Caroline Noublanche (H.99) : une clinique virtuelle dédiée à la fertilité
Depuis Paris, l’entrepreneure a créé un nouvel acteur de santé pour traiter les problèmes de fertilité en Grande-Bretagne. Un enjeu mondial majeur.
« J’ai déménagé dans l’Eurostar », dit-elle en plaisantant. C’est durant la journée du 8 mars, celle dédiée aux femmes, qu’HEC Stories s’est entretenu avec une entrepreneuse française qui vit entre Paris et Londres. Caroline Noublanche a créé Apricity, une clinique virtuelle de fertilité au Royaume-Uni, pour apporter sa contribution à un enjeu mondial. Aujourd’hui, une personne sur six souffre de problèmes d’infertilité, selon l’OMS. Un chiffre qui donne le vertige.
Un côté marseillais, un côté du Nord, une famille mi-gaulliste mi-communiste, Caroline Noublanche grandit en banlieue parisienne au milieu des débats de société. Pendant la crise du Covid, l’entrepreneuse de 47 ans, mariée à un entrepreneur social, avait d’ailleurs lancé un projet associatif, Ma voix porte, pour questionner les citoyens sur le « monde d’après ». Elle a surtout créé sa première boîte très tôt dans sa carrière. « Avec des parents de profession libérale, l’entrepreneuriat ne me faisait pas peur. » En commençant sa carrière chez un opérateur mobile, elle a rapidement constaté que « dans les nouvelles technologies, il y avait beaucoup d’hommes aux postes de direction. Je me suis demandé comment arriver au sommet. »
Avec sa société Prylos, en 2004, elle se spécialise dans le développement d’applications mobiles. Son entreprise est rachetée par le téléphoniste suédois Doro sept ans après, et elle s’occupe de développer des outils technologiques adaptés aux seniors, entre la France et la Suède. « Je n’aime pas la techno pour la techno, j’aime quand ça vient apporter quelque chose de transformatif, pour du mieux vivre, déclare-t-elle. Mais après quelques années, cela peut être déprimant de travailler sur des problématiques de fin de vie. »
À l’extrême opposé, Caroline Noublanche décide en 2017 de s’intéresser à la question de la fertilité et rejoint l’incubateur Kamet, financé par Axa. « J’ai eu mes enfants naturellement, mais je voyais bien la souffrance que cela pouvait causer aux gens qui n’arrivaient pas à en avoir. » Elle rencontre des patients « qui me pleuraient dans les bras en m’expliquant ce qui leur arrivait. » Puis le Dr Mohamed Taranissi, un médecin pionnier de la FIV (fécondation in vitro) avec des taux de succès remarquables lui souffle l’idée d’utiliser un appareil connecté et un algorithme . « Toutes les datas se trouvaient dans des classeurs papiers conservés à la cave de sa clinique où il avait noté sa belle écriture au crayon à papier, se souvient-elle. En santé, les bases de données demandent à être… numérisées et nettoyées. »
Atténuer le stress des traitements
En 2018, Caroline Noublanche lance Apricity, sa clinique de fertilité virtuelle, sur le marché britannique. Le siège et la partie technologie de la clinique sont hébergés à Paris, tandis que la filiale opérationnelle, « la clinique qui vend et opère les traitements », est en Angleterre. Un pays où le parcours pour un traitement de fertilité passe essentiellement par le secteur privé. « Le National Health Service s’est progressivement désengagé de la médecine reproductive : la plupart des patients doivent financer eux-mêmes leurs traitements et les temps d’attente sont longs. »
Sa société Apricity propose une supervisation du traitement du début à la fin tout en s’appuyant sur un « réseau physique de partenaires de soins » : cliniques, laboratoires d’analyses, centres d’échographies, etc. La majeure partie du parcours se déroule à la maison, en digital, mais les patients ont accès à une variété d’options : déplacement d’infirmières à domicile, consultations vidéo, accompagnement vidéo pendant les injections, disponibilité d’une conseillère en fertilité de 7h à 21h, ou encore un suivi du traitement via l’application mobile. « On vous propose un centre d’échographie qui va être à côté de votre travail ou bien on va envoyer une de nos infirmières faire l’échographie chez vous », décrit l’entrepreneure, qui a aussi développé un logiciel de suivi des patients afin d’améliorer l’efficacité et le taux de succès de la procréation médicalement assistée.
Ainsi, l’algorithme d’optimisation de la stimulation ovarienne exploite des bases de données existantes, en partenariat avec des grands centres hospitaliers, des cliniques ou des institutions telles que la HFEA (l’autorité britannique de la fertilisation humaine et l’embryologie). L’analyse de ces données est destinée à maximiser le nombre et la qualité des ovocytes collectés.
Apricity utilise également le machine learning pour modéliser en 3D les embryons (dont la sélection repose encore aujourd’hui sur une interprétation visuelle réalisée au microscope). « Il existe des algorithmes pour analyser les meilleurs ovocytes, les meilleurs spermatozoïdes… Nous collaborons sur ces sujets avec des start-up qui sont à la pointe dans le domaine. »
Les patients de la clinique ne sont pas forcément ceux – ou celles – qu’on imagine. « On parle beaucoup de l’âge des femmes facteur majeur d’infertilité, mais aujourd’hui, la principale cause d’infertilité est masculine. De nombreux hommes sont en effet confrontés à des problèmes de qualité du sperme.
Une prise en charge par… Les entreprises
Beaucoup de jeunes femmes souhaitent également congeler leurs ovocytes. « Elles cherchent à préserver leur fertilité, parce qu’elles n’ont pas encore rencontré leur partenaire ou parce que ce n’est pas le bon moment dans leur carrière. » Fait assez insolite, les grands groupes représentent aujourd’hui près de 30% du chiffre d’affaires de la clinique. « Nous avons convaincu des entreprises comme Google et Microsoft de soutenir leurs salariés et de financer tout ou partie de leurs traitements », explique Caroline Noublanche.
En France, l’annonce d’un plan contre l’infertilité par Emmanuel Macron au début 2024 a propulsé la question au centre des débats. L’usage de l’expression « réarmement démographique » a même suscité de vives émotions. « On parle d’une personne sur six, mais dans la réalité, c’est un couple sur quatre qui rencontre des problèmes aujourd’hui. Nous sommes face à une question de santé publique mondiale. On attend encore de bien comprendre quels vont être les contours de ce plan pour s’y associer, mais on aimerait beaucoup arriver à se lancer en France. » 170 bébés ont pour l’instant vu le jour depuis la création d’Apricity pour 1500 patients traités au Royaume-Uni. Et, bientôt, des bébés tricolores ?
Published by Estel Plagué