24 heures avec Clément Schwebig (H.01)
Après avoir vécu sept ans à Hongkong où il travaillait pour Time Warner, Clément Schwebig (H.01) a rejoint Singapour en 2019. Trois ans plus tard, avec la fusion de Warner Media et de Discovery, il devient président de Warner Bros. Discovery pour l’Asie.
Évoquer le nom de Warner Bros. suffit à convoquer une multitude de souvenirs d’enfance. Un chat qui poursuit inlassablement une souris, un lapin qui boulotte une carotte en s’enquérant d’un « Quoi de neuf, docteur ? » ou un canard au plumage noir et à la voix zézayante… « That’s all, folks ? » Pas exactement, parce que la Warner Bros., créée il y a tout juste un siècle, le 4 avril 1923 exactement, n’a eu de cesse de s’agrandir au fil des décennies. Aujourd’hui, l’univers de DC Comics, de Wonder Woman à Superman, celui de HBO avec le mythique Game of Thrones ou la récente adaptation du jeu vidéo The Last of Us, et le monde des sorciers de Harry Potter, avec la série de films inspirés des best-sellers de J. K. Rowling, sont quelques-unes des facettes les plus saillantes des productions du groupe. À la tête de ces mondes imaginaires, Clément Schwebig (H.01) est chargé de faire vivre, connaître et grandir les créations de Warner Bros. Discovery sur le continent asiatique. Un avenir qui vaut bien qu’on se lève tôt.
5 h 30, du temps pour soi et sa famille
Matinal, Clément débute sa journée en lisant. C’est sa façon de se vider la tête avant un programme souvent chargé en appels et en réunions. Il aime les ouvrages sur l’alpinisme et collectionne les livres anciens d’aventuriers comme Joseph Kessel ou Henry de Montfreid. Une littérature qui, sans doute, l’a inspiré dans ses choix de carrière. « Le hasard et les opportunités ont fait que je n’ai jamais travaillé en France. Avant de m’installer en Asie, j’ai vécu en Grèce et en Croatie. Cela ne vient pas d’une envie de fuir mon pays natal, mais l’idée de découvrir des cultures différentes me plaît beaucoup. » Sa lecture terminée, Clément sort faire un jogging dans les jardins botaniques de Singapour, avant de revenir prendre le petit-déjeuner en famille. À l’image de son grand-père et de son père, il est un ancien élève d’HEC. Idem pour son épouse franco-américaine, Marie-Diane Meissirel (H.03). « Mais aucune pression pour mes deux enfants ! », assure-t-il avec humour. Son fils, âgé de 14 ans, est récemment parti pour le sud de la France où il s’entraîne dans une académie afin de devenir joueur de tennis professionnel. Sa fille, 13 ans, restée à Singapour, pratique l’équitation et parle couramment chinois. Alors que ses enfants sont passionnés de sport, sa femme travaille dans le monde de l’édition et est aujourd’hui une romancière accomplie. S’inspirant des lieux où la famille a vécu, son dernier livre, Les Accords silencieux (éditions Les Escales), retrace le parcours d’un piano durant un siècle, depuis l’usine Steinway de New York en 1914 jusqu’aux mains de ses différents propriétaires à Shanghai, Bombay et Hongkong. Un livre qui célèbre l’universalité de la musique classique. Visiblement fier de sa famille, Clément soutient avec enthousiasme les projets et les passions de ses proches. Une attitude qu’il adopte également au travail, où il s’attache à créer pour les équipes un environnement propice à la créativité.
