Le 6 juin au matin, le Club recevait dans les locaux de l’Association HEC Alumni, avenue Franklin Roosevelt, Denis Olivennes, qui vient de prendre la présidence de CMI France, les activités médias du magnat tchèque Daniel Kretinsky. Ce groupe au chiffre d’affaires de 250 millions d’euros est le repreneur récent de la plupart des titres de Lagardère Active (Elle, Elle Déco, Art&Décoration, Version Fémina, Télé 7 Jours, France Dimanche, Ici Paris, Public, etc.) qui viennent s’ajouter à son portefeuille déjà existant (Marianne et 50 % de la participation de Mathieu Pigasse dans Le Monde notamment).Le parcours de Denis Olivennes est impressionnant, ancien élève de Norma Sup, de Sciences Po Paris et de l’Ena, ancien auditeur à la Cour des comptes et conseiller du Premier Ministre Pierre Bérégovoy, il a ensuite assuré des fonctions dirigeantes dans quasiment tous les médias, de Canal+ au Nouvel Observateur en passant par Le Point, Europe 1 et le pôle presse de Lagardère. Alors, pensez si son avis nous intéresse quand il s’agit d’aborder la question suivante : « Quel avenir pour la presse ? »« Les prédictions sont très difficiles, surtout quand elles concernent l’avenir », c’est par cette phrase empruntée à Mao que Denis Olivennes commence malicieusement son analyse des possibles solutions à la crise de la Presse … En quoi consiste la crise de la presse ? Son jugement est sans appel. Crise économique d’abord, baisse des revenus de diffusion et publicitaire, sous l’effet de la progression du numérique (phénomène mondial : perte de 6 % des revenus chaque année, et 1,5 milliard d’euros déplacés de la presse vers les Gafa), mais pas seulement, rajoute-t-il. Crise morale, aussi : crise de vocation des journalistes et des managers, alors que pourtant, le monde n’a jamais eu autant besoin de rigueur dans le traitement de l’information, pour lutter contre les travers pernicieux de l’immédiateté et du sensationnel.Quelles solutions pour en sortir ? Elles sont multiples : créer un effet de levier sur les marques fortes de presse (comme Elle, par exemple) en se diversifiant dans le hors-média (événementiel, etc.), chercher à enrayer les problèmes de distribution pour la presse payante qui continue à fonctionner (des titres comme Télé 7 Jours ou France Dimanche ont un lectorat fidèle et sont assez résilients au numérique), et chercher de la diffusion payante aussi via le numérique (une solution cependant plus efficace pour la presse quotidienne, comme le montre le succès du New York Times, que pour la presse magazine). Réussir la transition numérique d’un titre de presse nécessite en effet une taille critique d’audience, que le plus souvent seule la presse quotidienne atteint. En tout état de cause, le niveau des revenus numériques restera bien toujours inférieur à ce qu’était la vente au numéro (à titre d’exemple, la musique a dû réduire ses coûts de 60 % pour s’adapter à la nouvelle économie numérique). En fait, ce n’est pas la presse qui disparaît, c’est son support physique qui se dématérialise : dans quinze ans peut-être n’y aura-t-il plus de papier…La presse devient de plus en plus un secteur d’investissement « mécénal », soutenu par de grandes fortunes. Daniel Kretinski, par exemple, est à la tête d’un groupe industriel de 5 milliards d’euros, cinquième de l’énergie en Europe. Il ne cherche pas à gagner de l’argent avec la presse, il veut simplement ne pas en perdre. Pour lui, cet investissement, c’est aussi pour sauver le continent européen, qu’il estime en danger, et qui a besoin de groupes de presse puissants. Il y a une nécessité absolue de rétribuer les contenus fournis gratuitement par la presse aux Gafa (« droits voisins ») : on estime à 300 millions d’euros la somme que Google devrait restituer et redistribuer aux titres de presse. L’auteur de La gratuité, c’est le vol : quand le piratage tue la culture (paru en 2007) ne se renie point !

Jérôme Wagner (H.85), président Club HEC Medias & Entertainment

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