Abstract

Nos travaux de recherche visent à déterminer s’il existe en France un mécanisme d’échange de faveurs entre élus locaux et banques, permettant à un élu en difficulté de stimuler l’économie locale pour accroître ses chances d’être réélu. En faisant valoir leur influence, les élus inciteraient alors les banques privées à accorder des crédits aux entreprises en difficulté dans leur circonscription. Entre 2007 et 2017, nous observons ainsi une hausse de 9 à 14 % des crédits au secteur privé l’année où des élus influents font face à une élection serrée. En contrepartie, les banques qui ont aidé un candidat en place à être réélu gagnent des parts sur le marché des prêts aux collectivités locales et aux organismes publics les années suivantes. Nous démontrons ainsi que du moment où des élus exercent une influence, l’indépendance formelle du secteur privé cesse d’être effective, et l’évolution de ce dernier est sujette à des distorsions politiques.
Anne-Laure Delatte, Adrien Matray, Noémie Pinardon-Touati, Private Credit Under Political Influence: Evidence from France, April 18, 2019. https://ssrn.com/abstract=3374516

3 questions à Noémie Pinardon-Touati, doctorante à HEC

Pourquoi avoir choisi cette problématique ?

J’ai été embarquée dans ce projet par Adrien Matray, un professeur de Princeton, où j’ai commencé ma thèse, qui connaissait mon goût pour le travail quantitatif avec des grosses bases de données ! C’est Anne-Laure Delatte, chargée de recherche au CRNS, qui est à l’origine de l’étude. Elle avait été alertée par la remarque d’une amie directrice financière dans une PME en difficulté, qui, surprise d’obtenir un prêt inespéré de sa banque, lui avait dit : « C’est bientôt les élections… On a de la chance ! » Quelques mois plus tard, la Banque de France annonçait l’ouverture de ses données aux chercheurs, avec accès anonymisé aux lignes de prêt bancaire contractées par les entreprises. Nous avons décidé de vérifier si les banques privées, a priori indépendantes de toute influence politique, répondaient au cycle électoral. La réponse a été oui.

Comment prouver que cette augmentation de prêts est liée à une influence des élus ?

Notre méthode a été de constituer un groupe de traitement et un groupe de contrôle, un peu comme en laboratoire… Si l’hypothèse de l’influence des élus locaux est vraie, le crédit devrait augmenter dans les circonscriptions où la réélection d’un candidat est compromise : elles ont constitué notre groupe de traitement. Et nous avons constaté que le crédit augmente bien de façon différenciée avant les élections dans ces circonscriptions ! Restait ensuite à déterminer pourquoi des banques privées acceptaient de venir en aide à des élus. À partir des données sur les prêts aux établissements publics, nous avons appliqué la même méthode : groupe de traitement et groupe de contrôle. Et nous avons pu observer que ces banques gagnent effectivement des parts sur le marché des prêts aux collectivités locales et autres établissements publics juste après les élections, quand le candidat est reconduit.

Quelles sont les conséquences de ce phénomène de « faveurs réciproques » sur l’économie ?

L’allocation de crédits à des entreprises en difficulté sur des critères autres qu’économiques mobilise des ressources qui pourraient être plus utiles ailleurs, dans des secteurs innovants, par exemple. Ce mécanisme de faveur réciproque participe aussi au fait que les banques facturent aux collectivités locales un coût du crédit supérieur au taux du marché, ce qui se répercute sur leurs finances et, in fine, sur les impôts locaux. Il conviendrait d’encadrer le choix des banques ou au moins le rendre transparent, par la publication d’un registre du crédit, par exemple.

Noémie Pinardon-Touati (H.15)
Doctorante en troisième année du département de Finance à HEC Paris, elle a poursuivi des études d’économie au sein du Master in Economics (X-ENSAE-HEC), ainsi qu’à l’École d’économie de Paris.

 

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