24h avec Coralie de Fontenay (H.95)
Après une carrière au sommet chez Cartier, Coralie de Fontenay (H.95) a cofondé Luximpact. L’idée ? Relancer des maisons de joaillerie légendaires avec des modèles durables où les diamants font enfin briller l’avenir de la planète. Rencontre à Paris avec l’amie des belles endormies.
C’est un petit matin frais et ensoleillé d’hiver. Sur le pavé gris parisien, le paquebot récemment rénové de la Samaritaine resplendit. D’un côté, la rue de Rivoli offerte aux cyclistes et aux piétons. De l’autre, sous le Pont-Neuf coule la Seine. La façade Art déco du grand magasin renvoie les reflets du fleuve. Ses vitres serties d’or brillent sous la lumière, prennent des teintes irisées, comme un gros diamant taillé à la hache que l’on aurait posé en plein cœur de la capitale. À croire que Coralie de Fontenay (H.95) a soigneusement choisi son endroit pour nous donner rendez-vous. L’ex-directrice générale de Cartier France a pris un tournant en 2019 pour vivre sa propre aventure entrepreneuriale, mais elle n’a pas quitté pour autant le monde de la joaillerie. Elle s’y est même replongée avec une ambition nouvelle, celle de réinventer le luxe, en étant soucieuse de ses impacts sociaux et environnementaux. Son pari ? Proposer des bijoux d’exception mais éthiques et durables, où l’utilisation de pierres précieuses ne rime plus avec extraction minière. Un virage dont elle vient de mesurer l’accueil enthousiaste à New York. Là-bas, Coralie a rencontré des investisseurs, quelques-uns des meilleurs spécialistes du diamant de synthèse et des ateliers de joaillerie. Elle a aussi bouclé une grosse levée de fonds et confirmé de sérieuses perspectives de business sur place. Elle est tout juste rentrée la veille, mais une semaine de voyage d’affaires et quelques heures de décalage horaire ne suffisent pas à freiner son entrain.
8h30. Conférence sous la verrière
Cheveux blonds, veste blanche, pantalon rouille, diamants discrets aux oreilles… À 48 ans, la bonne humeur irradie son visage botticellien. « En ce moment, j’ai l’impression d’inventer un modèle qui est bien dans mon temps et respecte l’avenir de mes enfants, bref, qui a du sens. Et cela me donne beaucoup de satisfaction », reconnaît-elle en souriant de plus bel. Il y a aussi que sa journée débute par la récréation, si l’on peut dire. Si Coralie de Fontenay nous a convoqué ici de bon matin, ce n’est pas pour aller faire du shopping – même si comme toute Parisienne, elle avoue volontiers un faible pour ce temple historique de l’élégance. C’est ici que se réunissent aujourd’hui les membres du club Luxe et Création d’HEC Alumni, dont elle assure la présidence depuis trois ans. Au 5 e étage l’attend l’hôte du jour : Éléonore de Boysson (H.88), présidente de DFS (Duty Free Shoppers) Europe et Moyen-Orient. C’est elle qui conçoit et exploite les espaces de vente de la Samaritaine, avec plus de 600 marques. Sous la verrière, attablés devant un petit-déjeuner, une cinquantaine d’anciens élèves s’apprêtent à l’écouter raconter à quel point la vie des affaires n’est jamais un long fleuve tranquille, fût-ce à deux pas de la Seine. Avec les retards de chantier, les blocages administratifs, mais surtout la crise sanitaire, qui a vidé la capitale des clients étrangers, la réouverture du grand magasin, repoussée de nombreuses fois, a finalement eu lieu en juin. Pendant que l’assemblée pose des questions, le regard s’égare volontiers vers le décor magnifiquement restauré. Sous la verrière, de délicats entrelacs floraux encadrent une frise de paons stylisés sur fond jaune or. Comme dans une boîte à bijoux, l’intérieur du bâtiment voulu par Ernest Cognacq cache un chef-d’œuvre de l’Art nouveau. On n’aurait pu rêver mieux pour entrer dans l’univers de Coralie. Car ce qui occupe une partie de ses journées depuis un peu plus de deux ans, c’est la renaissance de la mythique Maison Vever. Fondée en 1821 à Metz, cette marque devint au tournant du xx e siècle la pionnière de l’Art nouveau. Maniant figures de nymphes et motifs floraux, pierres précieuses et matériaux inédits, comme la corne, l’ivoire ou les émaux, les créations de ce joaillier s’arrachaient auprès des grands de l’époque. Elles constituent aussi l’un des joyaux des collections du musée des Arts décoratifs à Paris. Et si Vever ferma ses portes en 1982, ses bouquets de joaillerie sont restés dans les mémoires des connaisseurs.
