AI and us : douze HEC parlent d’intelligence artificielle
Illustration : © Emmanuel Polanco / Colagene
L’intelligence artificielle s’implémente dans tous les domaines. Douze professeurs et diplômés d’HEC évoquent les évolutions qu’apporte cette nouvelle technologie.
Services publics
« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a de vrais innovateurs publics et les États ont pris conscience des enjeux du numérique. L’IA et la data constituent une aide précieuse à la décision. Dès 2011, la mairie de New York utilisait la data pour prioriser l’inspection des bâtiments dans le cadre de la prévention des incendies. En France, des travaux ont été menés sur l’accidentologie afin d’identifier et sécuriser les intersections de routes dangereuses, ou encore éviter les cambriolages en adaptant les itinéraires des patrouilles de police. Aujourd’hui, les collectivités et les États utilisent aussi l’IA générative. En France, on expérimente un algorithme qui permet aux agents publics de répondre plus vite et plus efficacement aux 16 millions de questions annuelles des usagers sur les aides sociales. Le Royaume-Uni a aussi annoncé le lancement d’un chatbot afin de répondre, entre autres, aux questions sur les démarches d’obtention d’un visa. Aujourd’hui, il serait intéressant que les services publics se saisissent, avec l’aide de l’IA, de l’enjeu de la traduction, car les procédures administratives d’un pays sont souvent complexes pour les étrangers qui y vivent et ne maîtrisent pas forcément la langue. »
Gouvernance
« La possibilité de collecter, stocker et analyser des données sur ses salariés ou ses clients est un important levier de croissance pour une entreprise. Et l’IA démultiplie aujourd’hui ce pouvoir. Mais ces technologies ouvrent aussi la porte aux abus. Au cours des dernières années, l’Union européenne a infligé plus de 1 400 amendes à des entreprises pour violation du règlement général sur la protection des données (RGPD). C’est pourquoi, dès qu’elles exploitent des bases de données sur les êtres humains, les entreprises devraient mettre en place de nouvelles exigences organisationnelles, et se doter d’un comité d’éthique numérique dont le rôle sera d’approuver, ou pas, tout nouveau projet concernant le traitement des données. Pour cela, il devrait prendre en compte cinq critères : la provenance des données, l’objectif pour lequel elles seront utilisées, la manière dont elles sont protégées, la manière dont la confidentialité des fournisseurs de données est garantie et la manière dont les données sont utilisées. »
Partenaires sociaux
« Subir l’IA ? Pas question ! La section syndicale CFDT à IBM dont je fais partie a créé un groupe de travail pour traiter de ce sujet et défendre les salariés à l’heure de l’IA. Notre travail consiste à assurer une veille juridique et technologique et à mener une réflexion collective sur les nouvelles formes de discrimination. J’ai participé au rendez-vous des juristes du Business and Legal Forum et à la journée sur l’IA de l’Anact (Agence nationale sur l’amélioration des conditions de travail).
Trop d’entreprises, obnubilées par les profits à court terme, se bornent à des propos lénifiants sur l’éthique sans prendre en compte les conséquences qu’auront l’introduction de l’IA sur les salariés. Face au plan social annoncé par IBM début 2024, j’ai lancé avec le comité d’entreprise européen et le cabinet Syndex une expertise pour limiter les dégâts causés par des licenciements précipités, notamment motivés par les gains de performance de l’intelligence artificielle. À terme, je compte également œuvrer pour que l’IA puisse accélérer et rendre plus prévisible les procédures prud’homales. »
Compétences
« J’ai créé une formation à l’intelligence artificielle dédiée aux femmes. En effet, elles ont tendance à s’autocensurer sur les sujets techniques. En France, 29 % des hommes ont déjà utilisé un logiciel d’intelligence artificielle, contre 16 % des femmes. Pourtant, de nouveaux outils et modèles d’IA sont publiés toutes les semaines : impossible de ne pas ressentir de FOMO (fear of missing out), ou la peur de manquer le coche. Et puisque l’adoption de l’IA est largement en train de se faire au sein des entreprises dans tous les métiers, services ou secteurs d’activité, il est indispensable de s’y former. Il peut cependant être difficile pour les travailleuses de trouver du temps dans leur quotidien pour se confronter à ces sujets et découvrir des nouveaux usages. Le programme, nommé Meimei, donne la possibilité de se former en parallèle de son activité, dans le cadre d’une formation courte de trois semaines. Il est aussi conçu pour être accessible sans prérequis technique. Les apprenantes reçoivent des cas pratiques tous les jours par e-mail, et participent chaque semaine à un live pour partager leurs expériences. »
Gestion
« L’intelligence artificielle transforme radicalement les métiers de la comptabilité des entreprises. En automatisant les tâches routinières comme la saisie de données et le traitement des factures, l’IA permet aux comptables de libérer du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée. Les systèmes d’IA avancés offrent la possibilité de générer un reporting en temps réel et des analyses prédictives, favorisant ainsi une prise de décision éclairée. Grâce à la capacité de l’IA à détecter immédiatement les anomalies et les fraudes potentielles, l’entreprise améliore également la gestion des risques et le contrôle de la conformité réglementaire.
