Christel Bories s’est crue sur la sellette, mais son bilan a parlé pour elle. Avant le renouvellement de son mandat à la tête d’Eramet, elle s’était heurtée, en mars dernier, à l’opposition de la famille Duval, première actionnaire de la société avec 37 % du capital. Au terme d’un bras de fer entre actionnaires dans lequel l’État, qui détient un quart des parts de la société, a plaidé en sa faveur, elle a conservé sa place. À cette occasion, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a défendu l’action de cette industrielle de cœur, passée par Pechiney, Alcan et Ipsen, qui a redonné à Eramet un cap et une agilité dont l’entreprise avait grand besoin. Directe et franche, elle avait annoncé d’emblée, à son arrivée il y a quatre ans, vouloir « mettre les bonnes personnes à la bonne place ». Plusieurs dirigeants du groupe minier ont été débarqués lors de ce ménage de printemps. Elle a fait croître les activités minières historiques d’Eramet et a repositionné le groupe sur les métaux de la transition énergétique (nickel, cobalt, lithium). Sa stratégie répond aux deux exigences de notre temps : responsabilité sociétale et innovation digitale. Eramet a réduit de 25 % son intensité carbone en deux ans. Le groupe présent sur les 5 continents (Nouvelle-Calédonie, Indonésie, Gabon, Sénégal…) utilise des drones et des logiciels d’analyse d’images pour piloter en temps réel l’exploitation de ses mines. Au siège d’Eramet, en haut d’une tour offrant une vue imprenable sur Paris, la diplômée HEC a accueilli trois étudiants du campus juste avant la rentrée de septembre.

Les mines au XXIe siècle

Julien Vacherot (H.24): Le secteur minier souffre d’une mauvaise image. Est-ce mérité ?

Christel Bories: La mine d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’il y a cent ans – heureusement pour les opérateurs qui y travaillent et pour les communautés qui vivent à proximité ! Pour autant, toutes les mines du monde ne se valent pas. Certaines respectent les meilleurs standards en termes environnementaux et sociétaux, d’autres s’en soucient peu. Eramet se distingue de ses concurrents par son positionnement sur le développement durable. Un exemple : nous avons noué en décembre dernier un partenariat avec le chimiste BASF pour développer des sels de nickel et de cobalt à Weda Bay, en Indonésie, à destination des batteries pour les véhicules électriques. Si le groupe allemand nous a choisis, c’est parce que nous garantissons une façon d’opérer responsable et une traçabilité totale.

Claire Schwartz (H.23): Parler de développement durable dans le secteur minier, c’est paradoxal, non ?

C.B.: Dès mon arrivée chez Eramet en 2018, j’ai proposé une vision autour de cinq piliers, dont le principal consiste à être une entreprise citoyenne, engagée et contributive. Nous avons pris des engagements concernant l’aide aux communautés et notre impact sur l’environnement et la biodiversité. Nous étions alors totalement avant-gardistes. Trois ans plus tard, ce type d’engagement est devenu un prérequis pour obtenir ce qu’on appelle dans nos métiers la « licence to operate », le droit d’opérer.

Claire: Pourquoi ?

C.B.: Tout d’abord, parce que pour faire croître son activité dans les pays hôtes, il ne suffit plus d’être toléré. Il faut être aimé. Les attentes des communautés ont énormément évolué au cours de ces dernières années. Celles des clients aussi. Il y a deux ans, quand nous parlions aux grands constructeurs automobiles de conditions de travail dans les mines ou de chaîne de valeur responsable, ils ne se sentaient pas très concernés par ces sujets. Ils ne savaient pas d’où provenaient leurs matières premières, c’était le problème de leurs fournisseurs ! Aujourd’hui, les grands groupes de l’industrie automobile ont émis des exigences sur l’origine de leurs matières premières. Le groupe BMW, par exemple, a banni de ses batteries le cobalt de la République démocratique du Congo parce que c’est un pays où le travail des enfants existe encore. Les pouvoirs publics ont également pris conscience que les batteries électriques n’étaient pas toujours vertes. L’engagement « éthique » n’est pas respecté si le nickel est extrait en rejetant les déchets dans la mer, si des enfants travaillent dans des mines artisanales ou si les métaux sont fondus avec de l’énergie provenant de centrales à charbon qui émettent beaucoup de CO2 . Ce sont des pratiques qui existent et auxquelles il faut s’opposer fermement, sinon, la promesse de la transition énergétique et écologique ne sera pas tenue.

