Il y a deux ans, j’ai rencontré Maxime Lainé (H.15) et Thomas Tirtiaux (M.16). Nous rêvions de partir pour de grandes expéditions sans pour autant bouleverser fondamentalement nos vies. Certaines personnes consacrent leur vie à l’exploration, d’autres cherchent l’électrochoc qui infléchira leur existence. Je ne suis pas dans cette optique.Et si les grandes aventures pouvaient faire partie d’une vie ordinaire ? Et si nous pouvions justement tous devenir ces héros ordinaires ? Je voulais le démontrer. Notre trio s’engage alors dans une première exploration du monde polaire avec une traversée du Groenland en autonomie. Au-delà d’un défi physique immense, cette expédition répondait à quelque chose de plus profond : mieux appréhender le “?” qui réside en chacun d’entre nous. L’exploration est devenue une quête de nous-mêmes et des autres. Cette recherche a animé notre volonté de repartir, il y a un an pour gravir l’Aconcagua et tout récemment pour atteindre le point le plus au nord de l’Europe, au cœur de l’hiver polaire et de sa nuit, continue et glaciale.

L’expédition s’est déroulée dans une atmosphère de silence glacé et obscur. Le terrain accidenté et la nuit permanente ont rendu la progression extrêmement aléatoire sur près de 300 km. La dimension amphibie de l’aventure a corsé les choses. En effet, un franchissement aquatique de 14 kilomètres sur la mer de Barents, à 500 kilomètres au nord du Cercle polaire, s’apparentait à une véritable opération commando, risquée, minutieusement préparée et conduite énergiquement. Nous avons parfois eu droit à la vision d’aurores boréales et à un ciel scintillant d’étoiles mais la plupart du temps, les caprices de la météo s’abattaient sur nous. Ce fut une découverte de moi-même et pour être honnête, il a fallu que je trouve la force de surmonter les rudes épreuves que ce territoire polaire impose. Affrontant des températures descendant jusqu’à -35 °C et progressant essentiellement au cœur de la nuit polaire, notre équipe a dû relever des défis difficiles : absence totale de visibilité, tempêtes arctiques, gorges infranchissables, forêts impénétrables, avalanches, maladie, blessures… Les péripéties nous ont accablés sans relâche et ont exigé beaucoup d’humilité. Mais aussi de la pugnacité, du dépassement de soi et de l’esprit d’équipe. Autant de valeurs que je cherche à cultiver en tant qu’entrepreneur.Je n’adhère pas vraiment à la vision angélique qui fonde le mythe moderne de la « start-up ». Un conte selon lequel quelques jeunes personnes en tee-shirt ont subitement une idée géniale, la développent et changent le monde entre deux pauses de baby-foot.

Entreprendre ressemble davantage à monter une expédition. C’est d’abord lutter. Pour de maigres résultats, parfois. C’est se sentir seul et désorienté face à l’étendue de la tâche, vulnérable face aux menaces. C’est faire face aux difficultés qui s’additionnent sans prévenir et les surmonter, les unes après les autres. C’est se remettre en question et douter : ne pas savoir si les choix d’aujourd’hui permettront les succès de demain. C’est échouer et recommencer. C’est finalement aussi savoir s’émerveiller, d’une façon bien particulière. Au contact de son équipe, dans l’effort et dans les petites victoires qui, on l’espère sans en être jamais certain, préparent la grande victoire.Lutte sans relâche pour réaliser ta vision, émerveille-toi le long du chemin. Voilà ce que les expéditions rappellent aux entrepreneurs. Au cœur de l’expédition Nuit polaire, j’ai été frappé par la ressemblance entre ce que je vivais et la situation de ma société. Armtek conçoit des applications mobiles qui aident les forces de sécurité à se préparer à leurs missions, des missions risquées et à fort enjeu. C’est notre cap Nord. Or, pour atteindre son cap Nord, il faut parfois savoir manœuvrer « hors carte », « pivoter » dans le langage entrepreneurial.

L’expédition me l’a rappelé avec force. En effet, au dixième jour, notre groupe s’est retrouvé dans une impasse majeure face à une pente littéralement infranchissable. Nous avons alors décidé d’abandonner l’itinéraire prévu en prenant le risque d’un nouveau chemin pour lequel nous n’avions pas de cartographie de détail. Ce pivot a sauvé l’expédition. Cela m’a rappelé qu’Armtek s’était heurté à un mur avec son premier produit. Il ne convenait pas et nous avons dû créer autre chose qui correspondait davantage au besoin. Un entrepreneur fait face à une mosaïque d’options, qui sont autant d’itinéraires différents. Un ou plusieurs de ces chemins sont les bons. Il faut trouver lesquels. Comment ? Comme en expédition : en se tenant à l’écoute et en observant. L’analyse des signaux remontant du terrain, les retours des utilisateurs, les rencontres… Un entrepreneur, comme un aventurier est « aux aguets » face à ces informations qui doivent lui permettre de prendre les bonnes décisions.Au fond, les aventuriers et les entrepreneurs ont un point en commun : ils croient en leurs rêves et se donnent les moyens de les réaliser. Oser réaliser ses rêves ? Il y a deux ans, nous ne connaissions rien aux milieux polaires.

Aujourd’hui, après plusieurs expéditions, nous nous projetons vers le Pôle Sud ou le Pôle Nord. Chacun d’entre nous est habité par un désir d’aventure. Et l’aventure ne se limite pas aux expéditions polaires et à l’entrepreneuriat, loin de là ! La plus belle des aventures est certainement celle que l’on vit à deux, l’aventure amoureuse. C’est celle où l’engagement et la passion se mêlent le plus étroitement. Ce savant dosage se retrouve en réalité dans tout projet. Au début la pulsion de vie, le déclencheur, puis l’engagement, qui nous projette dans la durée et sans lequel rien n’aboutit. Apprendre une nouvelle langue, quitter son travail pour un poste qui a plus de sens, se mettre à la course à pied, à la randonnée, à l’escalade… sont autant de sommets qui ne demandent qu’à être gravis.Et pourtant, que l’aventure soit sportive, outdoor, entrepreneuriale ou amoureuse, la peur et l’hésitation peuvent nous paralyser au moment de nous lancer. En suis-je capable ? Ou cela va-t-il me mener ? Je risque d’y perdre, non ? Une décision d’engagement se mûrit, bien entendu, mais sans cette résolution forte, la profondeur de l’aventure humaine nous échappe fatalement. Avec quelques mois de recul, c’est l’enseignement principal que je tire de l’expédition.

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