Cannes, Warner Bros, nouvelles plateformes : les alumni nous disent tout sur le cinéma post-Covid
Comment les spectateurs regardent-ils un film aujourd’hui ? Quels sont les bons réflexes marketing ? Comment émerger, comment percer ? Réunis par Pascal Pham (Trium EMBA. 17) autour d’un dîner dans les locaux de Sortir à Paris dans le cadre du Club HEC Marketing, les alumni du secteur culturel nous parlent des usages du monde post-Covid, du ciné de studio américain aux plateformes.
Gagner la bataille de l’attention
Selon Théo Diricq (M.13), qui travaille au sein des équipes marketing de Warner Bros., il n’y a aucun désamour entre les Français et les salles de cinéma. Mais le foisonnement d’offres culturelles et la possibilité de visionner à la maison pour presque rien, oblige parfois à sortir l’artillerie lourde afin de gagner la bataille de l’attention… si les moyens sont là.
« Le nombre de gens qui vont au cinéma n’a pas énormément baissé. Cependant, ils y vont moins souvent dans l’année. Certains assidus sont devenus des occasionnels. Il ne s’agit donc pas d’aller chercher plus de gens, mais les ramener plus souvent. Gagner leur attention, cela veut dire investir plus d’argent qu’avant. Émerger coûte maintenant très cher, cela se passe sur des réseaux globalement sociaux où tout le monde prend la parole, et il faut voir un contenu au moins trois fois pour s’en souvenir. Tout le monde n’a pas les moyens de le faire et de mesurer si ça a marché derrière. Payer 50 000 euros pour mesurer la conversion lift sur Facebook [outils de mesure d’impact d’une publicité, ndlr] n’est pas à la portée de tous. Certains ne sauront jamais si leur pub est bonne ou pas. La conséquence, c’est la formation d’un oligopole. »
Pour le dernier Astérix, ils ont acheté des emplacements publicitaires dans les gares six semaines avant la sortie, en période de Noël, en concurrence directe avec des marques de luxe. Rien n’est plus cher que l’affichage. Ces pratiques, je les voyais moins avant le Covid.
Être dans toutes les conversations
La baisse du pouvoir d’achat est un facteur impactant qui oblige à repenser la communication autour d’une œuvre. Pour Théo Diricq, qui a travaillé sur la campagne marketing française du film Barbie, le filon gagnant, c’est placer un film au milieu des conversations.
« On va tirer d’un film le côté universel, une question qui a une résonance aujourd’hui. À l’exception des films familiaux, le moteur numéro 1 d’un succès d’un film, c’est que les gens en parlent. Il faut travailler l’idée que si vous n’avez pas vu l’œuvre, vous vous sentirez dans l’exclusion. En termes de marketing cela signifie souvent qu’il faut communiquer plus tôt et plus longtemps. Aussi, pour un gros film, la compétition n’est pas forcément un autre film. Barbie est sorti le même jour qu’une autre œuvre majeure et ça ne l’a pas empêché de connaître un grand succès. Le sujet, c’est d’être plus fort que la plage, que Netflix, qu’une fashion week. »
Exit les produits à l’ancienne
Pour Thomas Paris, directeur du Master Médias, Arts et Création à HEC, éclairer les modèles économiques émergeants est déterminant pour le futur professionnel des étudiants.
« Le Covid a accéléré la place des plateformes et a fait prendre conscience à beaucoup de gens que l’on pouvait consommer à la maison. C’est aussi le cas pour la musique, le cinéma, le jeu vidéo. Sur une plateforme, on se met sur son canapé, on regarde un contenu, et si ça ne nous plaît pas, on zappe parce que l’on n’a pas payé. Nous informons les élèves sur ce contexte. S’ils veulent allez sur des modèles économiques anciens, ils sont obligés de repenser l’ensemble de la chaîne. C’est un peu compliqué aujourd’hui de dire que l’on va vendre des produits à l’ancienne. »
Ciel bleu sur la Croisette
Constat positif, le cinéma exerce toujours une forte traction sur les esprits. François Desrousseaux (H.97), secrétaire général du Festival de Cannes, qui reçoit principalement des professionnels du métier, a pu constater sur les deux dernières éditions que l’évènement est toujours vecteur d’espoir au sein des communautés créatives, étrangères en particulier.
« Nous recevons 60% d’étrangers, donc nous étions contents qu’ils puissent reprendre l’avion [après la pandémie]. Chez nous, les salles sont systématiquement pleines. Les professionnels du cinéma qui voyaient, dans leur pays, des salles à moitié pleines, voire carrément vides, ont senti qu’il y avait encore un désir dans le cinéma lorsqu’ils sont revenus à Cannes. Ça les réconfortait. Une salle de 2300 personnes qui se lèvent à la fin d’un film, c’est un truc qu’ils ne ressentaient plus ailleurs. »
Fédérer des communautés niches
Avec sa société Spideo, Gabriel Mandelbaum (H.08) élabore des technologies de recommandation pour les plateformes de vidéo à la demande depuis 2010. Ses clients sont Bouygues Télécom ou France Télévisions mais il nous parle surtout d’ADN, spécialisée dans les animés japonais. Un phénomène intéressant s’en dégage.
« ADN a complètement explosé pendant la période post-Covid. Je pense qu’ils ont vraiment eu sur une niche un certain nombre de personnes qui ne regardaient pas forcément mais qui étaient intéressées par les animés japonais. Elles se sont mises à s’abonner et à consommer. Le Covid a fait émerger les plateformes digitalisées permettant aux gens de regarder du divertissement sur Internet, y compris sur des niches. Aller chercher des VOD de niches, sur du film d’horreur ou des animés japonais, plutôt que de l’attendre en sortie dans des séances de minuit pourrait est une stratégie payante. »
Face à la constellation des contenus de niche, faut-il s’unir pour frapper plus fort ? Un nouveau modèle de partenariats entre plateformes pourrait naître de la tendance à l’ultra-spécialisation. « La recommandation est le fait de venir agir sur une plateforme digitale pour faire découvrir, ouvrir des perspectives, ou faire sortir d’une plateforme pour faire venir sur une autre, explique Gabriel. Les coopérations entre plateformes sont un projet sur lequel on travaille chez Spideo. C’est une façon de capitaliser sur des consommations pour à la maison pour refaire sortir derrière. »
Bonus : conseils aux étudiants HEC et alumni du milieu de la culture
Crédits photo: ©Julie Minetti/Sortir à Paris
Published by La rédaction