1. Il est impossible de nourrir toute la planète avec une agriculture bio.

Stéphane Linou, conseiller municipal de Castelnaudary, pionnier du mouvement Locavore en France et auteur du livre-enquête Résilience alimentaire et sécurité nationale.

FAUX, MAIS… Sans entrer dans un débat sur les techniques agricoles, ce sont nos habitudes de consommation et le gaspillage alimentaire qui sont au centre de cette question. Aujourd’hui, plus de 40 % des denrées sont jetées, et notre surproduction de viande contraint à cultiver des tonnes de céréales destinées à l’élevage. Deux autres phénomènes limitent les surfaces disponibles pour l’agriculture : l’étalement urbain et les agro-carburants (manger ou conduire, il va falloir choisir !). Jusqu’à présent, nous avons répondu aux besoins grâce à une agriculture intensive, qui est à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre, de pollution des eaux et des terrains, ainsi que du déclin de la biodiversité. La régénération des sols est donc un préalable. Et avant d’affirmer que le bio ne peut pas nourrir son monde, il faudrait comparer les rendements des types de culture, bio et conventionnel, dans des conditions climatiques dégradées. Il viendra un temps où organiser et financer la transition vers une agriculture biologique deviendra une nécessité et où il faudra changer nos modes de consommation. La sécurité alimentaire relève aussi d’une priorité stratégique – et, en la matière, le ver de terre est sans doute le meilleur allié du militaire !

2. La voiture électrique va sauver la planète.

Julien Dossier (H.95), fondateur de Quattrolibri, cabinet de conseil spécialisé dans la transition écologique, et auteur de Renaissance écologique, 24 chantiers pour le monde de demain,aux éditions Actes Sud.

FAUX – Une voiture électrique n’émet pas de CO2 quand on la conduit. Mais produire l’électricité nécessaire pour la recharger dégage des gaz à effets de serre. Ces émissions sont faibles avec le solaire ou les ENR, modérées avec le nucléaire, fortes avec le gaz et très élevées avec le charbon… De plus, la production des véhicules électriques est très polluante : il faut parcourir environ 120 000 km pour amortir son impact écologique.La priorité est d’alléger les véhicules, réduire leur puissance, prolonger leur durée de vie… et augmenter leur taux d’occupation. Aujourd’hui, le taux d’occupation des voitures est historiquement bas (1,2 en moyenne !) et 50 % de nos déplacements font moins de 5 kilomètres. Le covoiturage, et le choix de la marche à pied ou du vélo sur des courtes distances, seront bien plus efficaces pour le climat que l’électrification du parc automobile… Et, pour les longs trajets, la voiture électrique s’appelle un TGV. Commençons par réaménager le territoire, en relançant le commerce de proximité, en développant les pistes cyclables, les lignes de TER et Intercités, les zones de covoiturage et services d’auto-partage. Quand on aura fait tout ça, on pourra se préoccuper de remplacer les moteurs thermiques par des moteurs électriques.

3. Les énergies renouvelables (ENR) sont plus chères à produire.

Benjamin Thibault (H.04), directeur France de Fortum, fournisseur d’énergie finlandais.

FAUX – On lit encore, quoique de moins en moins souvent, que les énergies renouvelables produisent une électricité plus chère que le nucléaire ou les énergies fossiles. Lorsqu’on compare ces coûts de production, il faut être précis, et s’assurer que l’on compare des éléments de même nature. Un biais fréquent est d’utiliser des chiffres datant de plusieurs années, ou de comparer des coûts de production de centrales anciennes (donc économiquement amorties) aux coûts de nouvelles centrales. En vérité, grâce aux avancées technologiques du secteur, le coût des ENR a chuté à une vitesse prodigieuse. Si bien qu’aujourd’hui, pour des nouvelles installations, où que l’on soit dans le monde, aucune production électrique n’est plus compétitive que l’éolien ou le solaire. Des records sont battus chaque jour par les ENR : EDF a gagné l’appel d’offres éolien offshore de Dunkerque à 44 €/MWh, Akuo a proposé un projet de 150 MW au Portugal à 14,70 €/MWh, Total et Marubeni vont construire un projet de 800 MW au Qatar au prix de 12,30 €/MWh… À titre de comparaison, avec Hinkley Point C, la centrale nucléaire EPR actuellement en construction au Royaume-Uni, EDF a obtenu un prix d’achat d’environ 100 €/MWh, (92.5 GBP). Pour l’EPR de Flamanville, compte tenu de l’explosion du budget (19 milliards d’euros contre 3,5 prévus initialement), la Cour des comptes estime le coût de production entre 110 et 120 €/MWh. C’est quasiment dix fois le prix de l’électricité éolienne ou solaire. Aujourd’hui, les énergies renouvelables sont indéniablement les sources de production électrique les moins chères au monde.

