Installé dans le Finistère, David Akpamagbo (H.08) est éleveur-artisan. Les grands chefs s’arrachent son beurre, aux parfums changeants selon les saisons. Le fruit d’un travail passionné, utopiste et obstiné.

2008 – Sort diplômé d’HEC Paris
2009 – Crée la société Le Ponclet à Locmélar
2012 – Commence à produire de la viande bovine
2018 – Achète l’exploitation au Leuhan pour y élever ses propres vaches
2019 – Choisit de réduire son volume de production

On ne vous cachera pas qu’il a été difficile de le contacter. Même après trois heures passées sur les routes du Nord- Ouest de la France par un matin de février, on croisait les doigts pour qu’il soit bien au rendez-vous à Kerguérez, un lieu-dit du Leuhan, en plein cœur du Finistère. Mais quand on l’a retrouvé sur place, dans un préfabriqué surchauffé, en pleine conversation téléphonique, au milieu des travaux sur son exploitation, on a compris. David Akpamagbo est un « homme-orchestre », comme il le dit lui-même. À 35 ans, le chef d’entreprise éleveur-artisan est sur tous les fronts. Un pied dans le pré, les mains dans le beurre et la tête dans les comptes. Voilà douze ans qu’il s’est lancé dans un projet fou : fabriquer du beurre et de la viande de luxe, de A à Z.

De la qualité de l’herbe ingérée par les vaches à la préparation de ses petits carrés jaunes, en passant par la race des animaux et le mode de traite, tout est savamment analysé, pensé, calculé. Une maîtrise de la chaîne de valeur, qui implique des connaissances colossales. « Il faut être bon en génétique, en élevage, en transformation, en pâturage, etc. », liste-t-il distraitement, installé à son bureau temporaire, baskets Nike usées aux pieds, chaussettes remontées sur son jogging noir. Un quotidien et des sujets de conversation qui paraissent loin, très loin, du temps où il était étudiant à HEC. Pour autant, il refuse de se voir comme l’archétype de l’anti-HEC. Au contraire, l’héritage de l’école est toujours en lui. « Je reste marqué par la façon dont on m’a appris à structurer mes raisonnements, confie-t-il. C’est présent en moi tous les jours, dans ma façon de chercher des solutions. »

Goût d’esthète

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est même un cours d’HEC qui lui a donné envie de se lancer dans la production de beurre. Il s’agissait d’une intervention de Vincent Bastien, PDG de Louis Vuitton de 1988 à 1995, sur les stratégies marketing du luxe. « Je crois que je n’ai pas pris une seule note, mais ses paroles résonnent encore en moi aujourd’hui. » Ce cours lui donne l’idée d’appliquer les recettes du luxe à la production du beurre. Un produit qu’il connaît bien : ses grands-parents maternels étaient éleveurs et producteurs laitiers au Ponclet (qui donnera son nom à son entreprise), dans le Finistère. « Le beurre était au cœur de la cuisine gourmande de ma grand-mère », se souvient-il.

De son grand-père, il garde en mémoire les balades à la campagne qui lui ont appris à rester « très attentif » au milieu qui l’entoure. Ces souvenirs de vacances ont profondément marqué celui qui est né à Paris, d’un père pilote de ligne originaire du Bénin et d’une fonctionnaire de la DGAC. Juste après sa sortie d’HEC, David Akpamagbo se plonge dans le livre La Productivité de l’herbe, de l’agronome André Voisin. « L’herbe, c’est une matière complexe, mouvante, vivante », souligne-t-il. Un élément clef de la qualité des produits, car mieux les vaches seront nourries, plus riche sera leur lait et, in fine, meilleur sera le beurre… Pour passer de la théorie à la pratique, il établit son QG à Locmélar, à quelques kilomètres de la ferme de ses grands-parents. Il réussit à convaincre des éleveurs de s’associer à son projet. Il sélectionne des races précises : Jersiaises, Armoricaines, Froment du Léon et la Bretonne Pie Noir. Les vaches, au grand air toute l’année, sont nourries uniquement à l’herbe et traites une seule fois par jour. Il organise le transport du lait pour que celui-ci arrive chaud à l’atelier. Après moult tentatives, il met au point sa recette de beurre. « Créer un produit de ses mains, c’était complètement grisant », confie-t-il.

Tailler dans le gras

Entre la collecte du lait et l’emballage du beurre, il faut compter environ une semaine. Un long labeur… Qui a son prix : le kilo est à 32 € HT pour les professionnels et grimpe à 50 € pour les particuliers. Il faut dire que le carré siglé Le Ponclet, aux parfums changeants suivant le rythme des saisons, fait parler de lui. On le retrouve sur les plus grandes tables parisiennes : dans la cuisine d’Alain Ducasse au Plaza Athénée, celle de Christophe Pelé aux restaurants étoilés Le Clarence, la Maison Rostang… jusqu’à Hong Kong et Singapour ! La demande ne cesse de grossir. David recrute de nouveaux salariés, achète de nouvelles bêtes. En 2018, il fait même l’acquisition d’une ancienne exploitation située au Leuhan, à une heure de son atelier de Locmélar, afin d’élever lui-même ses vaches et de produire son lait. Mais à l’été 2019, il commence à s’interroger. « On avait de la demande, on avait du savoir-faire, mais on était toujours courts financièrement et on ne pouvait pas toujours servir les clients. » Un moment compliqué à l’issue duquel il choisit de réduire la voilure de son entreprise et de se séparer de certains de ses salariés, passant de 12 à 5. Le prix à payer pour continuer de proposer des produits de très haute qualité. Alors qu’il était monté à une production de 500 kg de beurre par semaine, il revient à un volume oscillant entre 200 et 250 kg hebdomadaires.

Même chose pour la viande : s’il produisait six animaux pour la boucherie chaque semaine, il n’en livre plus que deux. Une façon de redresser l’entreprise, mais aussi de reprendre le contrôle sur l’ensemble de la chaîne de valeur. « Je veux considérer que chacune de mes 500 bêtes, et chaque litre de lait est un trésor. », confie-t-il. Cette exigence du luxe, il en a fait une exigence de vie. À bosser sept jours sur sept, minimum douze heures par jour. En moyenne, il prend un jour de repos par mois. Jusqu’à il y a peu, il vivait encore comme un moine, dans une chambre d’un gîte intercommunal à proximité, en atteste la photo qu’il nous montre sur son portable en souriant. Désormais, il s’est installé dans une maison, juste à côté de son exploitation. Un quotidien « en mode commando », selon ses mots, qu’il assume pleinement. « J’ai toujours vécu chichement. Je suis content de toucher à l’essence des choses. » C’est probablement ce qu’il veut nous montrer, quand il nous emmène faire un tour à quelques kilomètres de là, en plein champ, où une quinzaine de vaches pâturent au grand air en cette froide matinée de février. « Finalement, dans le luxe, il y a quelque chose de très humain et très local. Le luxe ne doit pas tricher », observe-t-il songeur. En faisant le choix de maîtriser de bout en bout la production de son beurre et de sa viande, le Breton a choisi d’incarner le luxe dans son expression la plus pure, le respect de la nature dans le produit et une abnégation hors norme dans le travail.

Hélène Bielak

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