 

Matthias Schibler (H.22) : J’ai des origines chiliennes et suis sensible aux problématiques de ce pays qui fait partie du « triangle du lithium ». Vous développez en Argentine une technique qui permet de réinjecter la quasi-totalité de l’eau pompée pour extraire le lithium. Quel potentiel pour ce genre de projets au moindre impact environnemental?

C.B.: Le projet lithium en Argentine a été stoppé temporairement à cause du Covid, mais on espère le redémarrer très vite. Eramet a développé un procédé propriétaire, assorti d’une douzaine de brevets, beaucoup plus économe en eau et plus efficace en termes de rendement. La méthode traditionnelle consiste à pomper la saumure dans le sol, à la placer dans de grands bassins comme pour le sel marin, et à faire évaporer l’eau. La poudre blanche qui subsiste est ramassée et purifiée, c’est là que se trouve le lithium. Cette technique présente un inconvénient majeur : elle met en péril les ressources hydriques dans des zones qui comptent déjà parmi les plus arides au monde, où il ne pleut que deux ou trois jours par an. Notre procédé, plus écologique, consiste à faire passer la saumure à travers un granulé qui absorbe le lithium. Nous utilisons ainsi trois fois moins d’eau et récupérons de 85 à 90 % du lithium, contre 50 % avec la méthode traditionnelle.

Les métaux, un défi pour l’Europe

Julien : La dépendance de l’Europe en termes de métaux, envers la Chine notamment, vous préoccupe-t-elle ?

C.B.: L’Europe fait aujourd’hui face à un défi majeur, la sécurisation de son approvisionnement en matières premières. Le Vieux Continent importe entre 75 et 100 % des métaux qu’il consomme. Non seulement il y en a peu dans les sous-sols, mais le développement d’activité minière pose problème dans un environnement aussi urbanisé. C’est encore plus vrai en France, où les romans de Zola collent à l’image du secteur ! Pourtant, des pays comme la Suède ont montré qu’il était possible d’exploiter des mines de manière propre et responsable. Notre dépendance vis-à-vis de l’étranger ne va pas s’améliorer. Nous sommes en train de passer de l’ère du pétrole à l’ère des métaux. La demande va exploser avec la transition énergétique : il faut des métaux pour fabriquer les éoliennes, les tuyaux d’acier qui transportent l’hydrogène, les réseaux électriques… On n’a encore rien trouvé de mieux que le cuivre pour faire passer des électrons ! Quant au véhicule électrique, sa batterie pèse 350 kg, et elle est exclusivement composée de métaux : 50 kg de nickel, 40 kg de lithium, 10 kg de cobalt, etc. D’après les estimations du secteur, on consommera dans les trente prochaines années plus de métaux qu’on en a extrait depuis le début de la révolution industrielle. L’Europe n’a pas anticipé ce besoin, à l’inverse de la Chine, du Japon ou de la Corée du Sud, qui raisonnent de manière intégrée, en anticipant l’amont de la chaîne de valeur. La Chine a peu de lithium, pas de nickel, pas de cobalt, alors elle a mis la main sur des mines partout dans le monde. Elle a investi en République démocratique du Congo, en Amérique latine ou en Indonésie pour sécuriser les ressources. Si bien qu’aujourd’hui, 80 % du raffinage de lithium est réalisé par la Chine.

Julien : Comment expliquer que l’Europe ait raté le coche?

C.B.: L’Union européenne, dans son approche dogmatique du « marché libre », n’a pas réalisé les acquisitions qui s’imposaient. Je me réjouis qu’on installe des giga-factories de batteries sur notre sol… encore faut-il que ces usines soient alimentées en matières premières, faute de quoi elles tourneront à vide ! Ce n’est pas qu’un fantasme. En 2010, la Chine a réduit ses exportations de terres rares [NDLR : des métaux aux propriétés électromagnétiques très recherchées dans les technologies de pointe] pour privilégier son propre approvisionnement. De même, les sanctions américaines contre les oligarques russes en 2018 ont entraîné une impossibilité d’importer de l’aluminium de Russie, ce qui a fait flamber les prix

« On ne va pas pouvoir tout rapatrier… et certainement pas les matières premières »

Julien : Que préconisez-vous pour remédier à la situation?

