Après avoir décroché l’or à Tokyo, la championne de judo s’apprête à recevoir un diplôme de coaching à HEC Paris Executive Education en octobre. Une sacrée revanche pour la gamine d’Asnières qui n’aimait pas l’école. Nous l’avons suivi en Ariège, ambassadrice de charme de sa discipline et de l’Armée, qui l’a engagé comme d’autres athlètes de haut niveau. 

 

9h00, réveil à Toulouse 

En sortant de la douche, Clarisse zappe le buffet du petit déjeuner proposé par son hôtel. Ni viennoiseries, ni œufs ou fromage pour la championne olympique des poids mi-moyen (moins de 63 kilos) aux derniers Jeux de Tokyo. « Je ne mange jamais rien en me levant le matin », confie celle qui possède le plus beau palmarès du judo féminin : outre les deux médailles d’or rapportées du Japon, elle a déjà gagné à cinq reprises les championnats du monde et collectionne autant de titres européens depuis 2013. « Il faut écouter son corps », ajoute Clarisse quand on s’étonne de cet écart avec les canons supposés de la diététique sportive, surtout à haut niveau. Pas de footing non plus pour le réveil musculaire. « Je suis en vacances », décrète avec un sourire désarmant la nouvelle étoile française des tatamis. La championne est arrivée la veille dans la ville rose pour une journée de représentation conforme à son statut d’ambassadrice de sa discipline, mais aussi de son employeur : dans le « civil », Clarisse est adjudante de la gendarmerie nationale. C’est à ce double-titre qu’elle est attendue cet après-midi à Foix (Ariège), en clôture des championnats de France militaire de judo. En attendant, c’est quartier libre ! 

 

11h, brunch à Châteauroux 

Accompagnée de Nadia Benabdelouahed, ex-judoka de haut niveau devenue sa manageuse, Clarisse a donné rendez-vous pour un brunch à des copines rencontrées lorsqu’elle était pensionnaire au lycée de Châteauroux qui abrite le « pôle France » de l’équipe de France de Judo. « On a fait beaucoup de bêtises ensemble, ce sont les trois meilleures années de ma vie », rapporte l’ancienne gamine turbulente qui a grandi à Asnières et n’hésitait pas à se bagarrer avec les garçons. « Je n’aimais pas l’école, Nadia me donnait des cours de soutien en maths », se souvient la championne. Sous ses airs sévères accentués par une coupe à la garçonne, la prof d’origine pur beur (« mi-bretonne, mi-kabyle » lâche Nadia) n’hésitait pas à rabrouer l’adolescente dissipée d’origine togolaise : « tu ne vas pas gagner ta vie en faisant du judo ! » Clarisse suit toujours les conseils de Nadia, qui l’accompagne partout comme son ombre. « On se parle cash et parfois ça clashe, mais ça ne dure jamais longtemps », confie la quadragénaire qui joue le rôle de véritable coach en dehors du tatami de l’athlète décontractée. Clarisse a fini par décrocher son Bac, puis passer des brevets professionnels pour devenir éducatrice sportive, avant de signer un CDD de sportive de haut niveau avec la Gendarmerie : 1 300 € net par mois, logée et nourrie dans un régiment de Fontainebleau.  « On n’y est pas beaucoup, mais cela fait du bien à la tête, on se sent en sécurité », glisse Clarisse. Comme elle, dix autres gendarmes faisaient partie de la délégation des 378 athlètes qui ont participé aux JO de Tokyo. 

