Ex-numéro 3 de Meta, Fidji Simo a pris les rênes d’Instacart en 2021. En quatre ans, elle a fait de cette start-up du secteur de la livraison alimentaire un empire de la tech côté au Nasdaq. Immersion à New York dans la journée d’une CEO française, tout ce qu’il y a de plus américaine. 

Du nord au sud, d’Upper East Side jusqu’au financial district en passant par Central Park, Soho ou Tribeca, les marcheurs battent le pavé le long de grandes avenues bordées de grattes ciels. Taxis jaunes et gros 4X4 laissent peu d’espace aux quelques audacieux qui s’y aventurent à vélo et trottinettes. C’est à Little Italy que Fidji Simo a choisi de poser ses valises. Avec son mari Rémy et Willow, leur fille de 9 ans, Fidji vit à Los Altos, près de San Francisco où Instacart a son siège. Mais elle sillonne les États-Unis, son pays d’adoption depuis 2017, pour rencontrer ses équipes.

Instacart est à l’origine une entreprise spécialisée dans la livraison de produits alimentaires, qui s’appuie sur un réseau de livreurs indépendants. Depuis 2012, elle était dirigée par son fondateur Apoorva Mehta, ancien ingénieur chez Amazon. Après près de dix ans de croissance et un boom durant le Covid, les résultats partent en chute libre. Le DG d’Instacart passe alors la main à Fidji Simo, transfuge de Méta. Sous sa direction, la société opère un redressement exceptionnel, qui lui permet d’entrer au Nasdaq en 2023. 

Aujourd’hui, Instacart propose, en plus de la livraison, des services de click and collect. L’entreprise a des bureaux à New York, San Francisco, Chicago et Toronto, au Canada, emploie 3 380 de personnes, compte 15 millions d’utilisateurs, 600 000 shoppers et collabore avec plus de 1 400 enseignes en Amérique du Nord, couvrant environ 85 % du marché américain de l’épicerie (hors alcool), ce qui représente plus de 85 000 magasins physiques. On embarque dans cette journée exaltée de la vie de Fidji qui mène de front plusieurs activités. 

9h30. From flex to office

23e rue et 6e avenue, à mi-chemin entre l’Empire State Building et Union Square, c’est au 9e étage d’un immeuble typiquement new-yorkais qu’Instacart a installé ses locaux. Immenses frigos remplis de boissons et lait végétal, fruits à volonté, café, thé, pots de Nutella – élément indétrônable des petits-déjeuners de Fidji depuis des années – et healthy breakfast… Ici, tout ou presque, rappelle les codes de la Silicon Valley.  

Silhouette sombre et élégante signée Dior, jonché sur des talons de 8 cm, Fidji entre. « Elle fait beaucoup de hugs », lance Lyndsey Grubbs, sa cheffe de la communication, la voyant serrer entre ses bras avec affection ses collaborateurs. Ce jour-là, le bureau est en pleine effervescence. Chefs de produits, data analystes, responsables utilisateurs, service marketing et ingénieurs logiciels : une foule d’employés âgés de 25 et 40 ans se pressent autour de leur boss. Aujourd’hui, exceptionnellement, personne n’est en télétravail, et certains membres de l’équipe sont venus de l’autre côté de la ville et même plus loin pour un hug de Fidji. 

11h00. Le speech 

« Merci d’être là, on va passer une bonne journée », lance Fidji Simo en s’installant à côté d’Heather Rivera, sa vice-présidente en charge des partenariats, sous les applaudissements de la centaine de collaborateurs. C’est parti pour une heure de speech, dans un anglais parfait, légèrement teinté d’accent français. La CEO partage sa vision de l’entreprise à la carotte (en référence à son logo) et sa stratégie pour l’avenir. « Nous voyons que beaucoup des graines que nous avons plantées commencent à porter leurs fruits », déclare-t-elle. La société a notamment déployé Store View, un outil permettant une gestion de stock plus fine, et Second Store Check, qui permet aux clients de vérifier la disponibilité des produits dans d’autres magasins si un article est en rupture de stock.

Depuis l’arrivée de Fidji Simo, l’application affiche des publicités. Mais c’est la question de l’intelligence artificielle qui retient le plus l’attention. Instacart envisage de déployer des outils d’IA pour améliorer non seulement l’efficacité des processus internes, mais aussi l’expérience des utilisateurs. Parmi les nouveautés lancées, l’une des plus significatives est l’introduction du planogramme personnel, une fonctionnalité qui utilise l’IA pour personnaliser l’expérience d’achat. La dirigeante qui siège au board du géant OpenAI depuis 2024 évoque la possibilité de développer un agent IA pour la famille, capable de gérer toute une série de tâches quotidiennes : « Il suffira de dire à votre machine : je veux mes courses livrées à tel moment, récupérer mon linge à tel autre, et l’agent ira le faire à votre place », explique-t-elle, séduite par ces nouvelles possibilités.

