LA RÉPONSE DEPUIS LE… LIBAN

L’une des révolutions les plus inspirantes au monde est en cours au Liban depuis le 17 octobre. Déclenchée par l’instauration de nouvelles taxes (sur les appels WhatsApp, notamment), elle réunit des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, toutes classes sociales et toutes les confessions confondues. Des millions font entendre leurs voix haut et fort, et débattent dans les rues et dans les universités, avec pour seul emblème le drapeau national et son cèdre distinctif, sans aucune obédience aux partis politiques. Leur slogan est sans équivoque: « Tous(1) veut dire tous ». Les Libanais sont soudés autour de revendications communes: la démission du gouvernement, son remplacement par des technocrates indépendants, l’indépendance des pouvoirs juridiques et des élections anticipées. Pour aller vers un pays prospère et sans corruption. À ce jour ( j’écris cet article le 21 novembre), ils n’ont obtenu que la démission du Premier ministre, le 29 octobre, l’élection d’un bâtonnier des juristes indépendant, et l’annulation de deux réunions parlementaires visant à proposer une loi d’amnistie suspecte. Beaucoup reste à faire.

La classe politique a profondément déçu la population: elle n’a été à la hauteur ni des aspirations des citoyens, ni de la grande richesse culturelle du pays. C’est la première fois que les Libanais sont si nombreux à réclamer un État laïque vivant en harmonie, loin du confessionnalisme politique, considérant que de nombreux politiciens ont bénéficié du système pour s’enrichir, creusant l’endettement jusqu’à plus de 150% du PIB. Ils exigent le rapatriement de l’argent détourné, et sollicitent un audit indépendant sur l’utilisation des fonds alloués par l’aide internationale. Car les dirigeants, réélus il y a un an et demi avec 50 % d’abstention, n’ont pas mené les réformes nécessaires, notamment au respect des dispositions de la conférence d’assistance internationale CEDRE(2), et ont préféré imposer de nouvelles taxes pour réduire le déficit. La crise économique dure depuis des années, et un marché parallèle de la livre libanaise a commencé à se développer cet été. Les manifestants ont conscience que si la contestation s’éternise, elle menacera l’économie. Les banques ont déjà fermé plusieurs jours, posant des problèmes d’accès aux liquidités. Le chiffre d’affaires des sociétés a baissé de 50 à 90 %, et de nombreuses entreprises privées sont contraintes de licencier. Les Libanais savent que si leurs revendications tardent à se faire entendre, cette révolution pacifique, qui a néanmoins déjà causé trois morts, risque de se transformer en révolution de la faim.

Pourtant, tout dans cette révolution est extraordinaire, de la place des Martyrs de Beyrouth nettoyée chaque matin par les manifestants qui trient les déchets eux-mêmes, aux messages qu’ils portent sur la liberté d’expression, sur la place des femmes dans le monde arabe… Mais si des solutions ne sont pas trouvées rapidement, le Liban va se vider de son peuple, et de nombreux Libanais et déplacés syriens se retrouveront sur les côtes européennes. Et l’espoir d’un monde vivant en harmonie s’effondrera… « Le Liban est plus qu’un pays: c’est un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident », écrivait Jean-Paul II en 1989.

1. « Tous » fait référence aux politiciens.
2. La Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (CEDRE) prévoit l’octroi de 11,6 milliards de dollars de prêts et de dons, en contrepartie de réformes structurelles et budgétaires.

 

 

 

NICOLAS BOUKATHER (M.07)
Diplômé d’un Entrepreneurship Master HEC, il est membre du comité d’HEC Alumni, président du chapter libanais des anciens de l’École, et chairman de l’entreprise A.N. Boukather Holding. Depuis le pays du Cèdre, il raconte la révolution en cours depuis octobre, et explique les principales doléances des citoyens.

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