Chef d’entreprise, conférencier, créateur d’un podcast à succès, écrivain, philanthrope ou encore membre du conseil d’administration de Paris 2024, Alexandre Mars (H.99) suit plusieurs itinéraires à la fois. Rencontre.

D’emblée, il tutoie. Puis lance un « Comment ça va ? » presque nonchalant, comme si on se connaissait depuis toujours… Bienvenue sur la planète Mars ! Chez ce presque quinqua, serial-entrepreneur à succès et philanthrope passionné, la première rencontre a ce don singulier de faire exploser toutes les conventions.

Pas de cérémonial, ni de round d’observation. Zéro silence pesant. Le bonhomme sait s’y prendre pour que le moment soit fluide, vrai, simple. On s’attable autour d’un bureau épuré, dans une pièce décorée de quelques objets d’art asiatique. Dehors, la vaste terrasse tapissée d’herbe synthétique bruisse de la rumeur de Paris. Nous sommes au huitième étage d’un immeuble élégant de l’avenue de la Grande-Armée. Vue à couper le souffle sur l’arc de Triomphe et la capitale… Alexandre Mars travaille là. « Jamais seul », précise-t-il. L’open space attenant, « centre névra­l­gique » au cœur duquel il mène toutes ses activités, fourmille. Murs peints en noir, silence concentré. Une bonne quarantaine de personnes forme ici son équipe rapprochée.

Par quoi commencer ? Il a eu déjà mille vies et semble toujours en mener au moins autant. Aux start-up, fonds d’investissement et fondations s’ajoute son podcast baptisé Pause qui revendique 150 000 écoutes cumulées chaque mois. Un carton d’audience. Derrière le micro, il y joue davantage au confesseur qu’à l’intervieweur. Le tout face à la crème du monde des affaires, de Nicolas Dufourcq (H.84), directeur général de Bpifrance, à Clarisse Magnin-Mallez (H.00), DG de McKinsey France, en passant par Santiago Lefebvre, le fondateur de ChangeNow. Mais aussi face à des artistes, comme Dany Boon et Matthieu Chédid, des sportifs, des rugbymen Antoine Dupont ou Florian Grill (H.88) au décathlonien Kevin Mayer, ou encore des chefs étoilés comme Alain Ducasse, des aventuriers comme Mike Horn ou des écrivains comme Marc Levy. En marge de ces rencontres éclectiques, il a présidé la commission sport et société dans le cadre de la candidature de la ville de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques, avant d’être nommé en 2018 par Tony Estanguet au comité d’administration de Paris 2024. Il réussit aussi à s’adonner au sport (course à pied et krav-maga) à raison de six fois par semaine, effectue des voyages incessants pour donner plus de 80 conférences par an à travers le monde, et s’autorise malgré tout une vraie coupure d’une semaine chaque année pour poursuivre son chemin de Compostelle… Bref, on s’attend légitimement à rencontrer quelqu’un de débordé, prisonnier d’un agenda délirant, sans cesse interrompu par des appels venus de New York, Londres ou Bruxelles, trois villes où il a aussi des bureaux. Il n’en est rien. Il a prévu une heure pleine pour échanger.

Yeux bleu céruléen, pull assorti, visage serein et hâlé, mains posées sagement sur la table, Alexandre Mars incarne bien le titre de son dernier (et troisième) livre, Pause, pour une vie alignée (éditions Fayard). Un ouvrage en forme de guide. Une méthode, la sienne, fruit de ses rencontres, des ratés et des réussites. Au fil des pages, il y raconte en creux sa trajectoire, tout en dénonçant ce miroir déformant qu’est l’image, en particulier à l’heure des réseaux sociaux. Il le confesse dès la première ligne : « Je me suis longtemps caché derrière une image. J’avais “réussi”, et c’est cette réussite seule que je devais afficher. » Sa manière de rappeler une réalité paradoxale : « être aligné, pour un entrepreneur, est un défi difficile qui entre encore souvent en contradiction avec le paysage entrepreneurial lui-même, observe-t-il. Nous devons sans cesse faire face à une réalité protéiforme, complexe, qui ne laisse pas beaucoup de temps pour respirer et prendre du recul, et encore moins pour laisser apparaître ses failles. Il y a aussi ce culte permanent du “Je sais”, cette sorte de force et de certitude qu’un chef d’entreprise est censé afficher en toutes circonstances devant ses équipes ou ses clients. » Par quel chemin est-il arrivé, lui, à un équilibre ? « Je pense que c’est la quête de toute une vie », observe-t-il. Avant d’ajouter : « Il s’agit de trouver ce qui est en soi et d’aller vers cela. »
La trajectoire d’Alexandre Mars s’est en tout cas dessinée très tôt. Sa première entreprise, spécialisée dans le domaine de l’organisation de concerts, date de ses années lycée. À seulement 17 ans, le natif de Boulogne-Billancourt, élève peu studieux, se révèle entrepreneur surdoué. Le capital récolté lui permet de fonder, à 22 ans, une deuxième société baptisée A2X, l’une des premières agences web françaises, qu’il revend en 1998 pour se lancer dans le capital-risque. En 2002, il crée Phonevalley, agence de publicité et de marketing pour téléphones mobiles, qu’il vendra en 2007 à Publicis.

