Bertrand Badré (H.89) : les murs de la rentrée
Pour commencer cette première chronique en 2022, alors que les regards se tournent vers la Russie et la guerre en Ukraine, et la Chine, avec le congrès à venir du Parti Communiste, je ne peux m’empêcher de penser à 1989 l’année de mon diplôme bien sûr mais aussi l’année de la chute du mur de Berlin et celle de Tian’ Anmen qui a donné son nom à ma promotion. En 33 ans le monde a basculé. Nous croyions alors à la « fin de l’histoire » et nous nous apprêtions dans l’enthousiasme à devenir les héros de la mondialisation heureuse. Nous sortions au bon moment du bon endroit !
Un peu d’eau a coulé sous les ponts en ce tiers de siècle. Quelques crises militaires, financières et sanitaires plus tard, nous sommes confrontés en cette rentrée à des nuages noirs à l’Est, et à des nuages de fumée chez nous et un peu partout sur la planète. Escalade des périls, appels à réfléchir à la fin de l’abondance, ou de l’insouciance. Impossible de ne pas méditer sur ce que nous avons fait pendant toutes ces années. Impossible aussi de ne pas réfléchir à ce nous allons faire pendant celles qui sont devant nous.
Nous avons fait des choix collectifs plus ou moins conscients depuis 7 ans. Je pense notamment aux accords de Paris, complétés depuis, sur le Climat ou à l’adoption des Objectifs du Développement Durable, en cette même année 2015. La finance promeut « l’ESG » – pour prise en compte des aspects Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance – et « l’Impact ». Les réflexions se multiplient sur les substituts à trouver au capitalisme actionnarial et financier. S&O – Sustainability and Organisations- à HEC est un des fers de lance de cette effervescence. Nous commencions à croire que quelque chose se passait que nous faisions bouger les lignes et que 33 ans plus tard, un nouveau mur allait tomber.
Les dérèglements de la rentrée vont tester notre sérieux. On le voit avec les questions énergétiques. Le charbon est-il un pis-aller temporaire ? Ou risque-t-on de reprendre de mauvaises habitudes. La hausse des prix est-elle une incitation à réfléchir à une transition juste mais déterminée ou va-t-elle nous pousser à revenir en arrière. Le moment de vérité arrive où nous allons tester « le prix de nos valeurs », pour reprendre le titre du très bon livre de nos amis Augustin Landier et David Thesmar.
Je suis plutôt confiant que nous allons tenir bon mais le combat va être rude. Le mur est très haut. Certains le consolident encore. Aux États-Unis des voix s’élèvent ainsi contre cette rénovation de nos approches financières. Pour certains ESG devrait signifier « Ensuring Sound Growth » et non plus « Environmental, Social and Governance » et le Texas a fait savoir qu’il refuserait de travailler avec des institutions engagées sur le changement climatique. Alors que la Californie pourrait adopter une approche inverse …
Il est enfin un dernier mur auquel on ne peut pas ne pas songer en cette rentrée, c’est celui qu’insidieusement nous bâtissons ou élevons plus haut entre nous et les pays émergents et en développement. Aux États-Unis encore, ce n’est déjà plus une image : il est bien question d’un mur à la frontière mexicaine.
Cette rentrée est dure chez nous. Elle va être terrible pour beaucoup dans ces pays. Après la crise du COVID où notre exemplarité reste à démontrer, quelle main allons-nous tendre ? Nous ne pourrons pas être inclusifs ou durables tout seuls… Les murs résistent. Les murs peuvent parfois être reconstruits. Mais ils peuvent aussi être recyclés et servir à construire une maison plus belle. À nous d’être de bons maçons. En détruisant ce qui doit l’être et en reconstruisant ce qui peut l’être. À suivre
Published by La rédaction