C.B.: À l’instar du Japon ou de la Corée, l’État français devrait mobiliser les fonds publics de type Bpifrance pour investir dans les filières stratégiques à l’étranger. L’UE doit surtout changer de logiciel. Les dispositifs européens destinés à subventionner les secteurs d’avenir (comme la batterie électrique) ne prévoient pas d’investissement ou de mesures spécifiques pour sécuriser l’amont de la chaîne de valeur. C’est pourtant indispensable ! La crise du Covid a montré qu’il fallait relocaliser certaines fabrications de produits critiques, surtout lorsqu’elles sont à forte à valeur ajoutée, mais on ne va pas pouvoir tout rapatrier – et certainement pas les matières premières ! Des solutions existent. Il y a un an et demi, j’ai participé à un groupe de travail sur les alimentations critiques de la filière aéronautique. Il a été recommandé de constituer un stock stratégique de titane en Europe, pour servir de réserve en cas de rupture d’approvisionnement. Je préside en outre un groupe de travail dans le cadre du Conseil national de l’industrie sur le thème « relocalisation et souveraineté ». Nous sommes en train de repérer les bons outils pour réduire notre dépendance internationale : coinvestissements, sécurisation de contrats long terme, etc.

Julien : Les politiques ont-ils pris la mesure de l’enjeu ?

C.B.: L’Europe s’est réveillée. Nous sommes souvent sollicités à Bruxelles, par Thierry Breton notamment, sur les sujets de souveraineté des matières premières. Au passage, cela montre à quel point l’Union manque d’acteurs privés dans le domaine : Eramet est la seule société européenne qui a des positions importantes dans les métaux de la transition énergétique. Les autres sont basées à Londres, qui depuis le Brexit n’appartient plus à l‘Union européenne…

Matthias : Le Conseil économique, social et environnemental recommandait en 2019 de rouvrir des mines en Bretagne, dans le Massif central et les Pyrénées. Est-ce réalisable ?

C.B.: Le code minier, qui date d’une centaine d’années, vient d’être réformé afin d’autoriser de nouvelles analyses du sous-sol. C’est un bon début. Il y a cent ans, on cherchait du fer et du charbon. Aujourd’hui, les géologues et industriels appellent à cartographier les ressources du sous-sol français pour repérer des métaux d’avenir comme le lithium. Le BRGM [NDLR : Bureau de recherches géologiques et minières, un établissement public] sait déjà qu’il existe du lithium dans certaines régions de France. Cela dit, beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant qu’on puisse ouvrir de nouvelles mines en France. Mais comme je le disais, je ne crois pas trop à l’acceptabilité sociale de tels projets. Et de toute façon, le résultat sera marginal, clairement insuffisant pour sécuriser nos approvisionnements.

Julien : Quel en serait le coût environnemental et humain ?

C.B.: Le métier a beaucoup évolué. Nous sommes capables d’opérer avec un impact « net positif » sur l’environnement et la biodiversité. Au Sénégal, par exemple, nous réhabilitons davantage que ce que nous défrichons, nous calibrons le pompage dans la nappe phréatique de manière à ne pas déstabiliser les écosystèmes, nous remettons les terrains en condition et les rendons au gouvernement au terme de la concession.

Le redressement d’Eramet

Claire: Après plusieurs années difficiles, l’activité d’Eramet rebondit. Vous avez l’ambition d’en faire l’un des cinq géants du « nouvel âge des métaux »…

C.B.: Notre taille est incomparable à celle des géants du secteur comme Rio Tinto ou BHP, qui sont dans les métaux de base : le fer, le cuivre et l’aluminium. Mais Eramet est un leader dans les métaux de spécialité : nous sommes le numéro deux mondial du manganèse, et nous possédons avec Weda Bay la plus grande mine de nickel au monde. Nous avons l’ambition de devenir l’entreprise de référence dans les métaux de la transition énergétique. Il y a quatre ans, je suis devenue PDG d’une société avec des atouts et de grandes compétences, mais qui s’était endormie. Eramet a raté des virages stratégiques dans les années 2000. Elle était encore, à mon arrivée, une entreprise qui exploitait des mines dans le seul but d’alimenter ses usines métallurgiques. Mon premier mandat a été consacré à développer l’activité de nos mines. Celles-ci sont exceptionnelles en termes de réserves et de teneur, et elles sont positionnées dans le premier quartile de la courbe des coûts, c’est-à-dire qu’elles font partie des 25 % des mines aux coûts les moins élevés. Elles restent donc rentables même quand les prix baissent.

