Abstract

Depuis quelques années, les taux d’intérêt sont historiquement bas, c’est même inédit dans notre histoire. Mes recherches tentent de comprendre les implications financières de ce phénomène et de déterminer s’il tend à fragiliser le système bancaire ou au contraire à le renforcer. Cette étude s’intéresse également aux conséquences des taux bas sur la durée, et tente de comprendre comment cette constance peut être problématique. Un deuxième aspect de mes travaux s’attache aux implications des variations de taux d’intérêt, pas seulement pour les banques, mais pour l’ensemble de l’économie européenne, avec d’importantes disparités entre les pays. Qui va supporter le risque des taux bas, à qui cela bénéficie et à qui cela peut nuire ? Par exemple, si la Banque centrale européenne remonte ses taux, les banques allemandes et françaises, qui pratiquent des prêts à taux fixes, seront plus exposées.Preview of Financial Studies, 2019, vol. 32, n° 8, août 2019.

3 questions à Guillaume Vuillemey, professeur associé à HEC

Quelles sont les conclusions de vos travaux sur les taux des banques en Europe ?

Mes recherches montrent qu’il existe deux groupes de pays en Europe. Certains où les banques pratiquent quasiment toutes des prêts à taux fixe. C’est le cas en France. Quelqu’un qui emprunte à taux très bas sur vingt ans ne verra pas son taux d’intérêt changer. Et d’autres pays, comme l’Italie, l’Espagne ou la Suède, qui pratiquent des taux variables. Si le taux directeur de la BCE remonte, les banques qui ont prêté à taux fixes comme la France ne vont pas être ravies… Car si les taux bas leur permettent d’attirer beaucoup de clients, elles sont ensuite coincées pendant vingt ans. Les banques italiennes ou espagnoles, elles, pourront réévaluer les taux d’intérêt des prêts dès que la BCE relèvera son taux directeur.

Dans un article que vous avez rédigé dans Revue Banque, en juin dernier, vous parlez de la très longue durée des taux bas. Comment font les banques pour se prémunir contre ce risque ?

La durée des taux bas est en effet le risque principal pour les banques. Auparavant, à chaque crise financière, les banques centrales baissaient leurs taux pendant quelques trimestres pour relancer l’économie. Mais depuis 2008, ce qui était une politique ponctuelle liée à la conjoncture est devenu une constante. C’est complètement inédit… Et cela présente un risque nouveau que les banques doivent anticiper. Le principal outil qu’elles utilisent pour se protéger est de facturer davantage de frais à leurs clients. C’est une manière de remplacer les revenus d’intérêts par d’autres sources de profits, puisqu’un scénario de hausse des taux n’est pas du tout d’actualité.

Comment s’expliquent les disparités dans les types de taux constatés dans les pays occidentaux ?

Le comportement des banques semble lié à l’histoire. Dans les pays qui ont connu des périodes de forte inflation par le passé, comme l’Italie, les banques ont tendance à préférer les taux variables : s’engager sur un taux fixe pour plusieurs décennies leur paraît beaucoup trop risqué ! Il existe aussi, dans certains pays, des raisons de protection des consommateurs. Aux États-Unis, par exemple, les prêts à taux variables étaient interdits par la loi jusque dans les années 1980, car on considérait que c’était trop compliqué pour certains ménages de comprendre comment l’intérêt pouvait être réévalué tous les mois ou tous les ans. C’est une question passionnante, qui mérite d’être exploitée, car aujourd’hui il n’existe pas de réponse unique…

Guillaume Vuillemey est professeur associé de finance à HEC Paris. Ses recherches portent sur l’économie bancaire, la gestion des risques, le financement des banques et l’histoire financière. Il a reçu en 2016 le prix du Meilleur Jeune Chercheur en finance décerné par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

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