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4. On ne pourra pas atteindre la neutralité carbone sans le nucléaire en France à l’horizon 2050.

Myrto Tripathi (H.03), présidente et fondatrice de l’association Les Voix du nucléaire.

VRAI – Le nucléaire est l’énergie la moins émettrice de CO2 en France, c’est l’Ademe qui le dit. L’éolien et le solaire en rejettent peu eux aussi, mais leur infrastructure nécessite une grande consommation de ressources. Davantage que le nucléaire, même si l’on intègre l’extraction d’uranium, la maintenance des centrales, la gestion des déchets, etc. De plus, l’éolien et le solaire ont besoin de back-up pour les périodes où il n’y a ni vent ni soleil. En ce moment, comme l’activité des centrales nucléaires est réduite et qu’il y a un anticyclone sur l’Europe, on est obligé de faire tourner des centrales au charbon ! L’hydraulique est une bonne solution, mais sa capacité est limitée par la géographie. Notre seule option bas carbone qui soit à la hauteur des besoins du pays, c’est donc le nucléaire. Diminuer les besoins énergétiques est aussi une piste, mais voyons les choses en face : les émissions de CO2 auront baissé de 5 à 7 % seulement sur l’année à cause du confinement, alors même qu’une grande partie de l’activité économique était à l’arrêt. Il est irréaliste de tabler sur une baisse drastique à courte échéance. En fait, si nous étions rationnels, nous arrêterions de nous focaliser sur notre électricité qui est à 95 % décarbonée en France et ne représente que 25 % de la consommation énergétique totale. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, concentrons-nous sur sur le transport, le chauffage, l’industrie, l’agriculture… qui reposent majoritairement sur des énergies polluantes. On spécule sur les risques futurs et hypothétiques liés aux déchets nucléaires et on ne s’occupe pas assez des conséquences réelles et immédiates du recours encore massif aux énergies fossiles (la pollution de l’air cause en France 67 000 morts par an).

5. Le numérique lutte contre le changement climatique en réduisant la consommation d’énergie.

Jean Carassus (H.70), professeur de l’École nationale des Ponts et Chaussées, auteur de Le Choc, révolution industrielle, biosphère et société, aux éditions de l’Aube.

FAUX – Le numérique peut en effet contribuer à une meilleure maîtrise de la consommation de l’énergie dans de nombreux secteurs ( bâtiment, transports, industrie…) et il peut être utilisé pour mieux exploiter les énergies renouvelables. Mais cette technologie elle-même consomme beaucoup d’électricité. Or cette électricité est le plus souvent d’origine fossile. Les géants du numérique chinois (Alibaba, Baidu, Tencent…) recourent à une électricité aux deux tiers d’origine charbonnière. Les grandes entreprises du numérique américain ont installé leurs serveurs en Virginie (une des plus grosses concentrations de data centers de la planète), où le principal fournisseur produit 60 % de son électricité à partir de charbon et de gaz, la part du nucléaire étant d’un tiers et celle du renouvelable de 4 %. Dans cet État, Amazon Web Services fonctionne avec seulement 12 % de renouvelable, tandis que cette proportion est de 34 % pour Microsoft, 37 % pour Facebook. Les data centers d’Apple font exception en utilisant une électricité intégralement d’origine renouvelable. D’autre part, même si ce n’est pas lié directement au problème climatique, les équipements numériques utilisent de nombreux matériaux peu recyclables, dont des métaux rares. Un smartphone contient une soixantaine de métaux différents.

