Aminata Kane Ndiaye, femme puissante de 39 ans, constamment dans les airs. D’elle, certains disent qu’elle réalise l’impossible en conciliant une carrière ascensionnelle chez Orange et une vie de mère de trois enfants. Discussion à bâtons rompus pour tenter de retracer, si tant est qu’il soit possible de le faire, 20 ans d’un parcours parfois périlleux et toujours tourné vers l’avenir. Récit.

Au matin de notre entretien, le comité de direction d’Aminata est avancé et elle décale notre interview de quelques heures. Dirigeante d’entreprise au temps précieux, elle répond à nos questions depuis une voiture qui l’emmène à l’aéroport Mohammed VI de Casablanca à destination de Dubaï. Elle s’envole aujourd’hui pour le forum des Young Leaders Global puis mettra le cap vers le Caire, « mais je n’aurais rien le temps de voir », dit-elle, comme pour s’excuser.

Les années HEC (2004/2008) : fondation d’une trajectoire brillante

Après une prépa entre Ginette et Saint-Jean-de-Douai, Aminata intègre HEC en 2004, sans projet de carrière défini, mis à part son goût prononcé pour la Majeure Entrepreneurs : « À cette époque, je n’étais pas prête, mais je savais que je ferai de l’entrepreneuriat. Et cela s’est avéré après », se souvient-elle amusée.

Pendant ses années de master, elle s’envole pour la Nouvelle-Zélande. Cet échange d’un trimestre avec Auckland University of Technology, ne lui a laissé que de bons souvenirs. « C’était vraiment le bout du monde. On était seulement trois HEC à partir. C’était une expérience très dépaysante, un endroit qui n’a rien à voir avec ceux où on peut aller d’habitude », dit-elle un brin nostalgique.

Sur le campus, Aminata fait des rencontres avec des enseignants marquants. Alain Bloch, le directeur de la Majeure. Eloïc Peyrache, alors professeur d’économie. Bernard Ramanantsoa, ancien Dean de l’École. Ou Laurence Parisot, marraine de sa promo. Cette dernière avait reçu les étudiants dans ses locaux au MEDEF : « J’y suis allée avec le couteau entre les dents pour demander un stage. Je les ai tellement harcelés qu’ils ont fini par m’accepter » !

Malgré un manque de mixité sur le campus et une sous-représentation de personnes d’Afrique sub-saharienne, qu’Aminata déplore, ses amis de l’époque sont toujours ceux d’aujourd’hui. La veille de notre entretien, elle dînait justement avec Yasmine Benkabbou (H.08), co-fondatrice et directrice associée chez Ranch Tassaout. Les liens créés avec les alumnis sont forts et paraissent inébranlables dans le cas d’Aminata, qui lève même, la limite des frontières.

Des débuts prometteurs

Diplôme en poche et à la recherche de sa vocation, c’est au début de sa vie professionnelle que la jeune femme reprend les voyages qu’elle a démarrés avec ses parents depuis sa petite enfance. Durant sa césure, elle se spécialise dans la banque et alterne entre BNP Paribas en Suisse et Goldman à Londres et Paris. Elle fera aussi un stage en Mauritanie dans une compagnie de distribution pétrolière.

Aminata s’offre alors un break de six mois après sa graduation pour parcourir le monde et s’abreuver des savoirs d’autres cultures. Ainsi, elle décolle pour l’Inde avec une amie pour faire du backpacking et, puisque rien ne l’arrête dans sa soif d’apprendre, la jeune femme se rend seule à Fès où elle sera hébergée par une famille d’accueil au grand cœur pour apprendre l’arabe classique. « Une famille d’une générosité sans nom », sont les mots qu’elle emploie affectueusement pour la décrire.

De retour dans l’hexagone après ce grand voyage, Aminata grossit les rangs de McKinsey en 2008 à Paris. Elle passe trois ans dans la firme avant de s’envoler de nouveau. Cette fois en direction des États-Unis, où elle obtient un prestigieux MBA au MIT. Ce nouveau diplôme rend fiers ses parents qui avaient souhaité qu’elle commence par un cursus en France et lui donne l’opportunité de réaliser ses rêves d’Amérique.

C’est pendant son MBA qu’elle lance sa première boîte : Fula&Style. Avec cette enseigne de prêt-à-porter, Aminata voulait apporter des tenues plus conformes aux valeurs et à la culture des femmes africaines. Ce « Zara made in Sénégal », comme le surnomme sa créatrice, avait pour ambition de détruire les clichés et d’apporter aux femmes des tenues à leur taille, de qualité et à des prix raisonnables.

L’entreprise a prospéré pendant trois ans, les vêtements s’écoulaient rapidement et la vente avait pris des dimensions internationales avec la vente en ligne aux États-Unis où la diaspora en est friande, et dans toute l’Afrique.

Mais, la jeune directrice artistique a dû mettre un terme à cet ambitieux projet : « problématiques de qualité, fonds trop faibles consacrés à la mode à l’époque, MBA à rembourser… ». Aminata refusait catégoriquement d’augmenter les tarifs, fidèle à son but : proposer une mode accessible aux femmes africaines.

