur et en électricité à partir de charbon, est passée à la biomasse à la fin de l’année 2021. Cela a représenté un investissement de 350 millions d’euros. Nous investissons également en République tchèque, à Prerov et Karvina, et ensuite ce sera au tour de la Pologne avec Poznan. Deuxième sujet sur lequel nous travaillons, les émissions de méthane. Nous avons lancé un programme en Amérique latine pour récupérer le méthane des décharges et produire du biogaz tout en évitant les émissions.
Ganesh : Vous visez le zéro net en 2050
E.B.: Plutôt que de prendre des engagements à l’horizon 2050 et de se dire : « On verra bien plus tard comment on y arrive », nous avons préféré nous donner un objectif ambitieux mais réaliste sur lequel nous pouvons avancer dès maintenant. Ça doit être mon côté ingénieur : j’aime m’engager sur quelque chose quand je sais déjà de quelle façon je vais m’y prendre. Par exemple nous savons techniquement capter 80 % des émissions d’une décharge, mais pas 100 %. Nous explorons par ailleurs des innovations plus radicales comme la capture de carbone.
Marianne: On l’a encore vu cet été en Europe ou au Bangladesh, le monde est confronté à des situations de stress hydrique de plus en plus fréquentes et graves. Dans ce contexte, l’eau peut apparaître comme une ressource vitale relevant de la responsabilité du gouvernement. Et si on imposait le passage en régie ou nationalisait les activités eau de Veolia et Suez?
E.B.: Les contrats que nous passons avec les collectivités locales sont des délégations de service public. Nous mettons notre savoir-faire et notre expertise au service des pouvoirs publics mais ce sont eux qui possèdent les actifs et qui définissent les objectifs. Si je comprends votre question, il s’agirait de passer à 100 % en régie. Est-ce qu’une entreprise privée qui investit dans l’innovation et qui opère dans 44 pays peut apporter un plus par rapport à la gestion publique ? J’en suis absolument convaincue. Je pense que le gouvernement prévoit de lancer un grand plan stratégique sur l’eau, une planification sur cinq ou dix ans. Je m’en félicite. L’expérience de Veolia à travers le monde lui donne une capacité à innover qui le rend totalement légitime pour contribuer à l’ambition française en la matière
Marianne: Nous parlions tout à l’heure des 20 % de fuite dans les réseaux. Est-ce qu’un opérateur public serait davantage enclin qu’un acteur privé à investir pour combler ces fuites, étant donné que son actionnaire n’a pas les mêmes exigences de rentabilité qu’un investisseur privé?
E.B.: Ce n’est pas comme ça que nos activités fonctionnent. Lorsque les collectivités locales nous passent le contrat, elles prévoient une incitation financière liée au taux de fuite. La performance du réseau est donc un élément clé de notre prestation. La rémunération de l’actionnaire n’a rien à voir avec ça.
Carla: Quels seront selon vous les principaux relais de croissance de Veolia dans les décennies qui viennent? Le groupe va-t-il se métamorphoser ou rester sur ses fondamentaux actuels?
E.B.: En tant que leader du secteur des services à l’environnement, nous sommes positionnés sur les marchés à forte valeur ajoutée au cœur de la problématique de la transformation écologique. Et au sens plus large, de la réindustrialisation et de la relocalisation des chaînes d’approvisionnement. Notre mission est d’accompagner les territoires et les industriels face aux défis de la crise climatique et à la raréfaction des ressources. Veolia est le premier acteur mondial qui dispose des compétences nécessaires pour développer la plupart des innovations au croisement de ces métiers aux liens importants : l’eau, l’énergie et les déchets. Donc nous allons continuer à construire les solutions du futur en nous appuyant sur nos métiers historiques.
Parcours et personnalité
Carla: En tant que personne, en tant qu’ingénieure peut-être, comment s’est développée votre conscience écologique?
E.B.: Elle ne vient pas de mes études. Ma génération ne discutait pas vraiment des sujets environnementaux lorsque j’étais étudiante. Ma conscience écologique s’est construite petit à petit, sur la base de faits, de chiffres sur la pollution, son impact sur la santé, etc. J’ai tendance à ne pas lâcher, à chercher systématiquement une solution à un problème. Quand je n’y arrive pas du premier coup, je réessaie autrement. J’ai des adolescents à la maison qui me mettent la pression. Je ressens une responsabilité en tant qu’adulte et dirigeante de Veolia.