10h. Au showroom, rue de la Paix
C’est sur son scooter que Coralie file maintenant du côté de la place Vendôme et de la rue de la Paix, épicentre mondial de la haute joaillerie. Jadis Vever, comme tant d’autres, y avait sa boutique. C’est ici, dans la cour des grands, que la marque a décidé de renouer avec son histoire. « Il faut bien cela pour lancer une start-up qui a deux cents ans d’histoire ! », plaisante la femme d’affaires. Au 7 e étage d’un bel immeuble, elle a installé les bureaux de sa petite société Luximpact dont l’objectif est de relancer des maisons de joaillerie française historiques et légendaires avec des modèles durables. L’espace accueille aussi le showroom de Vever. Un ascenseur mène à une double porte qui s’ouvre sur un sas blindé. Une caméra scanne le visiteur. Il faut montrer patte blanche. Le signe que l’on s’apprête à pénétrer dans un monde à part, où les présentoirs contiennent des pièces de plusieurs milliers d’euros. Au bout d’un couloir, un élégant salon tendu de tissu bleu et tapissé d’une épaisse moquette grise ouvre ses baies vitrées sur Paris. Le lieu est splendide. Parfait pour accueillir en toute discrétion clients exigeants et vendeurs de pierres. Dans ce boudoir contemporain, l’équipe est au complet. Il y a Frédéric de Narp, son associé, fin connaisseur du monde des diamants de synthèse et des marchés de la joaillerie, passé par chez Harry Winston et Cartier. Au bout d’une table, devant son carnet de croquis, un crayon à la main, l’autre pièce maîtresse du trio, Sandrine de Laage, la directrice artistique, griffonne quelques esquisses. Elle a longtemps officié en Californie avant de revenir en France pour participer à cette aventure. Et puis, il y a Camille Vever. À 42 ans, elle représente avec son frère Damien la septième génération, « celle de la renaissance », raconte Coralie. Entre les deux femmes, la rencontre tourne au coup de foudre professionnel. Camille travaillait dans la recherche clinique mais rêvait de relancer la marque de ses aïeuls. Coralie était à la recherche « d’un projet avec un supplément d’âme », auquel elle pourrait apporter son expérience et ses compétences. « Nous sommes complémentaires », disent-elles, presque en chœur.
10h30. Séance d’essayage
Ce matin, c’est jour de test. Il s’agit de passer au crible les dernières créations revenues des ateliers en vue de la prestigieuse Biennale de Paris, programmée en novembre, où Vever a décidé de faire son grand retour. Camille Vever, présidente de la maison de joaillerie, dépose les pièces sur un plateau. Silence concentré. Sur un doigt, Coralie enfile une bague en or blanc. L’objet tient de la fleur précieuse et de la feuille de ginkgo. Enchâssée au milieu d’un tourbillon de 279 minuscules diamants, une rareté retient l’attention : ce diamant bleu « fancy blue » qui occupe le cœur du bijou. Puis, autour de son cou atterrit un pendentif sur lequel se balance une nymphe du feu. Or blanc recyclé, diamants et émail, la combinaison des matériaux, autant que le design inédit et la légèreté de l’ensemble, signent une prouesse technique. Coralie jauge le tombé dans un miroir. Puis délivre son verdict : « C’est très réussi, précis, délicat et beau. Tout ce qu’il faut pour qu’une pièce plaise. » Soulagement général. « C’est l’une de ses forces, souffle Frédéric de Narp, elle a des feedbacks d’une grande précision ; son œil de lynx décèle tout de suite ce qui cloche. »
12h. Leçon de diamant nouveau
Si les diamants sont éternels, il faut qu’ils soient durables. Pour juger de la qualité, les professionnels se concentrent sur les 4C, les 4 critères correspondant à la coupe, la couleur, la clarté et le carat. Un cinquième C s’est invité, C comme un incontournable : le climat. Plus question d’aller piocher dans les entrailles de la terre. Chez Vever comme chez Oscar Massin, deuxième maison à héritage soutenue par Luximpact, on utilise des pierres de laboratoire exclusivement. « Les jeunes générations, aussi fortunées soient-elles, acceptent de moins en moins de porter des pierres issues de l’extraction », détaille Frédéric de Narp. « Une vraie révolution est en cours, et nous sommes parmi les précurseurs », ajoute Coralie. Le résultat, lui, est tout aussi qualitatif. Nos experts sont en train de vérifier des brillants. Bluffant. Ce qui sort des laboratoires possède aujourd’hui les mêmes propriétés physiques, chimiques et optiques que le diamant naturel. Même dureté. Même brillance, grâce à des technologies d’une très grande complexité. Les gemmologues ne parviennent pas non plus à déceler de différences.