En 2006, il fonde ScrOOn, une plateforme spécialisée dans la gestion de communautés sur les réseaux sociaux, qu’il revendra en 2013 à Blackberry. Derrière cette ascension, qui se joue entre les États-Unis et l’Europe, Alexandre Mars voit aujourd’hui une autre constante : la persévérance. « Je suis un énorme bosseur », reconnaît-il. Une détermination et une énergie qu’il attribue en grande partie à la rencontre de la « femme de sa vie », Florence Chataignier Mars (H.99), rencontrée au lycée et avec qui il a quatre enfants (20, 18, 14 et 5 ans). « Dans les études, se souvient-il, Florence était brillante, alors que pour moi, c’était beaucoup plus laborieux. Elle est entrée facilement à HEC. Pour ma part, j’ai dû me battre, bosser comme un fou pour pouvoir la suivre par un chemin de traverse… ».

Trait maternel

Depuis plusieurs années, l’acteur du digital et du capital-risque met désormais son énergie au service de valeurs qui lui sont chères. « Depuis toujours, je ressens ce besoin d’avoir un impact sur la société et de faire en sorte que ma réussite serve à quelque chose. » D’où vient cette vocation ? « Sans aucun doute de mon histoire familiale, de mes parents. De ma mère en particulier. Après le divorce de mes parents, j’ai grandi avec elle. Je l’ai toujours vu ouvrir sa porte pour aider les autres. Aujourd’hui encore, à 80 ans, elle passe son temps à aider ceux qu’elle croise, à les accueillir chez elle. Elle est un modèle, une personne à part. Sans compter qu’au moment du divorce, j’ai ressenti très vite l’injustice financière que cela engendrait : soudain, pour ma mère, ce fut plus compliqué… C’est pour cela, je pense, que ma priorité a d’abord été de protéger les gens que j’aimais en gagnant de l’argent, puis j’ai opéré un changement profond en faisant de la lutte contre l’injustice sociale ma mission de vie. »
En 2014, Alexandre Mars crée donc la fondation Epic, une « start-up à but non lucratif » selon ses propres termes. Objectif : « connecter deux mondes qui ne se côtoyaient pas forcément, d’un côté ceux qui ont des moyens, de l’autre ceux qui ont besoin de moyens ». Aujourd’hui, Epic continue de faire la passerelle entre les ONG travaillant sur des sujets d’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi ou sur la protection de l’environnement, et des particuliers ou des entreprises qui veulent s’engager. Depuis sa création, la fondation a ainsi mobilisé plus de 85 millions de dollars et soutenu une cinquantaine d’associations ou entreprises sociales, en mettant en place des modèles innovants comme l’arrondi sur salaire ou en caisse, ou encore le sharing pledge qui consiste à proposer aux entreprises et particuliers de reverser une part de leurs revenus, bénéfices, actions ou plus-values financières (1 % ou plus).

Un travail de fond

Autre terrain d’action : l’investissement responsable. Avec Blisce/, un fonds qui s’engage ouvertement dans l’idée que performance financière et impact positif sur la société ne sont pas incompatibles. En investissant dans des sociétés reconnues pour leurs engagements telles que Spotify, Pinterest, Headspace, Too Good To Go ou Brut, l’entité créée par Alexandre Mars est devenue en 2020 le tout premier fonds européen de capital-risque à recevoir le label B Corp.

Enfin, l’an dernier a vu le lancement d’Infinite. Son rôle : financer les études de ceux qui n’en ont pas forcément les moyens. Il s’agit d’aider des étudiants de milieux populaires à accéder aux meilleures écoles et universités et de les préparer à entrer dans le monde du travail via un prêt étudiant à taux zéro et sans garant, pouvant aller jusqu’à 45 000 euros sur deux à quatre ans d’études. Un modèle vertueux où les remboursements des uns permettent de financer les prêts des autres.
« Ma volonté d’aider les moins fortunés, de réparer l’injustice de la naissance et de contribuer un peu à changer le monde correspond à une vision que je porte en moi depuis mon adolescence », confie l’entrepreneur-philanthrope. Pourquoi alors ne s’être pas en­ga­gé en politique ? « Bonne question, il est évident que mon engagement a quelque chose de politique, concède-t-il, mais je pense être plus utile en agissant discrètement auprès de dirigeants à travers le monde auxquels j’ai la chance d’accéder. » Une heure a déjà passé. Il y a encore tant à dire. Alexandre Mars conclut l’entretien avec une citation, l’un de ces nombreux mantras qui égrainent les différents chapitres de son dernier livre : « L’important n’est pas ce qu’on a fait de moi, mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi. » C’est signé Sartre, le philosophe de l’existentialisme, courant qui prône l’engagement et l’action. Un mode de pensée qui prospère dans la constellation de Mars.

1974
Naissance à Boulogne-Billancourt.

1992
Création à 17 ans, alors qu’il est encore lycéen, d’une entreprise spécialisée dans le domaine de l’organisation de concerts.

2015
Nommé dans le Top 20 des philanthropes de moins de 40 ans par le New York Observer.

2018
Publie La Révolution du partage (éd. Flammarion).
Classé parmi les 50 Français les plus influents du monde par Vanity Fair.

2024
Publie Pause, pour une vie alignée, Fayard, 2024

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