En juin 2023, , Florian Grill est élu président de la Fédération Française de Rugby avec 58,14 % des voix. Un combat de longue haleine pour cet opposant à Bernard Laporte, que la magazine HEC Stories a suivi lors de sa campagne précédente, en 2020. Portrait d’une force de la nature, à la fois chef d’entreprise, ancien élève d’HEC et ex-deuxième-ligne.

Pour saluer, Covid-19 oblige, il ne serre plus la main mais présente à ses interlocuteurs son poing fermé, façon boxeur. En ce lundi matin de septembre 2020, on comprend au premier contact que Florian Grill (H.88) est un combattant. Épaules carrées, paluches de chiropracteur et regard décidé du type qui se sent bien dans ses pompes, même au beau milieu de la mêlée… À 54 ans, il s’est lancé dans une nouvelle bataille, et pas la moins féroce : celle de la présidence de la Fédération française de Rugby face au très médiatique Bernard Laporte, qui sollicite un second mandat. Depuis plus d’un an, cet ex-deuxième-ligne du Paris Université Club (PUC) bat la campagne, inlassablement, pour présenter les propositions de sa liste Ovale Ensemble, tout en menant de front ses fonctions de chef d’entreprise et de président de la Ligue régionale Île-de-France de rugby. « Mes journées sont bien remplies, mais quand on a la chance de pouvoir défendre ses idées, il faut jouer le match à fond », argue-t-il, avant d’asséner à son adversaire son premier plaquage de la journée : « L’Ovalie ne tourne plus rond, il est urgent de changer de modèle, voilà pour quoi je me bats. »

8h30, sous le palmier

Palmier CoSpirit Media Track

Le soleil matinal glisse à travers la verrière. Au centre d’un vaste atrium trône un palmier solitaire. Dans ce bâtiment industriel, une ancienne usine de porcelaine du 10e arrondissement de Paris, travaille une partie des équipes de CoSpirit Media Track, agence de conseil en marketing et média que Florian Grill a créée peu après sa sortie d’HEC. « Nous avons planté ce palmier à notre arrivée. Il a pas mal poussé, et nous aussi… », raconte-t-il en se servant un café dans un mug marqué à son prénom. Aujourd’hui, l’entreprise réalise 17 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte 150 collaborateurs à Paris, Lyon et Tours. Florian connaît le prénom de chacun. Tutoiement de rigueur. Quant à son bureau de patron, il ressemble à tous les autres : une banale table blanche posée dans l’open space. Pas mieux loti qu’un stagiaire, le capitaine veut se tenir au milieu de ses troupes. « Nous avons connu des hauts, avec la bulle internet des années 2000, mais aussi des bas, avec l’explosion de cette même bulle. Cette période de turbulences m’a beaucoup appris. Entre autres que dans l’adversité, il faut être encore plus transparent avec ses équipes et leur dire les choses telles qu’elles sont », justifie-t-il.

Le palmier, lui, est resté là, îlot d’exotisme ignorant les cyclones. C’est au pied de l’arbre que Florian Grill retrouve son associé, Olivier Delavoye, chaque lundi matin à 8h30 pour le comité de direction. Dans une salle de réunion attenante, ils font le point sur les dossiers en cours. Longtemps après avoir fondé l’entreprise, le tandem continue de fonctionner à merveille. Les blagues fusent, la confiance est palpable. Un vrai duo de cinéma. Florian, le rugbyman, et Olivier, le voileux. Une amitié de trente ans que le business n’a pas érodée. « Oui, c’est rare », reconnaissent-ils en chœur.

9h, l’ordre du jour

L’un, format armoire à glace, apparaît méthodique, précis, charismatique, avec sa voix grave de meneur d’hommes. L’autre, navigateur au regard malicieux, volontiers badin, curieux de tout, porte sa créativité en bandoulière. « Florian est un bosseur infatigable qui se lève très tôt, moi je préfère travailler très tard. On se complète plutôt bien », résume Olivier. Éric Boyer les a rejoints en 2011. Cet amateur d’arts martiaux est le directeur administratif et financier. Ce matin, les questions pleuvent sur lui. À l’ordre du jour, un bilan post-confinement, le coût du chômage partiel, le retour progressif des équipes après des semaines de télétravail, mais surtout le prochain déménagement des bureaux parisiens pour « des locaux encore plus beaux et plus conviviaux ». Le dossier paraît aussi complexe que les règles alambiquées du hors-jeu au rugby. Pourtant, la grande migration, prévue pour fin octobre, se résume à une traversée des Grands Boulevards pour atterrir rue Feydeau, dans le quartier tout proche de la Bourse (2e arrondissement). On ose une question futile : emporteront-ils leur palmier fétiche sous ces nouvelles latitudes ? Pour l’instant, rien n’est tranché. Il y a d’autres urgences à régler. Florian et Olivier se sont en effet mis en tête de faire visiter les lieux aux équipes ce midi. Alors, il faut assurer question buffet. C’est Olivier qui s’en charge. Car Florian, lui, est attendu par les journalistes.