6. La transition écologique va détruire des millions d’emplois.

Jean Carassus (H.70), professeur de l’École nationale des Ponts et Chaussées, auteur de Le Choc, révolution industrielle, biosphère et société, aux éditions de l’Aube.

NI VRAI NI FAUX – La transition écologique est le passage d’une économie carbonée à une économie décarbonée. Une transition qui devrait s’opérer au XXIe siècle dans le cadre de la 3e révolution industrielle, dite révolution digitale. Pour l’économiste Joseph Schumpeter, le moteur du capitalisme est l’innovation et son mode de fonctionnement, la « destruction créatrice ». Toute révolution industrielle repose donc sur une accélération de l’innovation et de la destruction créatrice, notamment d’emplois. Si nous mettons cette 3e révolution industrielle au service de la décarbonation de l’économie, des millions d’emplois vont être détruits dans l’automobile thermique, l’aviation ou les énergies fossiles, et des millions d’emplois vont être créés dans les énergies renouvelables, l’automobile électrique, les transports collectifs, la rénovation des bâtiments, etc. Difficile de prédire si le solde sera positif ou non. Le grand enjeu de ce mouvement, c’est une formation professionnelle massive et innovante pour accompagner ce changement. Comme le souligne l’économiste indien Armatya Sen, les inégalités les plus importantes ne sont pas celles des revenus et des patrimoines, mais celles des « capacités », en particulier la capacité à être formé rapidement pour passer d’un emploi traditionnel carboné à un emploi décarboné.

7. Les mécanismes de compensation carbone sont du greenwashing et ne servent à rien.

Daniel Halbheer professeur associé à HEC en marketing, co-auteur de l’étude Carbon Footprinting and Pricing Under Climate Concerns (HEC Paris Research Paper, juin 2019).

PLUTÔT VRAI – La compensation carbone consiste à fixer un prix sur les émissions de CO2 pour inciter les organisations à réfléchir à leur impact climatique. En faisant payer le « coût » du CO2 à ceux qui en sont à l’origine, on cherche à réduire les émissions. Mais dans la pratique, les choses sont plus compliquées. Il existe un mécanisme de compensation qui permet de contrebalancer ses émissions en réduisant, évitant ou séquestrant une quantité équivalente de CO2 ailleurs sur la planète. Les projets qui donnent lieu à des compensations carbone sont souvent axés sur les énergies renouvelables ou sur la séquestration du carbone dans les sols ou les forêts. Cela permet aux organisations d’atteindre une empreinte carbone nette de zéro, même si l’empreinte de leurs activités de production est positive. Comme les émissions sont généralement compensées dans les pays du tiers-monde, le coût de cette compensation est trop faible pour être réellement déterminant. Mais ce mécanisme de compensation carbone n’est, à mon sens, qu’une étape intermédiaire. Le principal progrès de la mesure est d’introduire l’idée d’un coût lié aux émissions de carbone, qui contribue à une prise de conscience de la part des entreprises et incite à investir dans les technologies vertes. Ponctionner les entreprises émettrices crée un avantage compétitif pour les activités à faible impact environnemental, indépendamment du marché. À terme, il deviendrait ainsi possible d’orienter l’activité économique vers un bilan carbone neutre, en faisant évoluer ce prix à la hausse

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8. Adopter un mode de vie écolo, ce serait revenir au Moyen Âge.

Julien Dossier (H.95), fondateur de Quattrolibri, cabinet de conseil spécialisé dans la transition écologique, et auteur de Renaissance écologique, 24 chantiers pour le monde de demain, aux éditions Actes Sud.