9 h 30, arrivée au bureau
Au cœur du parc d’activités Fusionopolis de Singapour, les bureaux occupent deux étages d’un bâtiment futuriste. Le siège de l’entreprise, aménagé avec soin et richement décoré, met à l’honneur les héros et les décors des franchises de la marque. Sa journée de travail débute par une tournée des bureaux. Il salue chacun et se nourrit de l’énergie de son équipe. « Je veux faire de cet endroit un environnement collaboratif. C’est essentiel car dans nos métiers, on ne peut pas travailler en silo », explique-t-il, précisant que chaque élément de contenu sera présenté sur une chaîne de télévision, dans une offre de streaming HBO ou dans une salle de cinéma. « Nous sommes très attentifs à la performance et aux résultats. C’est un secteur exigeant. Mais nous ne devons jamais oublier de nous amuser. » Le divertissement est à la base de toutes les créations estampillées Warner Bros., et c’est aussi ce qui fédère les équipes. Plus de 1 000 personnes, de 18 nationalités différentes, réparties dans 11 bureaux sur 8 marchés asiatiques, dont Taipei, Mumbai, Jakarta et Séoul, œuvrent pour faire vivre et rayonner les marques et les fictions de Warner Bros., HBO et Discovery. « C’est ce qui réunit l’équipe. Pas une seule personne, quelle que soit son origine, n’est là par hasard. »
9 h 45, le temple du merchandising
Pour illustrer son propos, le président nous entraîne dans une pièce adjacente. La salle est entièrement décorée de produits dérivés. Sur une étagère en verre, contre un mur, est disposée une malle miniature, marron patiné, estampillée Poudlard, et contenant quatre montres Harry Potter. Sur une autre, des figurines de Batman et du Joker se font face. Un environnement à la fois ludique et geek où un simple jouet prend une dimension sacramentelle, une valeur iconique inattendue. Dans cet univers, les icônes ne manquent pas. « Ce sont ces histoires et ces personnages de fiction qui font la valeur de notre marque », résume-t-il, en évoquant les différents parcs à thème et produits dérivés que lui et son équipe ont développé à travers l’Asie. Ici, la matière première, c’est l’imaginaire. « Il faut que vous voyiez aussi la cantine de l’entreprise : elle est décorée comme un studio de cinéma », ajoute-t-il avec fierté.
10 h, rencontre avec l’équipe de production
Clément participe à la première réunion de la journée avec l’équipe chargée de créer une adaptation de Tom et Jerry pour le marché local. Quatre-vingts ans que les deux héros de cartoon jouent inlassablement au chat et à la souris, mais c’est la première fois qu’un story-board est créé en Asie pour le turbulent duo. Après examen des gags et du rythme, Clément aborde des questions plus pragmatiques afin de déterminer la date de sortie et le montant du budget. Adapter Tom et Jerry pour le marché asiatique semble lui tenir à cœur. « Nous devons absolument enrichir notre offre avec du contenu local, conçu spécifiquement pour notre public. C’est aussi pourquoi nous avons créé la marque HBO Asia Originals, afin de produire des séries en Thaïlande, en Indonésie et dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est. L’année dernière, l’une de nos séries, On the Job, a été nommée aux International Emmy Awards, qui récompensent les meilleurs programmes de la télévision. Ce thriller suit l’histoire de prisonniers libérés par un syndicat du crime pour commettre des assassinats politiques. C’est toujours fascinant de voir de nouvelles histoires prendre forme et des talents émerger », s’enthousiasme Clément Schwebig.
11 h, lancement du « Bachelor »
Réunion suivante. Clément passe en revue le plan de communication pour le lancement en Indonésie de l’émission de téléréalité « The Bachelor ». Les représentants des équipes marketing et production participent à la discussion. « C’est un lancement important et nous espérons susciter l’engagement du public », explique le dirigeant, précisant que l’émission sera diffusée sur la plateforme de streaming de HBO, lancée il y a quelques années. Les équipes de marketing et de community managers sont sur le pied de guerre pour lancer une campagne de communication d’envergure et assurer le succès de l’émission. La mission n’est pas si simple : établir une stratégie qui s’adresse à un pays de plus de 280 millions d’habitants et à un public hétéroclite. « La réussite d’une émission dépend de sa qualité, mais aussi de sa visibilité auprès du public. Vous pouvez avoir le meilleur programme, mais si personne ne sait qu’il existe, le succès ne sera pas au rendez-vous. »
12 h 30, déjeuner d’affaire
Fraîchement nommé président d’honneur de l’édition 2023 des Asian Academy Awards, Clément profite du déjeuner pour s’entretenir avec le directeur de l’académie Michael McKay. Alter ego des Oscars hollywoodiens, les Asian Academy Awards récompensent chaque année, en décembre, les plus grandes réussites audiovisuelles du continent asiatique. Durant le repas, les deux hommes évoquent le processus de sélection et les différentes catégories. Pour mieux tenir compte de la diversité des productions et des marchés de cette vaste région, ils réfléchissent à un système qui permette à chaque pays d’être représenté.
