Abstract

Alors que les données pourraient être mises au service du bien commun, ce ne sont pas les autorités publiques qui les détiennent, mais des entités privées, telles que les opérateurs de téléphonie mobile, les sociétés de cartes de crédit et des géants de la nouvelle économie comme Google, Facebook et Twitter. À l’exception de quelques initiatives isolées et autoproclamées en matière de « philanthropie de données », ces entreprises ont historiquement été réfractaires à leur partage dans une optique d’intérêt général… Comment expliquer aux citoyens à travers le monde que leurs données – qui ont été collectées de manière agressive au fil des années – ne puissent pas être utilisées, en particulier en situation d’urgence ? (…) Cet article identifie les principaux défis du partage des données privées à des fins d’intérêt public et propose une ébauche d’agenda de recherche pour les universitaires. European Journal of Risk Regulation, 2018

3 questions à Alberto Alemanno, professeur de droit à HEC.

Portrait d'alberto alemanno professeur de droit à HEC Paris
Alberto Alemanno Professeur de droit à HEC Paris, il est titulaire de la Chaire Jean Monnet en droit de l’Union européenne, conférée par la Commission européenne.

Quel est l’enseignement principal de votre recherche ?

Elle met en évidence que nous pourrions sauver et améliorer des vies en utilisant les données collectées par les entreprises. En effet, une immense masse de data est disponible, mais elle ne nous appartient pas. Comment amener les entreprises qui ont obtenu des données à des fins commerciales à les partager avec les autorités publiques ? Pour l’instant, ces données ont été agrégées pour cibler les individus et leur vendre des produits et des services. Les utiliser à des fins différentes nécessite un travail technique préalable. Qui payera pour ce traitement de la data ?

Certaines municipalités en Europe rémunèrent les opérateurs pour avoir accès à des données qui leur permettent de détecter les embouteillages. Mais ce principe de compensation financière, entière ou partielle, est-il valable ? L’autre possibilité serait d’utiliser le droit pour obliger les entreprises telles que Google ou Facebook à partager ces informations. Dans certaines situations d’urgence, par exemple. Enfin, on peut aussi envisager des partenariats publics-privés.

Pouvez-vous nous citer quelques cas concrets ?

Au-delà des situations d’urgence (catastrophes naturelles, attaques terroristes…), ces données peuvent guider les politiques publiques. Par exemple, lorsque les autorités mettent en place un nouvel étiquetage alimentaire, elles ne savent pas si la manière de présenter l’information aura les effets escomptés sur la population. Elles doivent s’appuyer sur des statistiques issues de déclarations des individus, et non pas basées sur leur comportement réel. Selon les ONG, de nombreux morts auraient pu être évités lors de l’épidémie de Zika en Afrique, si Facebook et Google avaient partagé leurs données. Ces informations peuvent sauver des vies et économiser de l’argent public. Une importante question éthique en découle : qui doit être tenu pour responsable de cette inaction ?

Dans quelle direction allezvous poursuivre vos travaux ?

La Commission européenne a convoqué un groupe de 20 experts issus des entreprises et de la société civile. En tant que rapporteur, je dois rédiger les lignes directrices pour la gouvernance du partage des données commerciales à des fins d’intérêt public. J’ai l’intention de poursuivre mes recherches là où elles seront utiles et, le cas échéant, de piloter des expérimentations concrètes.

 

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