Un Matin HEC avec Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF
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Pour leur première édition de l’année, les Matins HEC recevaient Marie-Anne Barbat-Layani le 7 février. La présidente de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a exprimé son inquiétude pour l’attractivité de la place de Paris, et appelé à la création d’une union européenne des capitaux.
C’était précisément l’heure du lever du soleil et une centaine de personnes s’attablaient dans la salle de réception du Pavillon Vendôme pour boire le café et assister à huis clos à l’intervention de la « gendarme des marchés » Marie-Anne Barbat-Layani. C’était aussi trois jours avant le Sommet de Paris sur l’intelligence artificielle, où la start-up parisienne Mistral AI a brillé. La pépite tricolore fondée par le surdoué Arthur Mensch choisira-t-elle Paris le jour où elle entrera en Bourse ? Ou se laissera-t-il séduire, comme tant d’autres, par une IPO de l’autre côté de l’Atlantique ? Face à cette interrogation du journaliste Vincent Beaufils (H.75), la présidente de l’AMF, énarque (de la promotion Léon Gambetta) passée par la direction du Trésor, Bercy, Matignon, mais aussi par le Crédit Agricole et la Fédération bancaire française, presse l’Europe de développer « des marchés de capitaux plus profonds et puissants ». Si le Vieux Continent dispose de l’épargne la plus abondante au monde, il peine à la garder sur son sol et à l’orienter vers ses propres projets stratégiques (transition énergétique, IA, défense…). Le rapport Draghi estime à 800 milliards d’euros par an les besoins de financement de l’Europe.
Lors de ses vœux du 16 janvier à la Monnaie de Paris, la présidente de l’AMF avait insisté sur l’urgence de maintenir Paris comme un pôle financier de premier plan. Pourtant, la décision de Vivendi, qui a choisi Londres pour la cotation de Canal+ et Amsterdam pour celle d’Havas, rappelle la fragilité de cette attractivité. La double cotation envisagée par TotalEnergies à New York envoie également un mauvais signal. De nombreux groupes tablent sur une meilleure valorisation et un accès plus aisé au capital aux États-Unis. « Le Brexit avait eu un impact très positif sur la place financière de Paris, il ne faut pas perdre ce mouvement qui est favorable aux recettes fiscales de la France », insiste Marie-Anne Barbat-Layani. La Corrézienne, native d’Ussel, prend en exemple la banque britannique Barclays qui prévoit de transférer son siège européen de Dublin à Paris. Cette dynamique ne peut pourtant être considérée comme acquise : l’an dernier, 39 entreprises sont sorties de la cote en France.
L’un des points forts de la place de Paris reste la forte présence des investisseurs particuliers. Un million de nouveaux actionnaires se sont lancés en Bourse depuis 2020. Mais si 7% des Français possèdent des actions en direct (hors assurance-vie ou ETF, donc), ils sont 9% à détenir des crypto-actifs ! Or ces produits, très instables, font l’objet de nombreuses plaintes d’épargnants.
L’AMF accompagne la mise en œuvre du règlement européen Markets in Crypto-Assets (MiCA). Mais la régulation des cryptos doit se faire surtout au niveau européen, en conférant davantage de pouvoir à l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). « Il est urgentissime de confier à l’ESMA des compétences directes, au moins sur les grandes plateformes. En l’état actuel, les acteurs de la crypto peuvent faire du “regulatory shopping”. Le morcellement est sous-optimal : les régulateurs nationaux peinent à développer les compétences nécessaires », poursuit Marie-Anne Barbat-Layani.
L’invitée du jour met également en garde contre la « gamification » des investissements, qui brouille la frontière entre le jeu et l’investissement réel. Ces pratiques commerciales agressives ciblent un public jeune, majoritairement masculin, qui a tendance à surestimer ses compétences financières. « Ces nouveaux investisseurs vont chercher de l’information auprès de sources douteuses, d’influenceurs ou sur les réseaux sociaux », alerte-t-elle. « D’ailleurs, si vous tombez sur un des faux profils Facebook à mon nom qui donnent des conseils boursiers, n’y allez pas… », se hâte-t-elle d’ajouter. L’AMF reçoit régulièrement des témoignages dramatiques d’épargnants victimes d’escroquerie, qui ont parfois perdu des sommes considérables (en moyenne, le préjudice se monte à 29 500 euros). Le régulateur a notamment lancé une campagne de sensibilisation des plus jeunes sur TikTok et Instagram, reprenant les codes des réseaux sociaux.
Face aux mutations du marché, la spécialiste appelle les acteurs du secteur à prendre leurs responsabilités. « Même dans un corps sain, il y a toujours des fraudes », rappelle-t-elle. « L’AMF ne peut tout faire seule : tous les acteurs de l’écosystème financier doivent progresser. » Conseillers en investissement, commissaires aux comptes, sociétés de recherche en actions, directions financières, experts-comptables… Tous ont un rôle à jouer pour détecter et prévenir les fraudes et abus. Car, comme l’écrit la Canadienne Margaret Atwood, son écrivaine préférée : « Money counts ». L’argent compte.
La rencontre s’est conclue par une traditionnelle séance de questions-réponses avec la salle, où il a été question de fraude, de conseils d’investissement (dont certains prodigués par l’IA de ChatGPT !), mais aussi de réglementation européenne à travers la complexité de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Sur cette dernière question, la présidente de l’AMF a indiqué que la directive serait sans doute simplifiée, mais qu’en aucun cas, il ne fallait faire reculer les exigences européennes en matière de finance durable.
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Published by Thomas Lestavel