 

13h30, entrée en scène à Ferrières 

Le lycée Jean Duroux de Ferrières est contigu de la salle omnisports construite dans cette petite commune périphérique de la préfecture de l’Ariège. L’internat de cet établissement professionnel sert de camp de base à une centaine de militaires venus de toute la France pour leur championnat de France. Uniformes, kimonos et treillis se croisent par la petite porte du grillage qui sépare le lycée du gymnase. C’est dans une simple chambre à deux lits que Clarisse enfile sa « tenue de combat » : un kimono orné de cinq étoiles pour ses titres mondiaux, son nom en gros caractères dans le dos et la ceinture noire fétiche qu’elle porte en toutes circonstances. Sauf en compétition internationale, pas réglementaire. Ses deux médailles d’or sont posées négligemment sur le matelas, à coté de ses épaulettes de la gendarmerie. « Sans le judo, je n’aurais jamais été militaire » confie la championne qui vient d’apprendre qu’elle doit remiser ses insignes au placard : elle vient de changer de grade sans le savoir. Si elle avoue avec une franchise désarmante ne pas avoir franchement l’envie de porter un képi toute sa vie sur ses longs cheveux tressés, Clarisse se déclare fière d’avoir « ramener une médaille pour la patrie ». Plus encore que ses multiples titres mondiaux, la première place décrochée à Tokyo face à sa rivale slovène qui l’avait battue en finale à Rio représente à ses yeux la plus belle des récompenses. « C’est la médaille de l’univers ! ». À bientôt 30 ans, elle se projette déjà dans les prochains Jeux olympiques qui auront lieu à Paris en 2024. « Cela va être magnifique ». Comme Teddy Riner, son alter ego masculin, elle se voit déjà remettre son titre olympique en jeu dans quatre ans. Elle avait été désignée pour porter le drapeau de la délégation française à Tokyo et en garde un souvenir inoubliable. Clarisse avait pourtant failli arrêter la compétition en apprenant le report des Jeux en 2020. La championne avait alors sombré dans une dépression qu’elle évoque désormais sans tabou. « C’est peut-être aussi pour mes doutes que j’ai été choisie », dit celle qui s’est lancée dans une formation à HEC pour devenir « coach de vie » à la fin de sa carrière. Clarisse doit décrocher son diplôme en octobre, mais elle n’est pas prête de ranger son kimono au vestiaire. 

 

15h00, retour en enfance sur le tatami  

L’apparition de la championne qui ambitionne de détrôner Teddy Riner dans l’imaginaire des Français a été soignée par les organisateurs dans le petit gymnase de Ferrières, préféré au Dojo de Foix jugé trop petit pour l’événement. Un officier rougeaud en kimono chauffe la salle au micro depuis plusieurs minutes quand la sono fait enfin retentir la musique du film Rocky 3 à plein volume : la championne olympique fait son entrée, les bras levés. La judoka s’est aussi mise à la boxe pour parfaire sa forme physique, mais elle ne se prend pas pour Sylvester Stallone : coquette, elle a peint ses ongles avec du vernis, aux mains comme aux pieds. Elle n’a pas retiré ses boucles d’oreilles au moment de monter sur le tatami. La démonstration annoncée sur le programme vire à l’exhibition. Aux côtés d’Audrey Tcheuméo, autre championne de judo réquisitionnée pour l’occasion, elle multiplie les pauses photos au milieu d’une centaine de gamins venus de tout le département. Les enfants ont été invités par les militaires à grossir les rangs pour ce final de gala. Avec sa gouaille d’ancienne gamine de Bondy, Audrey rivalise avec Clarisse dans le rôle d’un M’Bappé du judo français : elles sont noires, elles viennent de la banlieue parisienne et elles sont cools ! Les deux championnes multiplient les selfies au bord du tatami, envahi par les gosses qui enchaînent des mouvements d’échauffements avec les grands gaillards des différents corps d’armée en kimono. Il ne reste plus un centimètre carré de libre pour les véritables combats, mais l’essentiel n’est pas là. Visiblement ravie, Clarisse retrouve au sol son ancien éducateur d’Asnières, qui l’avait repérée quand elle était encore à l’école primaire. « On proposait aux enfants des initiations à différents sports en primaire », se souvient Mohammed Zouarh, ex-directeur sportif de la ville des Hauts-de-Seine, désormais élu de la fédération nationale de Judo. Le retraité a suivi de près la carrière de cette gamine de banlieue prometteuse, que sa mère et ses instituteurs jugeaient trop bagarreuse. La championne olympique, elle, est ravie de se retrouver au milieu des petits Ariégeois qui s’efforcent de faire tomber au sol des soldats bienveillants taillés comme des armoires à glace. « J’aurais été ravie de vivre une telle expérience quand j’étais petite fille ». Clarisse pointe ses propres difficultés à trouver sa voie à l’école ; « ce serait bien si les conseillers d’orientations faisaient un peu de « coaching » en écoutant les enfants avant de les juger ». La question se pose légitimement : le coaching peut-il être une nouvelle voie pour les élèves en difficulté face aux enseignants de l’Éducation Nationale ? 