15h. À la recherche des joyaux oubliés
Une autre manière de respecter la planète consiste à chasser les pierres précieuses anciennes. S’agissant des pierres de couleur, des tonnes dorment dans des coffres-forts partout dans le monde. Les utiliser plutôt que de forer les sols apparaît comme une démarche de bon sens. En effet, 70 % des pierres précieuses que contient la terre ont été déjà extraites. Reste à trouver la perle rare. Celle qui donnera sa force unique à une création. Cet après-midi, Coralie, Frédéric et Sandrine reçoivent, avec Marie Berthelon, présidente de la troisième maison soutenue par Luximpact, la visite de deux jeunes femmes aux airs mystérieux. Ce sont des vendeuses de pierres. Privilège rare, nous sommes autorisés à assister au rendez-vous. De leur attaché-case, elles sortent un coffret rectangulaire en cuir. La boîte s’ouvre. Émerveillement. Le long des rainurages molletonnés de soie blanche s’égrainent quatorze pierres : rubis, saphirs, émeraudes… et des spinelles du Vietnam, appelées aussi pierres des moissons. Là-bas, après la récolte du riz, les paysans ratissent les rizières à la recherche de ces beaux cailloux pourpres, violets ou roses. Valeur estimée de l’ensemble ? Près de 40 000 euros. Coralie les regarde une à une à l’œilleton, puis saisit une pierre et la pose sur ses doigts pour imaginer le résultat. Son verdict fuse : « La tonalité est parfaite », «Ce rubis est bouleversant », « Très belle émeraude ».
Pendant ce temps, Sandrine de Laage pense déjà à ses créations. Certaines de ses pierres iraient à merveille avec cette autre marque de joaillerie française que la petite équipe accompagne vers la renaissance. Son nom est encore secret, mais le projet est déjà bien avancé. «Comme pour Vever, explique Sandrine, il s’agit de faire revivre une ancienne maison très prestigieuse, comprendre son ADN pour pouvoir imaginer ce qu’elle aurait proposé si elle existait encore. » Sur la table, douze cahiers qui appartenaient à la fameuse marque. Y sont détaillés les bijoux d’autrefois. Des fonds de dessins retrouvés par miracle chez un antiquaire. Un cahier de style d’autrefois, une source d’inspiration. Les pages jaunies laissent entrevoir les plans aquarellés de joyaux truffés de nombreuses pierres de couleur. Le coffret correspond bien aux attentes et sera laissé en prêt, sous clé, pour permettre de mener des essais. « Seule condition pour un éventuel achat, la fourniture de documents certifiant l’ancienneté, insiste Coralie en fin de rendez-vous. La traçabilité pour nous est capitale. »
18h. Escale beauté
Après une longue après-midi de réunions et de visioconférences, Coralie remonte sur son scooter. Direction le 11e arrondissement. Nous la retrouvons rue Keller. Elle doit rejoindre Lucile Battail, la fondatrice de Laboté, une marque de cosmétiques sur mesure dans laquelle elle a investi il y a deux ans. « Ici, c’est ma casquette de “business angel” que je porte et j’insiste sur le mot “angel” », explique celle qui est par ailleurs coach à l’incubateur HEC. Au total, j’ai investi dans une dizaine de start-up. Toutes œuvrent pour un luxe nouveau, et c’est cela qui me plaît. J’ai l’impression de rendre un peu ce que ma carrière et la vie m’ont donné. » Si Coralie en profite pour faire le plein de produits de beauté formulés en fonction de sa peau, elle n’est pas là que pour parler pH de l’épiderme. La préparation du prochain codir, les orientations stratégiques, les résultats de la petite entreprise… Les sujets ne manquent pas et Lucile, passée par l’incubateur HEC, est avide de conseils.
10h. Matinée dans un atelier top secret
Le lendemain, notre second jour auprès de Coralie nous conduit chez un certain M. P., nous n’en dirons pas plus. Question de sécurité. Interdiction de dévoiler son nom, son adresse, son visage. Dans le monde des pierres précieuses, on a vite fait de se sentir au beau milieu d’un polar. L’homme est l’un des meilleurs artisans joailliers de la capitale. Il intervient pour différentes maisons. Se rendre dans son antre du cœur de Paris revient à entrer dans un immeuble où rien n’indique ce qui s’y passe. On monte dans les étages, puis une fois poussée une banale porte d’appartement, on tombe sur une seconde porte, blindée cette fois. Là, il faut passer par un sas de sécurité. Un petit bureau-atelier trône au centre des locaux et se résume à un bocal aux vitres épaisses. Sur la table, des diamants en cours de montage, des prototypes, des bagues qui attendent le passage du polissoir. Autour, dans les pièces attenantes, plusieurs établis sur lesquels sont penchés des êtres qui ne lèvent pas la tête. Bruits des laminoirs, cliquetis des pinces fines, frottement des limes. Ici, on s’affaire sur des objets aussi lilliputiens que précieux. L’artisan travaille sur les projets futurs de Luximpact et assemble les créations de haute joaillerie que propose Vever. Comme cette pièce inédite, une commande spéciale qui vient de lui demander deux cent cinquante heures de travail et pour laquelle il reste quarante heures à effectuer : cette broche mêlant diamants, perle d’Akoya et émaux colorés constitue un sommet de l’artisanat d’art et de la poésie joaillière. Elle dévoile une nymphe en suspension. Le richissime client qui attend cette merveille avait demandé que le bijou ait la couleur des yeux de sa femme, un beau bleu gris délavé… Quand on aime, on ne compte pas.
Published by La rédaction