Instacart semble avoir adopté l’innovation comme moteur de croissance. En se diversifiant ses activités, l’entreprise se prépare à une nouvelle phase de croissance. « Si vous ne prenez pas suffisamment de risques, vous ne réussirez pas », conclut Fidji pour qui le « apprendre à oser » enseigné à HEC reste un mantra d’actualité, près de vingt ans après sa remise de diplôme. 

12h30. Lunch break 

Lasagnes végétariennes, chou kalé, salade de blé et poulet braisé composent le buffet dressé au fond de ce grand espace commun. Tout le monde se sert, Fidji s’assied à une table presque au hasard. « C’est vraiment sympa qu’elle prolonge l’entretien pour déjeuner avec nous », lance Patrick Roff, responsable de service interne. « Sa présence nous permet de tous nous retrouver de temps en temps. J’ai pu passer un moment avec l’équipe comptable ou communication, que je vois peu en présentiel », renchérit Amrit Malothra, qui travaille en stratégie finance. J’en profite de mon côté pour discuter avec Fidji, native de Sète, une jolie ville portuaire du sud de la France dont elle n’a pas perdu l’accent ! On parle de la France et de son goût pour l’artisanat et les belles choses. « C’est quelque chose qui manque énormément aux États-Unis, où la beauté n’est pas vraiment une valeur. L’efficacité en est une et la productivité aussi, tandis qu’en France, le beau est un but en soi et ça rend la vie plus agréable. J’essaye de comprendre comment combiner le meilleur des deux mondes dans ma vie et dans la manière dont j’élève ma fille. » Profitant des vacances de Pâques, sa fille et son mari l’accompagnent dans son périple new-yorkais. Une occasion de partager des moments « quality time » en famille.

Pour la dirigeante, la vie est une question d’équilibre et de transparence, ce que confirment plusieurs de ses collaborateurs. « Fidji nous invite toujours à mettre cartes sur table. Elle pense sincèrement que l’entreprise fonctionne mieux lorsque tout le monde comprend le contexte et la situation », souligne Lyndsey. Une sincérité dont elle fait preuve elle-même : « Fidji répond toujours à toutes les questions, ajoute Amrit. Elle est comme un livre ouvert pour nous, c’est génial qu’elle soit aussi franche. » 

13h30. Weekly zoom 

Qu’elle soit chez elle, où Fidji travaille la plupart du temps, à New York, comme aujourd’hui, ou n’importe où ailleurs, la CEO tient chaque lundi un comité de direction via Zoom. Il y est principalement question de stratégie autour de l’IA, et en particulier de la rapidité d’évolution de cette technologie, de son impact sur le travail et les emplois, mais aussi des possibilités de développement pour leurs activités. « Pour vous donner une idée, en une semaine, OpenAI a créé 400 millions d’images. TikTok est à un milliard de vidéos », souligne Fidji qui a adopté l’IA dans son quotidien, y compris chez elle. Elle raconte à son Codir, non sans humour, qu’elle a son propre agent “FidjiPT”, auquel elle s’adresse en reconnaissance vocale, si souvent que son mari se demande sans arrêt si c’est à lui qu’il s’adresse.

« La création devient plus facile, mais ce qui vous différencie dans cette mer infinie de contenu, c’est l’idée. Elle devient encore plus importante », précise Anirban Kundu, Chief Technology Officer, soulignant que les humains doivent encore jouer un rôle essentiel dans la curation et l’orientation des créations. À la fin de cette réunion menée tambour battant, Fidji rappelle à l’un d’eux leur déjeuner prévu dimanche prochain à Los Angeles. La semaine de travail est très malléable.  

15h00. Le caddie du futur 

Avec Fidji, on a toujours un temps d’avance. Sa dernière innovation s’appelle Caper Cart, c’est le caddie du futur, un nouveau joujou technologique que la dirigeante a placé dans l’escarcelle d’Instacart en 2021. Le principe est simple : ce système permet de faire ses courses sans passer à la caisse dans les supermarchés partenaires. Vous vous promenez dans les allées du magasin en poussant un caddie connecté orné d’une carotte (le fameux Caper Cart) Tout ce qui est placé dedans est scanné. Une fois vos courses terminées, vous payez via l’écran intégré au chariot, recevez la facture par texto ou par mail et vous partez. Résultat des courses : un shopping plus rapide pour l’acheteur et plus fourni pour le vendeur : « les principaux détaillants constatent des augmentations à deux chiffres du pourcentage de la taille des paniers », précise Fidji, fière de son acquisition.