10h, les interviews

Interview shooting photo de Florian Grill

Sans doute reconnaît-on qu’une candidature commence à bouleverser les pronostics à l’intérêt qu’elle suscite dans la presse nationale, peu portée sur la chose rugbystique. Un patron de PME qui ose défier un ancien ministre des sports ? Grill l’outsider intrigue. Ce matin, un journaliste du Parisien Aujourd’hui en France ouvre le bal, puis un autre du Figaro, suivi d’un troisième de l’hebdomadaire Le Point. Des photographes font irruption, les flashs crépitent sous l’incontournable palmier, dans les bureaux, et même dans la rue. Mains dans les poches, sourire un brin crispé, Florian fait de son mieux. « Prendre la pose, c’est clair, je ne m’y ferai jamais », concède-t-il, rajustant sa chemise blanche. Mais il n’est pas improbable qu’il savoure intérieurement ce moment médiatique : il y a quelques mois, Laporte avait dit de lui ceci : « Personne ne le connaît à part sa mère, donc on s’en fout ! » Une méchante charge que chaque intervieweur lui ressort en préambule de l’entretien, histoire de voir ce que le bonhomme a dans le ventre. Pas question de botter en touche, Florian a sa réplique toute prête : « Avec cette attaque, Laporte a en réalité lancé ma campagne, répète-t-il calmement. Et puis, à travers moi, ce sont les bénévoles des 1 930 clubs de France qu’il a insultés, tous ces gens de l’ombre qui donnent de leur temps pour faire vivre ce sport. » Nouveau plaquage.

Depuis 2017 et sa nomination à la tête de la Ligue régionale Île-de-France de rugby, le chef d’entreprise n’est d’ailleurs plus vraiment un inconnu au pays du ballon ovale. Sa candidature et son programme se sont construits avec l’aide d’une flopée de légendes du XV de France : Jean-Claude Skrela, Serge Blanco, Jean-Marc Lhermet, Abdelatif Benazzi, Fabien Pelous, Julien Pierre… Des soutiens de poids auxquels s’ajoute désormais un réseau de 450 bénévoles à travers toute la France. Sans compter qu’en bon deuxième-ligne, et donc soutier de la mêlée, Florian n’a pas rechigné à la tâche. Un an et demi qu’il laboure l’Hexagone : à l’exception de la période du confinement, pas une semaine sans meeting, 250 réunions au total. « Pendant tout l’été, ajoute-t-il, je suis parti sur les routes à la rencontre des clubs en organisant un grand tour de France des barbecues, une idée qui, avouez-le, s’imposait quand on s’appelle Grill. » De la Bourgogne à l’Aquitaine en passant par l’Ain, l’Isère, la Drôme, ou l’Ardèche, l’infatigable opposant que personne n’attendait s’est offert sept semaines de tournée des popotes, à bord de sa propre voiture, aux côtés de son épouse Françoise. Le tout entrelardé de copieuses agapes… Une incroyable pérégrination au pays de l’Ovalie, et plus de 65 000 kilomètres de chipolatas dégustées par 2 500 participants, joueurs, présidents de clubs, entraîneurs, bénévoles, maires de petits villages, supporters, amis ou simples curieux. Du jamais-vu dans une campagne de fédération sportive.

13h, au pas de course

Sur le chemin menant au futur siège de l’agence, Florian presse le pas. Il est impatient de faire visiter les lieux à ses équipes. On profite de la courte balade pour le bombarder de questions. Pourquoi s’être lancé dans une éreintante bataille électorale ? « Par engagement citoyen, répond-il sans hésiter. Le modèle porté par mon adversaire est néfaste : il prône une financiarisation à outrance du rugby professionnel et oublie la base. Moi, je pense qu’il faut restaurer l’image du rugby, revendiquer sa valeur sociale et éducative. » Et comment fait-il pour tenir la cadence ? « C’est dans ma nature. En vacances, par exemple, je suis incapable de rester deux minutes sur une plage à ne rien faire. Quand j’étais en prépa HEC, je jouais en même temps au PUC avec trois entraînements par semaine et des matchs les week-ends. J’ai la conviction qu’on ne s’épanouit vraiment qu’en utilisant au maximum ses capacités. » Ce sens de l’engagement est aussi une histoire d’héritage, où s’entremêlent la découverte précoce du rugby et la culture protestante familiale. « Mes parents m’ont inculqué ce souci de toujours faire les choses à fond. D’où mon tour de France des barbecues ». À ce sujet, combien de kilos a-t-il pris, avec toutes ces grillades englouties ? « Je vais vous confier un secret, rigole-t-il. J’ai profité de la période du confinement pour faire de la gym, en prévision de cette épreuve. » Fin de la conversation. Nous sommes arrivés. Les salariés déambulent déjà dans les étages, entre salles de réunion, espaces de travail et étranges caissons calfeutrés pour passer ses appels sans déranger les autres. Ici, plus de bureau attitré. Chacun occupera l’espace au gré de ses besoins. Les temps changent, l’ère du télétravail semble déjà modifier la façon de penser les aménagements.

