Sumaia Sediqi, exil et renaissance d’une entrepreneuse afghane en France

C’était le 25 avril 2023. Enceinte de huit mois, une valise à la main, Sumaia Sediqi atterrissait à Paris après un périple qui l’avait menée de Kaboul à Islamabad, puis d’Islamabad jusqu’à Strasbourg.
Derrière elle, l’Afghanistan tombée aux mains des talibans. Devant elle, un avenir à construire, dans une langue qu’elle ne parle pas encore, dans un pays qu’elle ne connaît pas. Deux ans plus tard, cette jeune femme au regard transperçant et à la voix douce est cofondatrice d’une marque de bijoux, Dor Afghabistan, incubée au sein du programme Launchpad d’HEC. Son histoire, à la fois intime et universelle, incarne la résilience d’une génération de femmes afghanes déterminées à ne pas se taire.
Fuir dans l’urgence
Tout bascule à l’été 2021, lorsque les talibans reprennent Kaboul. Sumaia travaille alors dans une start-up aux côtés de Behishta Nazir, une amie et collègue, aujourd’hui diplômée d’HEC. Elle sait que sa liberté et sa sécurité sont en péril. Mais quitter le pays lorsqu’on est une femme, seule, enceinte, relève de l’impossible. « Les femmes n’ont pas le droit de voyager sans tuteur masculin. Et moi, j’étais enceinte de plusieurs mois. Il fallait que je parte vite, mais je ne pouvais pas partir seule », confie-t-elle.
Son frère l’accompagne jusqu’au Pakistan. Il fait demi-tour, la laissant seule à Islamabad. Un mois plus tard, son mari parvient à la rejoindre, après avoir déboursé une somme importante pour obtenir un visa. Le couple obtient une entrevue à l’ambassade de France. Quelques semaines plus tard, ils obtiennent un visa humanitaire.
Donner la vie, et renaître
À Strasbourg, Sumaia est accueillie par une famille qui les héberge. Le 9 juin 2023, elle donne naissance à son petit garçon, mais son chemin à elle commence à peine : « Je dis souvent que j’ai deux ans aujourd’hui. Deux ans de vie en France. J’ai dû tout réapprendre : comment parler, comment me comporter, comment vivre. »
D’abord envoyée dans un centre de réfugiés à Colmar alors qu’elle est enceinte, elle évoque une expérience très dure. « Heureusement, ma famille d’accueil m’a sortie de là. Je ne sais pas ce qui me serait arrivé si j’avais dû élever mon enfant dans ce camp. » Peu à peu, elle découvre la société française. Elle apprend quelques mots de la langue, commence à fréquenter des associations, inscrit son bébé à la crèche. L’envie de retrouver une forme d’indépendance renaît. Avec son mari, elle commence à rêver d’entrepreneuriat.
Lancer une entreprise, reconquérir de la dignité
Le couple rejoint alors Singa, une association qui accompagne les réfugiés dans leurs projets professionnels. C’est là que naît Dor Afghanistan, une marque de bijoux en argent et pierres précieuses fabriqués à la main par des femmes afghanes.
« Dor » signifie « pierre précieuse » en farsi. « C’est un hommage à notre culture, à notre artisanat, à ces femmes qui continuent de créer malgré tout. »
Les modèles sont dessinés par Sumaia, transmis par WhatsApp aux artisanes restées en Afghanistan, puis expédiés via un circuit complexe via le Pakistan. Au-delà de l’esthétique, le projet porte une dimension sociale : les femmes sont rémunérées, et reçoivent aussi des formations. « J’essaie de leur apprendre l’anglais, je leur envoie des cours de développement personnel, des ressources gratuites en ligne. »
HEC : un tremplin et un tournant
En 2024, elle découvre le programme HEC Imagine Fellow et le Launchpad, qui accompagne des entrepreneurs à impact. Elle candidate sans y croire. « C’est l’une des meilleures écoles de commerce au monde. Je ne pensais pas être sélectionnée. » Et pourtant, elle est retenue. Elle se rend à Paris pour suivre la formation, laissant son enfant à Strasbourg chaque semaine. « Ce programme m’a donné une chose précieuse : la confiance. J’ai appris à parler de mon projet, à me sentir légitime. » Sumaia cite avec reconnaissance les équipes pédagogiques, les mentors, les autres participants. « Ce que j’ai appris ici, je le transmets aussi aux femmes avec qui je travaille. Je veux leur dire qu’on peut se reconstruire, même dans l’exil. »
Rêves d’avenir
Aujourd’hui, Sumaia regarde l’avenir avec prudence mais espoir. « Je veux que Dor Afghanistan devienne une grande plateforme pour les femmes afghanes. Qu’elles aient accès au marché international, qu’elles puissent vivre de leur travail. »
Retourner un jour en Afghanistan ? « Si les talibans ne sont plus là, bien sûr. Mon pays a besoin de ses enfants pour se reconstruire. Je veux faire partie de cela. » D’ici là, elle continue de bâtir sa nouvelle vie, entre Strasbourg et Paris, entre ses racines afghanes et son présent français. « La France m’a accueillie quand j’étais en danger. Aujourd’hui, je veux lui rendre ce qu’elle m’a donné. »

Published by Daphné Segretain