C’est une tradition : lors de l’Assemblée générale de l’association HEC Alumni, le prix HEC de l’Année est remis à un diplômé dont le parcours et l’actualité sont exemplaires.

L’an passé, ce prix avait été décerné ex aequo à Thomas Jonas (H.93), entrepreneur de Chicago qui a créé un substitut de viande innovant, et Agnès Pannier-Runacher (H.95), la ministre de la Transition énergétique. Cette année, c’est Éric Lombard, le directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui a été distingué pour son action. Le président d’HEC Alumni, Adrien Couret, est revenu à cette occasion sur son parcours exceptionnelle.

Éric Lombard, qui a nourri tout au long de sa carrière un double intérêt pour la finance et la politique, devenait en 2017 le premier directeur général de la Caisse des Dépôts qui n’est pas issu de la fonction publique. Il aurait déjà pu être nommé HEC de l’année à ce moment-là. Mais en janvier 2023, il devient le premier directeur général de la Caisse des Dépôts dont le mandat est renouvelé par le gouvernement. Cela fait beaucoup de nouveautés pour un établissement public créé en 1816, il y a un peu plus de deux cents ans.

La Caisse des dépôts joue un rôle central dans la mise en application de la politique économique française. Les journalistes la qualifient même parfois de « bras armé » du gouvernement, dans une métaphore un peu martiale… Mais il est vrai qu’avec 1300 milliards d’euros d’investissements et de prêts injectés dans l’économie française, à travers une escouade de filiales – dont Bpi France, elle aussi dirigée par un diplômé HEC –, l’institution fait figure d’arme de développement massive.  Et il faut une certaine dextérité pour manœuvrer une si grosse machine.

Éric Lombard est né à Boulogne-Billancourt et a grandi à Troyes. Il est le petit-fils de Pierre Lévy, qui a créé le groupe textile Devanlay (lequel commercialise aujourd’hui de célèbres polos marqués d’un crocodile à la place du cœur), mais était également un grand collectionneur d’art. Une passion dont Éric a hérité, puisqu’il a rejoint le conseil d’administration du Louvre en février 2023 – en même temps qu’un autre HEC, Emmanuel Faber (H.86).

Après le Bac, il avait d’abord envisagé de suivre des études d’ingénieur. Mais ne faire que des maths, cela ne l’emballait pas vraiment. Pour ne pas renoncer totalement aux matières littéraires et aux sciences sociales, il se dirige vers les hautes études de commerce.  C’est ainsi qu’à la toute fin des années 70 arrive sur les campus de Jouy-en-Josas un gaillard aux cheveux longs, qui joue au rugby et qui, de son propre aveu, n’est pas particulièrement bosseur.  Mais au-delà de ses résultats, sportifs ou académiques, c’est une initiative toute différente qui marque ses années d’études. À l’époque, il n’existait que deux syndicats étudiants à HEC : l’un à droite, et l’autre à gauche, affilié au Parti communiste. Ne se reconnaissant dans aucune de ces sensibilités politiques, le jeune Éric Lombard entreprend d’ouvrir une troisième voie en créant un syndicat de gauche « réformatrice ». Un épisode qui préfigure la bifurcation de sa carrière de financier, progressivement portée par la défense de ses convictions et du bien commun.

Fusions acquisitions et politique

En 1981, alors qu’il s’imaginait devenir directeur financier d’un groupe industriel, le jeune diplômé entre en stage à la banque Paribas. Il y restera longtemps. Mais son envie de s’engager en politique reste forte, et le pousse à rejoindre, en marge de ses responsabilités à Paribas, un groupe de travail chargée de préparer la candidature de Michel Rocard à l’élection présidentielle.

Les banquiers d’affaires de gauche, cela ne court pas les rues. Pour autant, la direction de Paribas accueille avec intérêt et bienveillance son engagement en politique, et lui promet de conserver son poste s’il est amené à occuper des responsabilités publiques. Finalement, Michel Rocard ne sera pas candidat, mais il devient Premier ministre en 1988.  Éric Lombard rejoint alors le gouvernement. Pendant quatre ans, il est conseiller de Louis Le Pensec puis de Michel Sapin… avant de revenir chez Paribas, guidé par le sens de l’éthique et de la loyauté, malgré les propositions de postes très bien rémunérés d’une banque américaine. Éric Lombard marche beaucoup à l’affect. D’ailleurs, c’est sur les conseils de Pierre Vernimmen, son professeur de finance à HEC pour lequel il a gardé une grande affection, qu’il crée à cette époque le département fusions-acquisitions de Paribas, dont l’activité progresse rapidement. Il juge son métier de banquier d’affaires « ludique » et « passionnant » , voire quasiment « addictif ».

En 2000, la banque devient le groupe BNP Paribas, au terme de l’une des plus grandes fusions jamais réalisées.

En septembre 2001, Éric Lombard est à New York pour piloter l’acquisition d’une banque américaine, dont les bureaux sont perchés au 95e étage du World Trade Center. Il a rendez-vous le 11 septembre à 8 h 30 pour une réunion avec l’équipe dirigeante. Mais le président de la banque lui téléphone pour retarder l’entrevue parce qu’il doit accompagner son fils à l’école. À 8 h 45, deux avions s’écrasent sur les tours jumelles. Par un pur hasard d’agenda contrarié qu’Éric lombard réchappe à un attentat meurtrier. Il restera ensuite une semaine à New York avec son équipe, bloquée par la fermeture de l’aéroport et l’interruption des liaisons aériennes.

En 2004, il change de métier sans changer de groupe pour diriger Cardif, l’assurance du groupe BNP Paribas. Il débute dans le secteur, mais s’en tire suffisamment bien pour décrocher en 2012 le titre d’assureur de l’année. Il s’en tire même si bien qu’il finit par quitter BNP Paribas en 2013 pour rejoindre l’assureur italien Generali au poste de directeur général France, avec comme défi de redresser la barre dans une entreprise durement affectée par la crise. Un pari réussi, puisque trois ans plus tard, le groupe affiche un résultat opérationnel record de près de 5 milliards d’euros.

Ses talents de banquier d’affaires, sa connaissance des mécanismes financiers et ses talents de dirigeant lui valent d’être nommé à la tête de la Caisse des Dépôts par le président Emmanuel Macron. Deux fois.

 

 

 

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