Avril. À deux pas de l’agitation des Champs-Élysées, le grand salon d’HEC Alumni offre une parenthèse. Le bois blond, les verres alignés, la lumière tamisée. Le rendez-vous est posé. Il est 19h. L’audience s’installe sans bruit, comme on entre dans un roman qu’on sait déjà fort. Ce soir, c’est François Sureau, écrivain, avocat, académicien, qui prend la parole. Et avec lui, la langue française retrouve ses plus beaux atours. 

Dans le cadre de l’Heure H, ces rencontres bimestrielles animées par Michel Tardieu (H.66), le propos se veut libre, sans langue de bois. On y vient pour écouter, réfléchir, confronter les idées, sans chercher à trancher. De Raphaël Glucksmann à Yves Coppens, en passant par Philippe Aghion ou Monique Canto-Sperber, chaque invité y a offert un regard singulier sur le monde. Ce soir, Sureau s’attaque à un thème qu’il incarne à merveille : les écrivains français et la politique. 

Écrivain sans frontières 

François Sureau, c’est d’abord un parcours pluriel. Haut fonctionnaire, avocat, colonel de réserve de la Légion étrangère, romancier, biographe, poète, académicien depuis 2022. Mais ce qui frappe, c’est la cohérence de ce trajet en apparence éclaté. Chez lui, la parole ne se dissocie jamais de l’action. Il raconte avec simplicité ses séjours réguliers auprès de la Légion – «quelques jours, parfois quelques semaines par an», glisse-t-il, comme si c’était banal. Il en tire des textes, des chroniques, des fragments de réel qui nourrissent sa pensée et son écriture. 

Lui qui a passé sa vie à défendre les libertés publiques sait de quoi il parle quand il évoque le lien entre la loi, la littérature et la démocratie. Mais il le fait sans solennité. Juste avec précision et ce ton à la fois tranquille et intense qui le caractérise. 

Un roman dans l’histoire, une histoire dans le roman 

Pendant plus d’une heure quarante, aucune note, aucun support, juste une conversation vive, nourrie, par moments drôle, toujours dense. Il déroule, comme on raconterait une histoire autour d’un feu. Il parle de ses livres, bien sûr, mais aussi de ceux des autres. Ceux qui l’ont inspiré, façonné. On passe de Conan Doyle à Camus, d’Agatha Christie au Général De Gaulle, sans jamais perdre le fil. Il évoque les règles de Ronald Knox – ces dix commandements du roman policier qu’il connaît par cœur – et s’amuse de sa passion pour les séries télévisées : Columbo, Navajo, ou encore Jimmy Perez, le détective écossais de la BBC qu’il suit religieusement. 

Et puis, il y a cette manière qu’il a de glisser entre les registres. De parler dans un même souffle de l’histoire de France, de Langevin, de Mounier, de la IIIe République, puis de revenir, l’air de rien, à la littérature populaire. Il se méfie des cloisonnements, des hiérarchies intellectuelles. Pour lui, un bon polar peut en dire aussi long sur notre époque qu’un essai académique. 

Thomas More, détective en temps de guerre 

Il profite aussi de l’échange pour présenter son dernier roman, Les Enfants perdus, paru le 10 avril dernier. L’occasion de découvrir Thomas More, son nouveau héros, commissaire à la Sûreté sous la IIIe République. Le décor : la défaite de Sedan, un camp de prisonniers français sur la presqu’île d’Iges, un crime mystérieux qui intrigue jusqu’au roi de Prusse, puis une série d’incendies d’églises sur la route de Laon à l’Alsace. Un roman d’enquête ? Oui, mais porté par une ambition bien plus vaste : celle de sonder le mal, la culpabilité, le passage du temps. 

Avec l’érudition tranquille qui le caractérise, Sureau tisse un feuilleton à la fois captivant et grave, où la réflexion affleure sans jamais ralentir le récit. «J’avais envie d’un roman qui fasse penser tout en divertissant», dit-il. Et le pari est réussi : Les Enfants perdus est un roman qui se lit d’une traite, mais dont les échos résonnent longtemps. 

Un temps pour soi 

À la fin, les mots s’arrêtent. La salle reste suspendue quelques instants. Puis vient le verre amical, moment de décompression, de prolongation. Sureau se prête au jeu des discussions avec bienveillance, écoute, relance, répond. Sans jamais donner de leçon. 

L’Heure H, c’est cela : un luxe rare, celui de prendre le temps. Le temps d’écouter quelqu’un penser à voix haute, sans chronomètre ni filtre. Avec François Sureau, ce temps devient matière vivante, pleine de digressions, d’humeurs, de fulgurances. On repart avec des questions, des titres à lire, et cette impression douce d’avoir assisté à quelque chose de vrai. 

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