Claire: Comment s’est opéré le recentrage stratégique?

C.B.: Nous avons augmenté de 50 % la production minière depuis 2017. Nous avons doublé celle de manganèse, qui a bondi de 3,6 millions à près de 7 millions de tonnes par an. Nous avons réalisé en 2018 une OPA sur notre partenaire australien dans les sables minéralisés pour acquérir 100 % d’une coentreprise qui extrait du titane au Sénégal. Nous avons par ailleurs ouvert l’an dernier la mine de nickel de Weda Bay, en Indonésie. En parallèle de cette croissance en amont, nous sortons de notre portefeuille toutes les activités situées à l’aval de la métallurgie. C’est dans cette optique que nous nous apprêtons à céder notre filiale aéronautique Aubert & Duval. En interne, nous avons changé notre organisation pour aboutir à un fonctionnement plus agile. Nous avons aussi recruté des talents venus de grands pays miniers comme le Brésil ou le Canada.

Claire: Les métiers de la mine sont-ils eux aussi concernés par la digitalisation ?

C.B.: Les géologues ont été les premiers data scientists de l’histoire ! Leur métier consiste à réaliser des forages, à analyser les échantillons et à faire des extrapolations sur les réserves des zones environnantes. Ils manipulent et interprètent de grands volumes de données, aujourd’hui avec l’aide de l’intelligence artificielle. Plus largement, nous sommes passés à l’ère de la mine 4.0 : les relevés topographiques des mines sont effectués par des drones, nos opérateurs sur place peuvent se faire assister à distance, grâce à des lunettes de réalité virtuelle avec visualisation 3D… La robotisation améliore également la sécurité dans les mines. Quand je travaillais chez Rio Tinto, le groupe avait monté une mine-pilote dans l’Ouest australien, sans conducteurs ni pellistes. Tout était opéré à 200 kilomètres de distance par un centre qui ressemble à une base de la NASA. Les camions chargent, les pelles creusent sans présence humaine. La technologie peut soulager les salariés de tâches difficiles, répétitives et potentiellement dangereuses.

Un caractère bien trempé

Claire: Votre mandat de PDG a été renouvelé cette année malgré l’opposition initiale de la famille Duval (actionnaire majoritaire avec 37% du capital). Qu’a signifié pour vous le soutien apporté par l’État, qui détient 25% du capital, et par les salariés, qui ont défendu votre renouvellement ?

C.B.: C’était rassurant et réconfortant ! J’ai été touchée par la très forte mobilisation des équipes. Je pense que cela légitime ma vision et ma façon de travailler.

Claire: Qu’entendez-vous par là?

C.B.: Mes équipes « achètent » la vision, car elle est enthousiasmante : il s’agit de faire grandir l’entreprise, bien sûr, mais aussi de contribuer à la transition écologique et d’agir pour le climat. Les salariés se reconnaissent dans ces valeurs et y trouvent un sens. La stratégie est également validée par les marchés et par les parties prenantes. Au Gabon, où les relations n’ont pas toujours été faciles, le gouvernement nous montre aujourd’hui en exemple et veut travailler davantage avec nous [NDLR : il vient d’autoriser l’ouverture à Moanda d’un nouveau gisement de manganèse].

« Participer à des révolutions en interne me plaît beaucoup »

Claire: Comment décririez-vous votre leadership?

C.B.: Je vais beaucoup sur le terrain, je suis proche de mes équipes… Je crois que mes collaborateurs apprécient que je me déplace pour venir les voir, que j’échange avec eux, que je les challenge

Claire: Vous avez déclaré dans une interview: «Quand je nettoie les escaliers, je commence toujours par le haut. »

C.B.: Je crois à la franchise. Dès le début de mon mandat, j’ai exprimé mes points de satisfaction et de déception, avec bienveillance. J’ai confiance dans la nature humaine. Je pense que les gens peuvent déplacer des montagnes quand ils sont motivés. Certains salariés d’Eramet se sont véritablement révélés ces quatre dernières années. Cela me procure beaucoup de satisfaction.

Claire: J’étudie l’entrepreneuriat à HEC. Vous-même avez suivi la majeure Entrepreneurs dans les années 1980. Qu’est-ce que cela vous a apporté dans votre carrière?