FAUX – Qu’est-ce qu’un mode de vie écologique ? C’est vivre sans souffrir de la chaleur (ou du froid), respirer un air sain, boire une eau propre et non contaminée, manger des fruits, légumes et céréales qui ont du goût et ne sont pas chargés de pesticides – ou d’additifs et autres sucres, sel ou gras ajoutés par l’industrie agro-alimentaire. C’est aussi consommer modérément des protéines d’origine animale, y compris les bas morceaux, en cuisinant les restes sous forme de raviolis, hachis, tourtes. Enfin, c’est s’approvisionner auprès de producteurs locaux, bien rémunérés, donc à même d’entretenir les haies, bocages, frondaisons, qui pourront stocker le carbone et régénérer le vivant, tout en dessinant des paysages plaisants et des zones de loisir. C’est valoriser les ressources et produire des objets durables et réparables. Cette valorisation de l’économie agraire fournit en retour les matériaux nécessaires à l’isolation et à la construction des bâtiments, mais aussi de l’énergie électrique (éoliennes, fermes solaires, hydroélectricité), des carburants ( bio-méthanisation), des substituts au plastique et des principes actifs pour la pharmacopée. Ce qui paraît simple mobilise en réalité de nombreuses formes d’expertise ( biologique, physique, mécanique, économique, sociologique…). Ce système est donc créateur d’emplois. Il fait appel à des compétences variées et contribue à réduire les inégalités. Le mode de vie écologique repose sur un ensemble d’innovations et d’améliorations du bien-être, qui relève d’un processus de progrès… et certainement pas d’un retour en arrière !

9. Si les individus adoptent des gestes responsables, cela ne changera rien, car c’est l’activité économique qui pollue.

Hélène De Vestele, fondatrice du collectif de formations Edeni, incubé à HEC-Station F en 2018.

VRAI ET FAUX – 45 %. C’est la diminution de notre empreinte carbone moyenne que l’on peut atteindre grâce à un engagement individuel fort, c’est-à-dire en changeant nos comportements sur les aspects les plus polluants de notre quotidien. Adopter une alimentation 100 % végétale, par exemple, est la décision qui a le plus grand impact sur l’environnement. Il y a aussi l’isolation de son lieu de vie, l’usage de mobilités douces… Tout compte. Ce n’est pas rien, 45 %. Néanmoins, 100 entreprises sont aujourd’hui responsables de 70 % des émissions carbone mondiales. L’émission carbone n’est pas le seul indicateur à prendre en compte (la génération des déchets, les inégalités sociales, la pollution de l’eau…), mais c’est bien l’activité économique globale qui porte la plus lourde responsabilité. On dit souvent que la demande crée l’offre. Le marketing nous a prouvé que c’est en réalité plutôt le contraire. Bien sûr, ce n’est pas parce que j’arrête d’acheter du plastique que la production va s’arrêter, mais adopter un mode de vie responsable reste nécessaire pour agir en cohérence avec ses convictions et reprendre le pouvoir sur sa consommation. C’est loin d’être suffisant, peut-être, mais seule une prise de conscience ouvrira la voie à la remise en cause des systèmes productivistes en place.

10. La France est une goutte d’eau : ce sont la Chine et l’Inde qui émettent les plus grandes quantités de gaz à effet de serre.

Antoine Rabain (M.06), président et fondateur de Geckosphère, expert énergie-climat-océan et président du Club Économie verte d’HEC Alumni

FAUX – C’est un argument qui ne tient pas la route, même si la France et ses 67 millions d’habitants représentent à peine plus de 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Certes, nous n’avons pas d’emprise directe, droit de souveraineté oblige, sur la politique énergétique chinoise, mais nous avons une part de responsabilité certaine dans l’origine de nos produits de consommation. Par ailleurs, notre contribution réelle au dérèglement climatique doit tenir compte du délai de subsistance des gaz à effet de serre dans l’atmosphère : pour le CO2, c’est environ mille ans. Ainsi, nos émissions de 1980 perturbent le climat d’aujourd’hui au même titre que celles de l’année passée !Enfin, comparons ce qui est comparable : l’Inde et la Chine sont les pays les plus peuplés au monde, mais l’empreinte carbone annuelle d’un Indien est inférieure à 2 tonnes, tandis que celle d’un Français atteint en moyenne 11 tonnes (les 1 % les plus riches de la population dépassent même en moyenne 56 tonnes/an !). Alors, qui sont les responsables historiques des changements climatiques d’origine anthropique ? À eux (à nous) de s’engager vers une société post-carbone à l’horizon 2050.

Propos recueillis par Hélène Bielak

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