 

16h30, en short à la mairie de Foix 

Après une série de photos avec tous les clubs de jeunes qui ont fait le déplacement et une interminable séance de dédicaces pour les 200 participants, petits et grands, qui font sagement la queue en file indienne devant un stand de l’Armée, retour à l’internat du lycée pour se changer. Clarisse a rendez-vous à la mairie de Foix pour une visite protocolaire. La championne, décontractée, sera la seule à porter un short dans la grande salle du conseil municipal. Il fait chaud, mais elle ne goûte pas aux jus de fruits bio préparés pour le buffet. Tout sourire, Clarisse écoute d’une oreille distraite les discours qui se multiplient. Disciplinée, elle a remisé les écouteurs de son smartphone dans la petite sacoche qu’elle porte en sautoir dès son arrivée à l’hôtel de ville. La visite touristique du château comtal, qui domine le centre médiéval de Foix, est annulée pour respecter le programme, très chargé, à la manière d’une visite ministérielle. Le directeur de cabinet du préfet a tenu à se joindre à la petite cérémonie à la dernière minute. Clarisse repartira de Foix avec un couteau fabriqué par un artisan local, gravé à son nom et offert par le maire. 

 

18h00, invitée d’honneur pour la remise des prix 

Nouveau retour dans la petite chambre du lycée de Ferrières pour un dernier changement de tenue. Une affichette placardée à l’entrée du gymnase précise que la tenue de cérémonie est obligatoire pour tous les militaires venus assister à la remise des médailles. Clarisse enfile non sans difficulté son uniforme de la gendarmerie. Deux collègues militaires l’aident à nouer sa cravate et vérifient le pli réglementaire du pantalon. « Je me sens bien en uniforme, mais j’aurais un peu de mal si on me demandait de défiler au pas », glisse l’ancienne porte-drapeau des jeux de Tokyo. L’invitée d’honneur des championnats de France militaire n’est pas tenue d’assister à la cérémonie au garde à vous devant le podium installé dans un coin du gymnase. Emporté par son discours, le directeur de cabinet du préfet se lance dans une tirade inspirée, louant les valeurs communes du sport et de l’armée. Face à lui, les troupes se tiennent alignées en rangs par régiments, comme à la parade. Clarisse rejoint Nadia, qui s’est installée à une petite table. Elle tapote sur son portable, mais s’interrompt volontiers pour répondre à toutes les demandes de selfies, de plus en plus nombreuses à mesure que les médailles sont distribuées. Progressivement, la cérémonie protocolaire vire à la réunion de famille sportive. Dans le mundillo du judo, les grades s’estompent dès qu’on enfile son kimono. Tout le monde se tutoie et un simple soldat peut envoyer au tapis un officier supérieur. La championne olympique continue de discuter, tout sourire, avec les derniers participants qui s’attardent dans le gymnase, alors que le gros des troupes a rejoint l’apéritif servi à l’extérieur. Clarisse ne goûtera ni au punch ni à la sangria. Elle s’accorde une ultime séance photo avec Nadia sur fond de drapeau tricolore pour alimenter son compte Twitter, alors que les employés du traiteur commencent à servir le repas de gala annoncé sur le programme. La judoka n’y touchera pas non plus. Elle s’esquive discrètement avec Nadia pour regagner Toulouse. Libérée de ses obligations militaires pour la fin de soirée et des vacances bien méritées. 

Stéphane Thépot

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