L’IA offre par ailleurs des délais de traitement plus rapides, des conseils financiers personnalisés et des solutions de reporting sur mesure. Son intégration dans les pratiques comptables optimise l’efficacité opérationnelle, et permet aussi aux comptables d’offrir des services plus stratégiques. Pour rester compétitives et innovantes, les entreprises n’ont aujourd’hui pas d’autre choix que d’adopter cette technologie. L’intelligence artificielle ne remplace pas les comptables mais redéfinit leur rôle, en les transformant en stratèges financiers capables d’apporter une valeur ajoutée significative à l’entreprise. »
Ressources humaines
« Notre produit, Bluco, est une réponse aux processus de recrutement longs et complexes, surtout sur les métiers de terrain en tension. L’IA conversationnelle permet aux candidats de postuler directement sur WhatsApp, sans l’envoi de la traditionnelle lettre de motivation avec CV, mais en swipant sur un réseau social, en scannant un QR code sur une campagne marketing ou en cliquant sur le site de l’entreprise. Nous utilisons aussi l’IA pour évaluer et pré-qualifier automatiquement les candidats et intégrer leurs données directement dans les logiciels RH des entreprises. Une telle innovation simplifie et accélère le recrutement, puisque le recruteur peut, de manière conviviale, atteindre unplus grand nombre de candidats qualifiés en réduisant le temps nécessaire à la prise de contact et à l’embauche.Cette solution est déjà implémentée dans trois pays. À terme, nous espérons révolutionner le recrutementen Europe et étendre nos activités outre-Atlantique. »
Informatique
« Avec notre solution Corma, nous utilisons l’intelligence artificielle pour faciliter et centraliser la gestion des licences logicielles au sein des entreprises. En effet, les logiciels utilisés sans l’approbation des départements informatique représentent environ 40% de leurs dépenses. Notre outil analyse l’utilisation des licences en continu, détecte les anomalies et évalue les risques de sécurité, puis propose des actions correctives en temps réel. Concrètement, l’application permet aux responsables IT d’obtenir une vision précise de leurs licences et des dépenses associées, d’identifier les logiciels sous-utilisés ou non conformes, et d’agir directement depuis la plateforme. Dans notre cas, l’IA favorise une meilleure allocation des ressources et répond à des enjeux sécuritaires. À l’avenir, avec l’évolution rapide de l’IA, Corma pourrait aller plus loin en anticipant les besoins logiciels de l’entreprise et en optimisant son portefeuille d’abonnements. Grâce à cette automatisation de tâches clés, l’IT sera amené à jouer un rôle de plus en plus stratégique au sein des entreprises. »
Assistants
« Notre plateforme Double utilise l’IA pour mettre en relation des cadres et des assistants de direction expérimentés, à distance, pour une collaboration à temps partiel. Cela permet de déléguer la prise de rendez-vous, les notes de frais, la gestion de contacts, la saisie de données ou encore la réservation de voyages. On me demande souvent si l’IA pourrait un jour remplacer les assistants humains. Je ne pense pas, car le travail de l’assistant n’est pas seulement dans l’exécution des tâches, mais aussi dans la compréhension du contexte, la proactivité et la création de confiance. Cette intelligence émotionnelle, l’IA n’en est pas capable aujourd’hui. En revanche, nous avons la conviction que les assistants peuvent s’appuyer sur l’intelligence artificielle pour optimiser leurs tâches. Nous mettons à disposition de ces duos des technologies basées sur l’IA pour laisser à chacun le temps de se concentrer sur les tâches les plus importantes. Notre outil Mingo permet par exemple de clarifier et de résumer les attentes des managers, de rendre le travail plus efficace en générant et envoyant des alertes ou de regrouper les informations clés pour préparer un document. Il apprend en permanence les meilleures pratiques de délégation. »
Commerce
