Dans le cadre de ses travaux de recherche, Anne Michaut, Professeure à HEC, a exploré le comportement des Millenials face au luxe durable. Quels sont les ressorts de leurs choix, leurs contradictions, leurs attentes ? Les résultats sont parfois surprenants mais trouvent leur explication dans l’essence même du luxe.  

 

Vous avez mené des recherches sur la sensibilité des Millenials au luxe durable. Les résultats que vous en tirez sont assez paradoxaux ? 

En effet, il apparaît que cette Génération Y, plus engagée que la précédente en termes de développement durable, ne considère pourtant pas la durabilité comme un critère de choix au moment d’un achat luxe. Personne n’entre chez Vuitton en demandant un sac durable. Ceux qui exigent de la durabilité de façon proactive constituent une minorité. On peut même aller plus loin en ajoutant que cette génération perçoit le luxe comme superficiel et comme un stratifiant social. Pour les Millenials, il y aurait ainsi une sorte d’opposition entre le luxe et le développement durable qui suppose frugalité et équité sociale. Pour autant, le secteur du luxe, ce sont des milliards d’euros dépensés chaque année.  

 

Comment expliquer ces contradictions ? 

L’une des explications, c’est que l’achat luxe relève de l’exceptionnel. Les Millenials ont tendance à faire attention à la durabilité d’un produit dont ils font une utilisation quotidienne, comme le café par exemple. Ils ont ainsi l’impression d’avoir plus d’impact. Mais quand il s’agit d’un achat ponctuel, ce n’est pas leur priorité. Deuxième explication importante : l’achat luxe est souvent une bulle de plaisir. Ce n’est pas nécessairement un moment où l’on a envie de penser au réchauffement climatique ou à la misère humaine.  

 

Doit-on en conclure que, dès qu’il s’agit de luxe, les Millenials sont prêts à faire des concessions sur le développement durable ? 

Ce n’est pas si simple. Ce n’est pas parce que la durabilité n’est pas un critère de choix qu’elle n’est pas importante. Si les clients apprennent qu’une marque n’a pas des pratiques respectueuses ou responsables, cela peut devenir un critère de boycott ou d’évitement. Il serait choquant pour les clients d’apprendre qu’un produit luxe n’est pas durable. 

La durabilité fait partie des valeurs du luxe. La mode luxe utilise des matières rares, naturelles, faites pour durer. Elle privilégie la qualité à la quantité contrairement à la fast fashion. Elle mise sur un savoir-faire artisanal. Pour les Millenials, la durabilité est implicite au luxe, il n’est donc pas nécessaire de l’exiger. Il leur semble évident que le luxe doit être exemplaire en matière de respect social et environnemental. Dans leur esprit, le luxe, c’est la perfection. Or un produit parfait est nécessairement durable. Un produit qui serait fabriqué avec des matières toxiques, par exemple, ne peut pas être parfait.  

 

Comment les marques peuvent-elles se positionner dans ce contexte ? 

Il reste essentiel pour les marques d’être vigilantes quant à leur engagement pour le développement durable. Ne pas le considérer reviendrait à prendre un risque. On sait que la réputation dans le luxe est un élément clé, pour les clients mais aussi pour les investisseurs. Aucun groupe de luxe ne peut se permettre de faire l’impasse sur une politique RSE solide. Cependant, puisque le développement durable est implicite au luxe, beaucoup de marques communiquent finalement assez peu à ce sujet. Elles se plient à leurs obligations légales de rapport annuel de développement durable, mais elles n’utilisent pas le développement durable comme un sujet dans leur narration de marque. Leur objectif est d’abord de vendre du rêve.  

Seules quelques marques utilisent le ressort du développement durable dans leur communication, parce qu’il est en lien direct avec leur histoire et leurs produits. C’est par exemple le cas de Stella McCartney, qui, dès le début, s’est engagée sur ce créneau. C’est aussi le cas de la marque italienne Loro Piana, spécialisée dans la confection d’articles de mode en fibres naturelles (cachemire, lin, soie…), qui a par exemple soutenu des programmes de protection des vigognes en Amérique du Sud. Dans ce cas, le développement durable fait véritablement partie de l’ADN et donc de la narration de la marque. Parmi les jeunes marques, beaucoup se construisent sur un ADN sociétal ou environnemental. C’est par exemple le cas de Fenty Beauty ou Off White qui misent sur des valeurs d’inclusivité et de diversité.  

 

Vous avez principalement travaillé sur la génération des Millenials. Mais qu’en est-il des autres ? 

Avec cette étude, nous nous sommes rendu compte avec étonnement que, finalement, d’une génération à l’autre, il n’y avait pas de très forte disparité. Ni même d’un pays à l’autre puisque cette étude a été menée dans six pays (France, Allemagne, États-Unis, Brésil, Chine et Japon). 

Il y a tout de même une certaine évolution dans la manière dont les différentes générations envisagent le développement durable dans le luxe. Pour les seniors, nés bien avant l’émergence des méga brands de luxe dans les années 1990, la marque était une signature mais elle n’était pas marketée. Le luxe était lié à une certaine idée de la tradition, au fait-main. Dans les années 2000-2010, pour les Millenials, l’expérience client est devenue prioritaire. Aujourd’hui, la Gen Z attend du secteur du luxe qu’il exprime certaines valeurs auxquelles elle puisse se rattacher – notamment des valeurs environnementales, de diversité, de respect. Beaucoup de jeunes surconsomment de la fast fashion, mais ce n’est pas pour autant qu’ils accepteraient que le luxe se permette d’utiliser les mêmes méthodes. Ces jeunes générations devraient donc peser en faveur de la transformation de l’industrie du luxe vers plus de durabilité. 

 

 

Are millennials really more sensitive to sustainable luxury? A cross-generational international comparison of sustainability consciousness when buying luxury 

Journal of Brand Management, January 2020, vol. 27, n° 1 (in coll. with J.-N. Kapferer)
 

Are Millennials really redefining luxury? A cross-generational analysis of perceptions of luxury from six countries 

Journal of Brand Strategy, Winter 2019, vol. 8, n° 3 (in coll. with J.-N. Kapferer) 

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