La réponse d’Alvaro Montenegro (MBA.83)

le Venezuela court à la catastrophe. 3600 sociétés environ, soit 10% des entreprises du pays, y ont fait faillite en 2018 ! Il y a quelques années, nous étions encore la cinquième économie d’Amérique latine. À présent, notre PIB est comparable à celui du Salvador. Un pays de 6 millions d’habitants, cinq fois moins peuplé que le nôtre. La situation sociale est dramatique. Près de 90% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. La Constitution impose que tout endettement public auprès d’investisseurs étrangers soit validé par l’Assemblée nationale. Or l’opposition, qui considère que le gouvernement ne présente pas de programme économique clair, bloque toutes les demandes d’emprunts. La Banque mondiale, le FMI et la Banque interaméricaine de développement rechignent donc à financer un plan de relance. Ils ignorent si la dette contractée par l’État sera considérée comme légale.

On assiste à un effondrement de la productivité du pays. Le Venezuela souffre aujourd’hui de pénuries multiples, et les prix flambent comme si nous étions en période de guerre. Ils doublent, voire triplent, d’un mois sur l’autre ! Le coût des biens intermédiaires achetés par les entreprises augmente, freinant la production, et les importations sont devenues hors de prix, car la monnaie se déprécie. Les entreprises de services, moins dépendantes de leurs achats intermédiaires, ne pâtissent pas aussi directement de cette hausse des coûts. Mais elles sont contraintes, elles aussi, d’augmenter constamment leurs prix pour rester à l’équilibre dans un contexte inflationniste.

C’est le meilleur économiste du Venezuela qui le dit : face à l’hyperinflation, la première réaction est d’augmenter les prix tous les mois dans la même proportion que l’inflation. Chez El Universal, le journal le plus ancien du pays, pour lequel je travaille, nous revoyons le tarif du numéro à la hausse chaque semaine ! C’est la seule façon de survivre – sans cela, la société devrait rapidement déposer le bilan… D’autant qu’en cinq ans, les recettes publicitaires annuelles, tous médias confondus, sont passées de 500 millions à 1 million de dollars.

Paradoxalement, la période actuelle offre aussi aux entreprises une opportunité: celle d’emprunter à peu de frais. En effet, les taux d’intérêt annuels ne sont que de 39%, alors que l’inflation avoisine les 30 000 %! En valeur réelle, on rembourse donc beaucoup moins que ce que l’on emprunte. Des entrepreneurs astucieux en profitent pour investir à tour de bras, notamment dans l’hôtellerie (le secteur du tourisme bénéficiant d’un taux d’emprunt préférentiel de 8% par an). Mais les entreprises sont toutes contraintes de s’endetter, si elles veulent continuer de payer correctement leurs salariés et éviter qu’ils ne partent en Colombie, au Pérou ou au Chili. Plus de 4 millions de personnes ont déjà quitté le pays.

Pour fidéliser les collaborateurs, une partie de leur rémunération est souvent versée en dollars, car le bolivar ne vaut plus rien. Reste que les banques ne disposent pas d’une capacité de financement illimitée. La loi leur impose de détenir en fonds propres 60% des actifs de leurs clients. Ce qui réduit fortement leur marge de manoeuvre. Je pense que pour sortir le pays de la crise actuelle, la seule solution serait que l’État rétablisse la convertibilité du bolivar en dollar.

Alvaro Montenegro (MBA.83) a suivi des études d’ingénieur à Caracas et a d’abord travaillé chez General Motors, dans son pays d’origine, avant de passer un MBA en France, à HEC Paris. Après une carrière dans le tourisme vénézuélien, il a rejoint le monde de la presse. Il est aujourd’hui journaliste et vice-président exécutif du journal El Universal, le quotidien de référence au Venezuela.

Published by