Orange, ou l’ascension d’une femme déterminée

Orange avait déjà repéré depuis longtemps la jeune femme forte, indépendante et ambitieuse qu’était Aminata à l’époque de son MBA. Alors qu’elle venait de se marier et projetait de rentrer s’installer au Sénégal, le géant des télécoms lui fait une offre avec la promesse d’une évolution rapide au sein de la société. Celle qui avait dans l’idée d’y rester seulement deux ou trois ans, fête cette année, ses dix ans dans le groupe Orange.

Comme convenu, Aminata, pleine d’humilité et de patience, prend ses fonctions en bas de l’échelle en 2013. Elle accepte un poste de responsable fidélisation au Sénégal et explique en toute modestie : « Quand j’ai commencé chez Orange Sénégal, j’étais moins bien payée que dans mon job précédent, avec un MBA au MIT en plus de mon diplôme d’HEC.  Mais je n’avais jamais travaillé au Sénégal, même si j’y avais grandi, donc il était normal qu’on me demande de ne pas commencer trop haut. J’ai commencé cheffe de service, sans service, sans collaborateur et j’ai fait ça pendant un moment. J’y ai appris énormément de choses ».

L’année suivante, elle obtient une promotion en devenant PMO (project manager office) de la Direction Marketing, où elle tombe amoureuse du Mobile money. Ce service révolutionnaire a réellement impacté la vie des gens à partir de 2015. À l’époque, le cash était roi dans un pays où 80% du peuple n’avait pas de compte bancaire. Cette nouvelle technologie permettait d’avoir un porte-monnaie électronique associé à son téléphone et de pouvoir envoyer de l’argent et payer à partir de son mobile. Ce service a remporté un grand succès et les clients du Mobile Money sont passés de 300 000 à 2 millions en moins de trois ans, grâce à la création d’un réseau de proximité adossé à celui des points de recharge téléphoniques, à de l’éducation financière des clients et de grandes campagnes de communication.

Contributrice de cette victoire écrasante sur leur concurrent direct, Aminata gravit les échelons d’une traite. Un poste de directrice générale d’Orange en Sierra Leone lui ait alors proposé en 2018 : « Je ne m’attendais pas du tout à ça ! Je suis tombée des nues et je me suis dit : je veux bien faire une progression rapide et faire confiance à mes compétences, mais enfin tout-de-même, je vais devenir DG ! », raconte-t-elle en riant.

Avant d’accepter, Aminata veut l’avis de son mari qui lui apporte un soutien sans condition. « Une si belle opportunité d’être DG à 33 ans, est-ce que tu penses que cela se représentera à toi ? Il faut que tu y ailles, on va se débrouiller », la rassure son mari et alors père de leurs deux enfants.

Épaulée et pleine d’ambition, Aminata accepte le défi malgré toutes les difficultés que représentaient le poste. Elle arrive dans une entreprise en situation de crise. Orange se trouve alors en difficulté, aussi bien financièrement, que du côté des employés. Une chance de relever des défis de taille pour la nouvelle DG.

Arrivée en 2018, la situation continue à se tendre et ne permet pas une vie de famille sereine. « Durant la première année, c’est moi qui faisais les allers-retours pour aller voir ma famille. Je pleurais en arrivant. Je pleurais en repartant. Ensuite, mes deux enfants sont venus s’installer en Sierra Leone avec moi, et c’était maintenant au tour de mon mari de pleurer en les faisant ! »

2021. Frappée par le Covid qui terrorise une population déjà traumatisée par le passage destructeur, quelques années auparavant, du virus Ebola, Aminata doit faire tourner l’entreprise et rassurer ses employés sur le site. Travailleuse acharnée, elle ne quitte jamais son poste, qu’elle occupe de 7 heures du matin à 23 heures au soir.

Après quatre années de dur labeur en Sierra Leone, les défis fixés sont atteints, dépassant même de loin les espérances. Aminata veut revenir auprès de sa famille qui était finalement repartie au Sénégal, car ils devenaient une cible trop facile pour ceux qui auraient voulu s’en prendre à cette dirigeante d’entreprise. « Tout le monde soutient les femmes du moment qu’elles ne sont pas trop puissantes », dénonce celle qui s’était habituée à vivre avec des gardes du corps.

Tension permanente et famille trop loin, Aminata alors enceinte de son troisième enfant demande à rentrer à Dakar et prend un congé de quelques mois.

Février 2023, soit quatre mois après son accouchement, Aminata est nommée vice-présidente d’Orange Money en Afrique et au Moyen-Orient couvrant 17 pays. Aminata veut trouver un bon équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie de famille : « La situation est difficile. Mon mari est resté au Sénégal et les enfants et moi sommes maintenant à Casablanca ». En dépit de la récurrence de ses déplacements professionnels d’un bout à l’autre de l’Afrique, la jeune maman met un point d’honneur à passer les week-ends avec sa famille.

Ses autres desseins visent bien sûr l’entreprise et sa croissance. Elle souhaite voir Orange Afrique croître et se transformer sous les doigts de sa supervision. « Au-delà de juste piloter le business, et je dois m’assurer qu’il croît, ma mission est de transformer l’activité avec des équipes qui sont basées dans plusieurs pays en Europe, en Afrique et au Moyen Orient. » explique-t-elle.

Aminata Kane, impressionnante de courage de détermination, est et restera une source d’inspiration exceptionnelle pour les futures générations d’entrepreneurs. Même pas quadragénaire, il y a fort à parier que nous écrirons encore sur son ascension.

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