C.B.: Mon expérience de l’entrepreneuriat remonte aux toutes premières années de ma carrière. Peu après le diplôme, j’ai été recrutée par le cabinet de conseil Corporate Value Associates. Une vraie start-up ! Nous étions seulement cinq. Nous n’avions pas de locaux, nous travaillions chez les clients. J’ai attendu plusieurs mois avant de recevoir mon salaire, car il n’y avait pas encore de service paye ! (rires) Depuis cette expérience, j’ai eu l’occasion de mobiliser mes qualités entrepreneuriales en transformant des entreprises. Cela a d’abord été le fruit du hasard, et puis on est venu me chercher pour ça : redresser des sociétés qui avaient besoin de changer de modèle stratégique. À chaque fois, je partais d’une feuille blanche. J’ai dû mener de nombreux chantiers, comme celui de la privatisation de Pechiney en 1995 ou de la fusion avec Alcan en 2003. Participer ainsi à de petites révolutions en interne me plaît beaucoup. Je sens que je peux avoir de l’impact, que je ne suis pas un simple rouage dans un système qui ronronne.

Matthias: Un exemple, chez Eramet

C.B.: À mon arrivée, j’ai été effarée par les chiffres sur la sécurité. J’ai cru qu’il y avait un zéro de trop, mais non ! Il a fallu donner un grand coup de collier. J’ai exigé qu’on divise le niveau d’accidents annuel par trois en quatre ans. « On t’a pris pour une folle à l’époque », m’a récemment confié un collaborateur. Pourtant les équipes y sont parvenues, et elles ont même encore divisé le ratio de moitié depuis. Nous reportons cette année 2,5 accidents par million d’heures travaillées, contre 11 en 2017. C’est un progrès énorme et on ne pensait pas en être capable.

Matthias: Vous pratiquez le ski, la randonnée et l’escalade. Quels sont vos « spots » préférés et pourquoi ?

C.B.: L’escalade, de moins en moins pour être honnête… Mes hanches souffrent ! Je skie à Val d’Isère où j’ai un appartement. Avec mon mari, mes enfants et mes amis, nous faisons beaucoup de randonnées dans les Alpes. Nous avons fait le tour du mont Blanc, le Mercantour, le mont Rose, les Dolomites… C’est très ludique et sympathique. Mieux vaut être nombreux quand on dort en refuge ! J’aime me sentir entourée.

Matthias: Outre le sport, comment trouvez-vous votre équilibre entre vie pro et vie perso ?

C.B.: M’occuper de ma famille m’aide beaucoup. Quand je rentrais à la maison à 20 heures et que ma fille me disait : « J’ai besoin de laine bleue pour des travaux manuels à l’école demain », je déconnectais totalement des problèmes professionnels ! Je pense que je relativise mieux que certains de mes collègues masculins. Je l’ai observé dans les moments difficiles. Pendant l’OPA hostile d’Alcan sur Pechiney, mes homologues au comité exécutif de Pechiney étaient très stressés, ils craignaient de perdre leur statut social. J’ai encaissé plus facilement le choc. Je me suis dit : « Si je perds mon travail, j’en trouverai un autre ; et si je n’ai pas de job pendant quelques mois et bien, je pourrai m’occuper davantage de mes enfants. » Finalement, je suis la seule du comex de Pechiney qu’Alcan a gardée. Peut-être justement parce qu’ils m’ont trouvée plus zen que les autres…

Matthias: Vous êtes l’une des trois seules femmes PDG au SBF 120. Faut-il prendre des mesures pour tendre vers la parité à la tête des entreprises?

C.B.: Je ne le pensais pas il y a vingt ans. Je croyais que la féminisation des postes de direction allait se faire naturellement. Objectivement, ça n’a pas bougé, ça a même régressé. J’ai longtemps été opposée aux quotas – les femmes ont horreur de se dire qu’elles ont été retenues à un poste à cause d’un quota. Mais il n’y a que ça qui marche. En veillant à une mise en place progressive.

Matthias: Et chez Eramet, comment procédez-vous pour féminiser les effectifs ?

