Paul Hudson était vendredi le 341e invité des Matins HEC, rendez-vous incontournable de la communauté où une personnalité du monde de l’entreprise s’exprime devant une assemblée d’alumni. Avec une certaine dose d’humour à l’anglaise et un ton plus conversationnel qu’académique, le DG de Sanofi a évoqué avec enthousiasme les enjeux de son groupe biopharmaceutique.

Il faut croire que le froid polaire ne les a pas découragés. A l’intérieur du Pavillon Vendôme, en ce dernier vendredi de novembre, pas moins de 150 alumnis attendaient de pied ferme Paul Hudson, pain au chocolat dans un main, jus d’orange dans l’autre. Une communauté particulièrement bien représentée, avec des membres de l’Institut entreprenariat & innovation (IEI), du pôle HEC Santé ou encore des diplômés indiens et américains avides d’entendre le chef d’entreprise britannique. Une fois encore, le directeur de la publication du magazine Challenges, Vincent Beaufils (H.75), tenait le rôle de l’intervieweur.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que lui non plus ne s’est pas montré frileux, axant sa toute première question sur la vente d’Opella, filiale de médicaments grand public de Sanofi, maison mère du Doliprane si cher aux Français. « C’est ce qui s’appelle un départ rapide ! » commentait Hudson avant de justifier sa décision, évoquant le besoin d’investissements massifs pour concurrencer Haleon et Kenvue, et son choix de se consacrer davantage au développement de nouveaux médicaments pour contrer des maladies jusque-là peu traitées. Considérant le Doliprane comme « une faible part des revenus (200 millions sur les plus de 5 milliards d’euros de revenus annuels du secteur des particuliers) mais une part considérable de l’émotion », l’ancien patron de Novartis a assuré que l’antalgique restera « fabriqué en France pour la France » et qu’il avait choisi le fonds de private equity qui génèrera, selon lui, le plus de valeur à la fois pour les patients, la filiale et les investisseurs.

© Challenges / Stéphane Lagoutte

Interrogé ensuite sur l’usine de vaccins de Neuville-sur-Saône (Rhône), inaugurée en septembre par Emmanuel Macron, le dirigeant en a profité pour revenir sur l’origine de cette idée, racontant la promesse qu’il avait faite au président de la République en 2020 : « Après lui avoir avoué que nous aurions du mal à développer un vaccin ARN au Covid-19, je m’étais engagé à lui fournir l’usine la plus importante de la planète au cas où une telle situation se reproduirait ». Après plus de cinq ans de travaux, le site de production, presque entièrement mobile et modulable, permettra ainsi de fabriquer, à partir de fin 2025, jusqu’à quatre vaccins différents simultanément. « La France aura donc un complexe unique en Europe, peut-être même au monde, pour protéger non seulement ses citoyens mais aussi l’ensemble des Européens » concluait-il fièrement.

Invité par la suite à évoquer le plus grand changement vécu au cours des dernières années, Paul Hudson n’a pas hésité : pour lui, il s’agit de l’intelligence artificielle. « Imaginez un peu : aujourd’hui, développer un médicament nous coûte trois milliards et comprend un risque d’échec de 35%. Avec l’IA générative, on peut réduire drastiquement ces deux chiffres et augmenter nos chances de trouver le médicament miracle ! ». Evoquant le film Terminator, où les ordinateurs prennent le dessus sur les humains, le Britannique insistait dans un second temps sur l’importance de percevoir l’IA comme une opportunité et non comme une menace. Et le directeur général de détailler les deux usages de l’IA actuellement appliqués dans l’entreprise : l’IA experte, soit un groupe de spécialistes utilisant des superordinateurs afin de concevoir des médicaments pour soigner des maladies incurables, et l’IA « consommable rapidement ». Cette dernière consiste à analyser les données disponibles pour proposer aux 18 000 employés de Sanofi en France une incitation discrète susceptible d’améliorer leur travail. « Cela fonctionne sur l’ensemble de l’entreprise et personne ne peut nous battre sur ce secteur. Nous sommes les seuls à le faire à ce niveau » se félicitait le chef d’entreprise.

Challengé par Vincent Beaufils sur le niveau stagnant de l’action de Sanofi depuis son arrivée, Paul Hudson s’est montré plutôt confiant quant à une hausse future, insistant sur l’importance d’avoir consacré son pipeline (l’ensemble des médicaments en développement) à l’innovation. « Dans notre industrie, cela prend entre 5 et 7 ans pour redémarrer un pipeline, donc il faut encore être un tout petit peu patient. Mais nous avons d’ores et déjà un bon indicateur puisque la participation de nos employés n’a jamais été aussi haute. »

Titillé une nouvelle fois par le journaliste sur la possible « dépendance » du groupe au médicament Dupixent, qui représente 30% de son chiffre d’affaires, l’homme d’affaires a annoncé un vaste plan de 10 milliards d’euros d’ici 2030 pour lui trouver un successeur. « L’idée est d’anticiper la fin des droits de propriété intellectuelle au milieu des années 2030 et de rassurer le marché » expliquait-il, rappelant que les chercheurs du laboratoire avaient d’ores et déjà identifié trois « blockbusters » issus du pipeline. Parmi eux, le fameux Tolebrutinib, premier médicament destiné à lutter contre la sclérose en plaques.

Pour finir, Paul Hudson parvenait à se tirer d’une question épineuse sur le système de santé français, rappelant que l’accès à l’innovation en France était meilleur que dans la plupart des autres pays d’Europe (15% de son budget y est dédié) et que les universités françaises formaient les plus grands esprits de la planète, et regrettant que les plus importantes publications scientifiques étaient encore vampirisées par les Etats-Unis et la Chine.

En bon fan de football, comme tout Anglais qui se respecte, l’invité du jour concluait l’évènement avec humour : son vrai regret, c’est bien sûr le début de saison poussif de son équipe de cœur, Manchester United… Moins calamiteux toutefois que celui de notre idole nationale, Kylian Mbappe !

© Challenges / Stéphane Lagoutte

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