Ganesh : Dans mon dernier job, j’ai appris le terme « extreme ownership », qui désigne l’implication extrême d’une personne dans son travail. Une anecdote dans le quotidien Le Monde l’illustre bien. L’article raconte comment vous réprimandiez les conducteurs de camions-poubelles qui conduisaient sans ceinture dans Paris à l’aube. D’où vous vient cette implication ?
Estelle Brachlianoff : La curiosité est un puissant moteur chez moi. Une opportunité se présente, j’essaie. Le premier poste opérationnel que m’a proposé Veolia touchait au nettoyage industriel. J’ai dit pourquoi pas, j’ai accepté et j’ai adoré. Ce n’était en réalité que de la matière humaine. C’est super de voir la mayonnaise prendre et les équipes se souder. J’ai un mantra, « never give up ». Je veux donner le maximum, soutenir les équipes et l’ambition de Veolia au service d’un projet dans lequel je crois. Je reviens aux camions-poubelles. En réalité, c’était des balayeuses de voirie – d’ailleurs, avez-vous remarqué que ces véhicules conduisent à gauche, à l’anglaise ? J’étais jeune (35 ans), c’était à Paris, je me disais que si le conducteur ne portait pas la ceinture, ça pourrait finir par un accident, voire un mort qu’on aurait pu éviter. C’est aussi simple que ça !
Ganesh: Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre fonction
E.B.: J’adore dialoguer avec des personnes de tous horizons. En juin, je me suis rendue au Chili où nous avons changé de dimension après le rapprochement avec Suez. En moins de trois jours, j’ai rencontré un ancien ministre, un ancien président de la République, de grandes familles chiliennes, des ouvriers qui opèrent les réseaux d’eau… J’ai découvert plein de choses, c’était merveilleux.
Marianne: Vous prenez la tête de Veolia à un moment où, certes, le groupe publie des résultats record, mais il fait face à un contexte de crises sociale et environnementale inédites. Quelle a été votre plus grosse difficulté depuis votre nomination ?
E.B.: Le plus difficile, c’est d’arriver à dire non. Je sais que je dois gérer mon agenda mais j’ai tendance à prendre sur moi, à me dire que je trouverai bien un moyen de caler telle ou telle rencontre. Il faut savoir renoncer à certaines batailles pour se concentrer sur les principales.
Carla: Cinq ans après le mouvement #MeToo et onze ans après la loi Copé-Zimmermann, il n’y a toujours aucune femme PDG dans le CAC 40. On compte trois dirigeantes, vous-même, Catherine MacGregor et Christel Heydemann. Vous êtes toutes trois DG, mais pas présidentes. Cela me choque un peu. Pas vous ?
E.B. : La bonne nouvelle, c’est que ça progresse. Vous m’auriez posé la question il y a un an et demi, nous étions à zéro directrice générale sur les quarante grands groupes. La mauvaise nouvelle, c’est que cela prend un temps fou. Il faut accélérer sur la mixité, mais aussi sur la variété des nationalités, des origines sociales, des parcours professionnels des dirigeants. La diversité favorise la créativité et la propension à innover. Depuis quelques années, on tend à dissocier les fonctions de président et directeur général lors des successions. Cette pratique de gouvernance est exigée par une partie du monde anglo-saxon, avec des points positifs et d’autres moins. Dans le cas de Veolia, je ne peux pas imaginer un meilleur président qu’Antoine Frérot parce qu’on se connaît bien tous les deux. Nous travaillons très bien ensemble, nous sommes complémentaires.
Marianne: Vous êtes passionnée de danse contemporaine et de musique. Quel spectacle allez-vous voir prochainement ?
E.B.: Je vous recommande Promise, de la chorégraphe israélienne Sharon Eyal ! Elle a une énergie vitale un peu sauvage, époustouflante. Le spectacle passe en juin au Théâtre de la Ville, à Paris.
Published by Thomas Lestavel