« Aujourd’hui, l’IA est intégrée dans toutes les étapes du processus de vente, à tel point que les experts parlent d’une “renaissance” de la vente, avec des commerciaux “augmentés”, déchargés des tâches routinières et à faible valeur ajoutée. D’ailleurs, Gartner prédit qu’à l’horizon 2028, l’IA accomplira 60% des tâches commerciales environ. À titre d’exemple, l’intelligence artificielle aide déjà à améliorer la qualification des prospects, prédire leurs comportements et personnaliser les messages qui leur sont destinés. Avant de contacter les prospects, le commercial peut disposer de dossiers synthétisant les informations les concernant avec des propositions d’approches créatives, le tout généré par une IA. Les prises de contact peuvent aussi être automatisées, tout en étant personnalisées, avec le concours de l’IA. L’intelligence artificielle peut aussi jouer un rôle important lors du face-à-face avec le client, grâce à une meilleure compréhension de son parcours et à l’analyse en temps réel des interactions avec le commercial. Après la vente, l’IA peut produire des analyses de la valeur à vie du client et établir des programmes de suivi. Mais comme avec tout équipement technologique, il est indispensable de corriger les erreurs, d’interpréter les résultats des analyses et de gérer les exceptions. »
Finance
« Les banques sont comme des coffre-fort intelligents : ils gardent notre argent en essayant de le faire fructifier tout en limitant les risques. Ces risques incluent les fraudes, les défaillances d’entreprises et les fluctuations économiques imprévues. L’intelligence artificielle est aujourd’hui utilisée par le secteur bancaire pour évaluer les risques de défaillance, réaliser des analyses prédictives de solvabilité, analyser des documents, détecter les fraudes et surveiller les événements qui pourraient affecter un client. Elle permet ainsi de gagner du temps et d’économiser des ressources. Imaginez un assistant surdoué, capable de prévoir les pires tempêtes économiques grâce à des algorithmes qui analysent en temps réel les flux de données bancaires. Avec l’IA, la banque gère plus efficacement les risques systémiques et environnementaux, tout en repérant les opportunités d’investissement. L’IA booste notamment la compétitivité des gestionnaires de capitaux et des acteurs de l’assurance en opérant un calcul des prix en temps réel. »
Santé
« Appelée T-Life, la technologie que nous développons en collaboration avec des professeurs de l’AP-HP et des chercheurs de l’Institut polytechnique de Paris permet un diagnostic précoce et un suivi simplifié des pathologies cancéreuses et infectieuses. Notre utilisation de l’IA rend possible une visualisation exhaustive des structures cellulaires. T-life bouleverse la microscopie diagnostique de la même manière que le télescope spatial James Webb, qui dévoile les mystères des objets lointains dans l’espace. Grâce à une modélisation de l’interaction lumière-matière et à des sources d’éclairage multiples positionnées avec précision, la solution crée des représentations 3D ultra-détaillées des cellules. L’IA, guidée par la physique, simplifie cette reconstruction complexe en permettant une classification cellulaire fine et différenciée, offrant ainsi un nouveau regard sur l’infiniment petit. La solution permet de suivre avec une efficacité remarquable l’évolution des pathologies et l’impact des traitements, permettant ainsi un meilleur suivi médical. »
Audio
« Notre start-up Quantum Squadra est spécialisée dans l’utilisation de l’intelligence artificielle pour générer des voix synthétiques ou clonées et traduire du contenu audio dans plus de soixante langues tout en reproduisant parfaitement sur la voix du locuteur d’origine. Cette technologie permet de créer du contenu audio personnalisé de manière rapide et économique. Notre offre de clonage vocal pour l’agence de publicité audio digitale Audion permet de diminuer les frais de studio, de post-production et d’enregistrement. Nous avons travaillé sur un système de clonage vocal conforme au RGPD, qui permet aux comédiens de recevoir une rémunération équitable pour l’utilisation de leur voix. Actuellement, nous collaborons avec un grand club de football européen pour produire un podcast utilisant des voix synthétiques destiné au marché asiatique. À l’avenir, nous pensons que notre technologie pourrait révolutionner l’industrie du doublage cinématographique. On pourrait même envisager de créer un livre audio d’Harry Potter avec les voix originales des acteurs du film. »
Propos recueillis par Marie Tourres, Lucie Guideau et Thomas Lestavel
Published by La rédaction