14h, buffet d’équipe

Au dernier étage, un joli loft surplombe les toits. Une pièce de vie, avec cuisine et petit salon, pour que tout le monde puisse se retrouver. Le buffet, dressé sur deux tables design signées Starck, est à la bonne franquette : charcuteries, bons fromages de terroir et blagues potaches dans la plus pure tradition des troisièmes mi-temps. Florian saisit le tire-bouchon pour ouvrir quelques bouteilles de « son » vin. Car, oui, en plus d’être dirigeant d’entreprise, père de deux enfants et nouveau poil à gratter du rugby français, notre homme pressé est copropriétaire du château de l’Engarran, domaine viticole de renom proche de Montpellier. « C’est une passion familiale qui dure depuis six générations, s’excuse-t-il presque. J’ai beau vivre à Paris, quand je suis là-bas, au milieu des vignes, je me sens chez moi. »

Patron d’agence et président de ligue régionale : la double vie de Florian Grill.

14h30. Sondage express

Il est temps de repartir. Mais avant cela, Florian, en bon expert du marketing, ne résiste pas à l’envie d’improviser une petite enquête de satisfaction : chaque employé définit en un mot son impression après la visite des nouveaux locaux. Les qualificatifs fusent : innovant, confortable, fonctionnel… Le boss est soulagé : ça a l’air de leur plaire. L’après-midi se poursuit à la façon d’un marathon où alternent les conf ’call avec les commerciaux à Lyon et à Tours, les entretiens sur des dossiers brûlants, les conversations dans les escaliers. Dès qu’il a un moment, Florian se réfugie derrière son ordinateur. Avec lui, chaque minute doit être utile. Pas de place pour la rêvasserie. À sa table de travail, les touches personnelles se comptent sur les doigts d’une main. Dans un carton, quelques ballons ovales élimés. Là, une statue de bronze représentant un talonneur transformant l’essai (elle trônait jadis sur le bureau de son père polytechnicien). Plus loin, une cloche de vache format XXL « qui sert à battre le rappel pour les apéros improvisés ! » Planqué dans un coin, on repère un cadre dans lequel tient ce qui ressemble à un banal morceau d’emballage jauni par les ans. En réalité, un trésor d’archéologie familiale. Le parchemin est marqué de l’inscription « Quincaillerie Grill, Nîmes. » C’était la boutique de son grand-père, Georges, laquelle avait pour devise « Vieille maison tient son renom ». Un mantra que n’a jamais oublié Florian.

19h, meeting

En coulisse, on le surprend à enfiler une chemise neuve et bien repassée, apportée par Françoise, son épouse. La couleur ? Noire, comme un maillot des All Blacks. La tenue idoine pour aller au charbon. Sur l’estrade, c’est en effet un autre homme qui se dévoile. Un formidable orateur, précis, avançant sans la moindre note, sachant hausser le ton au bon moment pour dénoncer « le grand chelem déficitaire » de son adversaire, l’érosion des licenciés, les piteux résultats de l’équipe de France. Décidément, l’ex-deuxième-ligne ne craint pas la castagne. Micro en main, il continue de répondre aux innombrables questions, détaille quelques-unes de ses mesures phares, telle la multiplication par dix du budget consacré au rugby scolaire, ou encore la relance du mécénat d’entreprise pour financer les initiatives des clubs en direction du handicap ou des quartiers sensibles.

21h, dernières passes sous les projecteurs

L’assemblée semble conquise. Même le maire de Suresnes, Guillaume Boudy (H.86), en visite de courtoisie, y va de son couplet. Lui aussi est passé par HEC, et il se souvient de l’énergie débordante de Florian, notamment comme pilier du BDE. La nuit est tombée. Derrière le tribun, la pelouse du stade vient de s’illuminer. Le vert strident sous les projecteurs donne au décor une touche irréelle, quasi cinématographique. L’entraînement de l’équipe première, en maillot vert et noir, débute, tandis que les débats se poursuivent. Au loin, les joueurs enchaînent des exercices de passes latérales, des touches, des sprints et des mêlées. Les gestes sont fluides comme une chorégraphie. Les colosses en crampons du XV Suresnois ressemblent soudain presque à des ballerines. Pas de doute, ce rugby-là, beau et généreux, est un sport de brutes joué par des gentlemen.

Sébastien Desurmont

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