C.B.: Nous mettons en place des formations sur les biais comportementaux, mais il y a encore du pain sur la planche. Les biais sont d’autant plus difficiles à combattre qu’ils sont souvent bienveillants. Une nouvelle collaboratrice me racontait récemment son entretien d’embauche. Un responsable RH, qui n’a certainement pas voulu mal faire, l’a prévenue que le poste impliquait beaucoup de déplacements dans des pays lointains et lui a demandé si elle pourrait voyager malgré ses deux enfants. Elle a répondu : « Oui, comme mon mari ». Le recruteur aurait-il posé la même question à un homme ? L’autre difficulté concerne le réservoir de talents disponible. Avec 25 % de filles dans les écoles d’ingénieur, difficile pour Eramet d’atteindre son objectif de recruter autant de femmes que d’hommes. Le système éducatif a ses failles. J’en parlais à Éloïc Peyrache : pourquoi a-t-on 50 % de filles en classes prépa commerciales mais seulement 40 % d’étudiantes à HEC ?

Claire: Il y a à peu près autant de filles que de garçons admissibles à l’écrit. C’est à l’oral que cela se joue.

C.B.: Il y a donc un biais. À l’écrit, le correcteur ne connaît pas le genre du candidat.

Claire: Quel conseil aimeriez-vous adresser aux jeunes femmes de grandes écoles ?

C.B.: L’industrie a besoin de femmes. Objectivement elles sont bienvenues. Elles réussissent, j’en suis la preuve. Les jeunes femmes doivent prendre conscience de leurs préjugés pour les faire tomber. Beaucoup de diplômées se tournent vers la beauté ou la mode. Je pense que vous serez très heureuse à collaborer avec des géologues sur des mines au Sénégal. Dans l’industrie, l’environnement est sain. Les gens aiment leurs produits et leur métier, ils ne sont pas là pour les paillettes. C’est très bienveillant. Passez par des jobs opérationnels, et vous accéderez à des postes de direction. Le leadership au féminin, ça marche !

 

Christel Bories – PDG du groupe Eramet
1986 Diplômée d’HEC. Consultante chez Booz Allen Hamilton, puis chez Corporate Value Associates
1993 Directrice stratégie et contrôle à l’Union minière
1999 Directrice stratégie et contrôle de gestion du producteur d’aluminium Pechiney
2003 OPA d’Alcan sur Pechiney. Christel Bories devient responsable des emballages du nouveau groupe, puis des produits finis en aluminium destinés à l’automobile et à l’aéronautique
2007 OPA de Rio Tinto sur Alcan. La division dirigée par Christel Bories, renommée Constellium, est vendue au fonds Apollo
2011 Départ de Constellium
2013 Directrice générale déléguée du laboratoire pharmaceutique Ipsen
2017 PDG du groupe minier Eramet
2021 Son mandat est renouvelé pour quatre ans

Julien Vacherot (H.24)
Étudiant en deuxième année du programme Grande école, Julien est rédacteur en chef de KIP, le média étudiant HEC. Amateur de rugby au poste de demi de mêlée, il souhaite exercer le métier de journaliste à la fin de ses études.
2017 Bénévole au Secours populaire français
2020 Intègre HEC. Rédacteur géopolitique pour le site Mister Prépa
2021 Stage de trois mois chez QualiQuanti, un institut d’études et cabinet de conseil en marques 

Claire Schwartz (H.23)
Après une classe préparatoire au lycée Henri IV, Claire intègre HEC Paris, puis entame le double cursus avec l’école d’ingénieurs TU München en Allemagne. En parallèle de ses études à HEC, elle a été assistante de direction puis directrice adjointe du groupe Ipesup. Elle s’intéresse à l’histoire de l’art, et en particulier au baroque italien.
2016 Stage d’un mois à la Banque centrale européenne, à Francfort
2019 Rejoint pendant deux ans la direction du groupe Ipesup
2021 Échange à l’université Luiss Guido Carli de Rome

Matthias Schibler (H.22)
Après un bachelor à l’École hôtelière de Lausanne, Matthias a intégré le programme Grande École d’HEC Paris. Intéressé par le secteur du tourisme, il souhaite faire carrière dans l’investissement hôtelier. Il pratique la guitare le soir et la moto le week-end. 2016 Intègre l’École hôtelière de Lausanne, et suit un stage à l’hôtel W de Barcelone
2018 Stage chez Accor
2020-2021 En année de césure à Paris, il est consultant en immobilier d’entreprise chez CBRE, puis analyste chez Black Swan Real Estate Capital

 

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