J’ai gardé un souvenir intact de l’été 1952, ou plus précisément du mois d’août 1952. J’avais presque 11 ans et passais toutes les vacances scolaires au Mont Dore chez mes grands-parents du 14 juillet, après la distribution des prix, à la fin août ou au début septembre. J’adorais les vacances au Mont Dore et j’y pense toujours avec nostalgie. Les moyens de communication n’étaient pas nombreux à cette époque : Le Figaro qu’on achetait et, dans les grandes occasions, le téléphone qui sonnait. Un jour de ce mois d’août 52 j’appris par Le Figaro qu’une expédition allait être lancée pour explorer le gouffre de la Pierre-Saint-Martin dans les Pyrénées. Je me souviens très bien qu’en marchant le long de la Dordogne, le ruisseau qui traverse la ville, j’avais eu le pressentiment que ça allait mal se passer. Et ça s’est effectivement très mal passé, puisque, toujours Le Figaro nous apprit quelques jours plus tard que le câble de la descente de 300 mètres dans le gouffre s’était cassé pendant une remontée, que Marcel Loubens avait fait une chute de plusieurs dizaines de mètres et qu’il était dans le coma. Jour après jour, Le Figaro informait ses lecteurs des tentatives pour sauver le pauvre spéléologue et le remonter, tentatives toutes infructueuses. Le treuil de l’ingénieur Cosyns marchait mal et avait des pannes à répétition.

Marcel Loubens décéda au fond du gouffre et on renonça à remonter sa dépouille dans l’immédiat (ce ne fut fait que deux ans plus tard).Toujours en août, Le Figaro nous apprit qu’un événement épouvantable venait de se produire dans la vallée de la Durance dans la nuit du 4 au 5 : l’assassinat d’une famille britannique, les Drummond, qui passait la nuit au bord de la route dans sa voiture, une Hillman. Aujourd’hui, un tel crime passerait presque inaperçu, mais à l’époque cette affaire eut un retentissement absolument considérable et même aujourd’hui, presque soixante-dix plus tard, elle est loin d’être oubliée. Il faut dire que non seulement le père et la mère avaient été abattus, mais que la fillette de 10 ans, Elizabeth, s’était enfuie dans la nuit pieds nus et que sa tête avait été fracassée à coups de crosse. Quand elle fut retrouvée, la fillette râlait encore. Le Figaro, encore lui, nous tint jour après jour, durant tout le mois d’août, au courant de l’enquête, qui se passa d’ailleurs dans de très mauvaises conditions. On soupçonna tour à tour les trois habitants mâles de la ferme voisine, le vieux patriarche Gaston Dominici et ses deux fils Gustave et Clovis, qui ne cessèrent de s’accuser mutuellement.

Le vieux Gaston Dominici fut condamné à mort (cette peine existait encore à l’époque), mais ensuite gracié faute de preuves suffisantes et finalement libéré. Aujourd’hui encore, on ne connaît pas la vérité. De nombreuses thèses ont été émises, dont la plus récente serait que ce crime serait l’œuvre des services secrets soviétiques suite à la Deuxième Guerre mondiale.Enfin, un autre événement défraya la chronique cet été-là : la mort d’Evita Perón, l’épouse du président argentin Juan Perón. Pourquoi ce décès eut-il un tel retentissement mondial ? Evita Perón était jeune et très belle et avait déployé une débordante activité sociale et syndicale. Elle était l’idole des foules argentines. Aujourd’hui on la qualifierait peut-être de populiste. Je me souviens qu’à l’été précédent, autour de la table de déjeuner, il y avait eu des discussions musclées entre les adultes, certains en faisant une héroïne, d’autres pas du tout. D’ailleurs, cet été-là, il y avait déjà eu de très violentes discussions familiales à propos de l’affaire Chevallier, cette épouse, Yvonne Chevallier, qui avait tué son mari, le secrétaire d’État et maire d’Orléans, Pierre Chevallier, avec lequel elle ne s’entendait plus, et qui avait découvert une lettre enflammée d’une maîtresse, Jeanne Perreau. Yvonne Chevallier, d’extraction modeste, avait connu son mari avant-guerre, alors qu’elle était jeune infirmière et lui étudiant en médecine.

Depuis, il avait connu une ascension fulgurante et s’était de plus en plus éloigné de son épouse qui ne lui faisait pas suffisamment honneur en société. Tout plaidait pour le crime passionnel et la France entière s’enflamma. Du reste, Yvonne Chevallier fut acquittée l’année suivante par la cour d’assises de Reims.Voilà, il y a des périodes où on a l’impression que les événements se précipitent, comme pour moi en ce mois d’août 1952.

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