14 h, un projet d’exposition
Après le déjeuner, Clément s’entretient avec des partenaires au sujet d’un projet événementiel sur le thème de Harry Potter. L’objectif est de mettre au point une exposition itinérante qui offre aux fans la possibilité de revoir les moments forts des films, de participer à des jeux interactifs, d’évoluer dans des décors inspirés de Poudlard sur une surface de 600 m2. C’est presque un parc à thème. « On pourrait imaginer une expérience immersive qui permet d’entrer dans le monde des sorciers et d’interagir via des éléments physiques ou numériques. » Ce pourrait être un bel événement mais, pour l’instant, l’exposition reste au stade de simple projet, il faudra encore plusieurs réunions avant d’envisager sa réalisation.
15 h, projection
Outre une cantine-studio de cinéma, une statue de Wonder Woman dans le lobby ou des mausolées de figurines et produits dérivés disséminés, le siège social de Warner, à Singapour, abrite une salle de projection où le personnel peut visionner les productions Warner Bros. en avant-première. Aujourd’hui, les équipes de distribution et de marketing doivent assister à la projection de The Sent of Time, une série originale chinoise que l’équipe de Clément a produite sur place. Le pitch ? Hua Qian, une mère de famille mystérieusement transportée à travers le temps se retrouve non seulement dans le monde de son roman préféré mais aussi dans le rôle d’un personnage qui répare ses erreurs passées. Assister à une projection ensemble est le meilleur moyen pour les équipes de se faire une idée du potentiel d’un nouveau programme et de l’aider à trouver son public, en le faisant connaître dans les bons canaux de communication.
15 h 30, appel avec l’Association des médias en Asie
En tant que président de l’Association des médias en Asie, Clément est en contact régulier avec les autres membres du comité, afin d’examiner les projets autour de la lutte contre le piratage ou les initiatives en faveur de la transition énergétique. L’impact climatique du secteur des médias est une question à laquelle il est très sensible, notamment depuis qu’il a lu Ouvrir une voie d’Emmanuel Faber (H.86), paru aux éditions Paulsen. Dans cet ouvrage publié l’an dernier, l’ex-PDG de Danone exhorte chacun à assumer sa responsabilité dans la préservation des ressources. Pour l’instant, le secteur est en train de mener des études pour mesurer avec précision son impact environnemental et met en place plusieurs actions concrètes pour le traitement des déchets sur les lieux de tournage. L’association contribue en outre à rédiger un Livre blanc pour l’industrie des médias en Asie. Selon Clément, la durabilité est une priorité qui doit engager l’ensemble des équipes de son groupe, mais aussi les autres acteurs qui siègent dans l’association.
16 h, AG et danse du lion
Aujourd’hui a lieu l’assemblée générale trimestrielle. Elle est l’occasion de communiquer les résultats de l’entreprise à l’ensemble des collaborateurs. « Il faut que chacun puisse s’approprier et comprendre la stratégie du groupe », précise-t-il. Clément Schwebig en profite pour faire part des priorités pour l’année à venir, car c’est un jour un peu spécial, et à la traditionnelle communication sur les performances financières se mêle un autre événement tout aussi traditionnel : la célébration du nouvel an lunaire. Pour ce faire, des acrobates ont revêtu un costume de dragon et réalisent, dans les locaux de l’entreprise, un spectacle censé apporter chance et fortune. Une « danse du lion » festive et ancestrale conclut l’après-midi avec panache.
20 h, débrief hebdomadaire
Après un dîner en famille, Clément rejoint son bureau pour un appel avec le directeur financier mondial et ses collègues présidents des autres régions du monde. Ces réunions hebdomadaires sont l’occasion d’évoquer les plans et projets de chaque filiale. Pour sa part, il discute des investissements potentiels dans des séries coréennes et d’un nouveau partenariat en Inde. La discussion dure environ deux heures. La journée aura été longue. Clément se félicite que son travail soit aussi une passion. Cela fait plus de vingt ans qu’il évolue dans le secteur des médias, et il a de grandes ambitions pour Warner Bros. Discovery dans cette partie du monde. « J’espère créer un environnement innovant et entrepreneurial, dans lequel nos salariés puissent s’épanouir et imaginer de nouvelles choses. Je veux donner plus d’envergure à notre patrimoine de créations, en l’adaptant au marché local avec des contenus de qualité venant d’Asie. C’est ainsi que nous pourrons fidéliser notre public. » Il marque une pause et sourit : « Je me suis un peu emporté, là, non ?
Published by La rédaction