Est-ce au tour du mouvement woke de faire bouger les lignes en entreprise ?
Retour sur le dernier événement du Club HEC DiversitéS organisé chez kwerk bureaux d’exception.
Woke. Un mot et 4 lettres qui interpellent, interrogent, crispent et polarisent. Derrière ses multiples désignations (le mouvement woke, la culture woke, le wokisme, l’idéologie woke…) se cache un concept qui occupe, depuis peu, l’espace public et médiatique mais aussi le monde du travail. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Sait-on vraiment ce que désigne le « woke » ? Est-ce un mouvement passager ou une évolution structurelle de notre société ? Et quelle résonance lui donner dans l’organisation de travail ?Pour la première fois au sein de la communauté HEC Alumni, le Club HEC DiversitéS a proposé de décrypter cette notion afin que chacun.e reparte avec des clés de réflexion et de compréhension. Pour explorer la question woke, le Club a reçu deux invitées exceptionnelles : Audrey Millet, Docteure en histoire, chercheuse à l’université d’Oslo, spécialiste de l’industrie de l’habillement qui vient de publier Woke Washing. Capitalisme, consumérisme, opportunisme (paru le 07/04/23 aux éditions Les Pérégrines) et Erell Thevenon, Docteure en droit, déléguée générale de l’Institut pour l’Innovation Économique et Sociale – 2IES, et auteure de L’entreprise face aux revendications identitaires : Des réponses au wokisme (paru le 22/03/23 aux éditions PUF).
Dans Woke Washing. Capitalisme, consumérisme, opportunisme, Audrey Millet décrypte le woke au prisme des sciences historiques en analysant les contextes de naissance et d’évolution du mouvement. Elle y décrit un « éveil » naissant au moment de la révolution industrielle par les romantiques qui regardent alors le monde en opposition au rationalisme des Lumières et au néo-classicisme. Un moment charnière qui signe déjà la récupération des causes sociales et populaires par le capitalisme et les entreprises pour séduire les consommateurs et blanchir leurs réputations, notamment grâce à la philanthropie. Sous couvert d’une « liberté d’entreprendre » absolue s’affichant comme « éveillée », une propagande néo-libérale se généralise au XXe siècle dont il résulte aujourd’hui des aberrations industrielles causant de véritables dangers sanitaires et écologiques pour toutes et tous. « Je me demande aujourd’hui où est l’éveil ? J’aimerais que notre véritable éveil, celui pour l’égalité, la démocratie et le bien commun passe avant l’individualisme. Je voudrais que cela rassemble et non pas que cela divise. Parce que face à l’industrie, dont nous avons besoin, nous sommes bien peu de choses si nous sommes divisés. », nous dit Audrey.
Erell Thevenon a co-écrit L’entreprise face aux revendications identitaires : Des réponses au wokisme, avec le journaliste Brice Couturier, pour aiguiller dirigeants d’entreprises et managers face à une interrogation partagée : « Comment l’entreprise se positionne face au woke ? ». Dans son ouvrage, elle distingue le mouvement woke : « cette sensibilité forte, enthousiaste et énergique aux discriminations, à l’environnement et aux injustices sociales, particulièrement portée par les jeunes générations et enracinée dans de bonnes causes » d’une idéologie radicale identitaire : « une vision atomisée de la société qui assigne les gens à des catégories selon certains critères : le genre, l’orientation sexuelle, la couleur de peau, la religion… ». Or, dans la réalité, distinguer ce qui est porteur de progrès et de tolérance de ce qui relève de l’idéologie et de l’opposition n’est pas si facile.Erell met en garde : oui le mouvement woke fait bouger les lignes en entreprise parce qu’elle ne peut s’abstraire de tous ces mouvements sociaux et qu’elle n’est pas là pour porter des jugements mais il faut s’opposer contre ce que l’auteure appelle « les revendicationsidentitaires » qui risquent de fractionner le collectif avec pour exigence d’être représenté uniquement par des gens qui nous ressemblent.
En définitive, nos deux invitées s’accordent à dire qu’il faut regarder et penser le sujet pour ne pas devenir « woke de surface » en détruisant au passage l’essence de progrès du mouvement. L’entreprise a tout intérêt à être woke mais avec quelques garde-fous : elle ne doit pas l’être par opportunisme, en incohérence avec toute sa chaîne de valeurs et, en même temps, ne pas tomber complètement dans « le ravin du piège identitaire », décrit par Erell Thevenon, si elle ne maîtrise pas sa stratégie.
Parmi la centaine de personnes que l’évènement réunissait, en présentiel et en distanciel, de nombreuses réactions ont émergé et ont donné lieu à des échanges avec les intervenantes, notamment sur les sujets du sexisme en entreprise et de l’inclusion LGBTQIA+. Comme à l’accoutumée, les Alumni HEC ont fait preuve de curiosité, de vivacité d’esprit et d’exigence, tant dans leurs questions que dans leurs partages d’expériences.
Encore un grand merci au centre kwerk Madeleine, bureaux d’exception co-fondés par notre camarade Lawrence Knights (H.03) et Albert Angel, d’avoir accueilli l’événement.
Elie Sic-Sic (H.03) et Victoire AubertinMembres du Bureau du Club HEC DiversitéS
Published by La rédaction