Pour les petits filous qui seraient tentés de placer dans leur caddie un produit en évitant le scanner, les lumières sur les côtés de l’appareil passent de vert à rouge… de quoi en dissuader plus d’un. Vous avez aussi la possibilité d’utiliser des coupons de réduction et l’écran propose, pendant votre parcours, une publicité personnalisée, basée sur votre localisation et contextuelle en temps réel. « Nous ne pouvions pas nous contenter de faire de l’épicerie en ligne, les détaillants se fichent de savoir si les clients achètent en ligne ou en magasin. Ils veulent une expérience omnicanale et un partenaire technologique. C’était le maillon manquant. Aujourd’hui, les chariots Caper sont présents dans 60 villes d’Amérique du Nord et font leurs premiers pas chez Aldi en Autriche et Coles en Australie », détaille Fidji qui a engagé des pourparlers avec Grand Frais et Carrefour en France. 

18h00. La ville qui ne dort jamais 

C’est la fin d’après-midi, on distingue un ciel de traîne. Fidji, qui est plutôt du soir, entre dans sa voiture avec chauffeur accompagnée de son mari et de sa fille, direction la Villa Albertine, au milieu de la 5e avenue, face à Central Park. Ils sont attendus par Mohamed Bouabdallah, conseiller culturel de l’ambassade de France et directeur de la Villa Albertine pour une visite privée de ce temple de la littérature française et anglaise qui compte plus de 14 000 titres contemporains et classiques provenant de 30 pays. Dans cet hôtel particulier style Renaissance italienne, conçu au début du XXe siècle, Fidji est accueillie comme une reine – ou comme la mécène qu’elle est. En effet, l’entrepreneure franco-américaine est à l’origine du programme de résidences artistiques Arts in the Age of AI, annoncé en février 2025, par Rachida Dati, lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle à Paris. Il soutient huit artistes ou professionnels de la culture intégrant l’intelligence artificielle dans leur travail. Les résidents bénéficient d’un accompagnement artistique et professionnel individualisé, en lien avec des entreprises technologiques, des universités, des centres de recherche et des institutions culturelles aux États-Unis. Tous les trois déambulent dans ce haut-lieu d’amitié entre les deux pays, fermé au public ce jour-là. 

19h00. Dîner au consulat 

Mohamed Bouabdallah et Fidji se rendent ensuite à pied jusqu’au consulat français, cinq blocks plus loin, pour un dîner typiquement français, en compagnie de Cédrik Fouriscot, le consul général de France à New York et d’autres diplomates français. Ces hommes en costume cravate, habitués à recevoir de grands dirigeants, questionne la jeune femme au look atypique sur la trajectoire qui l’a menée de Sète aux cimes du business américain. Guindé mais chaleureux, le dîner bat son plein et les convives discutent de l’impact de l’IA sur différents secteurs, avant de donner leur vision du paysage macroéconomique mondial. Généreuse, Fidji Simo accepte en fin de dîner de parrainer un boursier qui fait partie d’un nouveau programme destiné à attirer des étudiants américains en France et à créer un réseau de futurs acteurs de l’amitié franco-américaine

21h00. Activités nocturnes 

Retour à l’hôtel, où la femme d’affaires reprend son rôle d’épouse et de mère de famille. Comme chaque soir, elle lit une histoire à sa fille avant de la coucher. Une fois Willow endormie, elle retourne travailler, souvent jusqu’à une heure du matin. Ce jour-là, ses activités sont consacrées au Metrodora Institue. Ce centre de recherche, qu’elle a cofondé en 2021, est spécialisé dans le traitement des maladies neuro-immunitaires complexes, comme l’endométriose, le syndrome de tachycardie orthostatique posturale (POTS), la fibromyalgie, la myalgie éosinophile (ME/CFS) et le Covid long. Fidji Simo a fondé Metrodora en raison de ses propres difficultés à obtenir des soins appropriés pour ses problèmes de santé personnels, notamment l’endométriose et le POTS. 

Elle a investi personnellement dans le projet, soutenu par un fonds de capital-risque. « Nous nous concentrons sur les maladies un peu mystérieuses où les femmes se dégradent de la tête aux pieds sans que personne ne comprenne ce qui se passe, explique-elle. Grâce aux collectes de données et à l’IA, nous avons publié une étude qui prédit la probabilité de développer le Covid long. » Car l’intelligence artificielle sera aussi un accélérateur prodigieux dans le domaine la médecine. 

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